Monsieur le Président de la République
Lors du lancement des Assises des Outre-Mer, le 7 juillet 2017, Annick Girardin affirmait que « ce chantier vient concrétiser la mise en action d’un engagement de campagne d’Emmanuel Macron ». La Ministre de l’Outre-Mer précisait que ce projet « a pour ambition de répondre aux difficultés spécifiques à chaque territoire » avant d’ajouter qu’« il faut en effet sortir du regard paternaliste et biaisé de la Métropole sur les Outre-Mer et voir en elles des terres de solution ».
9 mois plus tard, nos territoires se sont allègrement exprimés. En Martinique, près de 270 projets ont été présentés en séance de restitution dont la moitié concerne le développement économique et l’emploi.
Reste maintenant à envisager l’avenir ! Car, au-delà de ces manifestations d’intention, les craintes d’une réédition des Etats Généraux de l’Outre-Mer se confirment, sans réelles perspectives pour nos territoires.
Pourtant, des solutions efficientes existent tant au niveau du projet de développement qu’au niveau constitutionnel. Elles passent nécessairement par la rupture avec la démarche dogmatique qui a consisté jusque-là à penser notre développement dans un cadre uniforme depuis les berges de la Seine. Apparemment, vous vous inscrivez dans cette logique puisque vous semblez envisager votre révision constitutionnelle pour les Outre-Mer sans nous y avoir associés préalablement.
Le principe de subsidiarité
pour l’exercice de nos responsabilités
La démarche prospective que nous préconisons aujourd’hui, devrait permettre au contraire, par la mobilisation collective, de concevoir le développement de manière plus endogène en s'appuyant davantage sur les Hommes et sur le Territoire. Ce nouveau modèle économique, d'approche territoriale, devrait faire émerger la nécessité d'un appareillage politique doté de la légitimité et de l'autorité pour concevoir un plan global d’aménagement et de développement durable, confirmant l'idée défendue par le Conseil de l’Europe selon laquelle « l'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens ». Il oblige dès lors à rompre avec le modèle ambiant qui consiste à superposer des lois pour répondre à une problématique pensée, elle aussi, selon une logique purement sectorielle à l’instar de celle préconisée pour les Assises de l’Outre-Mer.
C’est ici que le principe de subsidiarité, principe fondamental de la Charte de l'autonomie localeintroduit dans le droit européen par le Traité de Maastricht, se révèle incontournable dans le processus engagé pour mettre en œuvre nos politiques de développement durable.
Il ne s'agit plus pour les instances territoriales situées en Outre-Mer de plaquer des dispositifs conçus au niveau national pour répondre à des problématiques sectorielles. Il s'agit désormais d'organiser la coordination et d'associer de manière croisée l'ensemble des outils indispensables à la mise en œuvre de notre propre développement. Que ce soient des politiques relatives au développement humain (politique de l'éducation, de la formation, politique sportive, politique culturelle), à la performance économique (politique fiscale, politique d'investissement, politique douanière, politique commerciale), ou à la valorisation maîtrisée de nos ressources naturelles (politique foncière, politique énergétique, politique de l'environnement), se pose inlassablement la question de l'appropriation au plus près du territoire de ces compétences. L'articulation entre l'obligation d'efficience territoriale et la notion de subsidiarité prend alors tout son sens, mettant en questionnement le transfert du pouvoir décisionnel du centre vers la périphérie territoriale.
Et, si dans les débats habituels, l’évolution institutionnelle et l’impératif économique se sont traditionnellement opposés, en fonction du positionnement idéologique, il s'avère dans les faits que la question du modèle économique se superpose à la question du modèle politique.
C’est à ce niveau qu’intervient la nécessité d’une simplification du droit applicable dans les Outre-Mer.
Un article unique pour des Collectivités à statut particulier
en lieu et place des articles 73 & 74 de la Constitution
En effet, l’abandon de la classification binaire « DOM-TOM », consécutif à la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, n’a pas fait disparaître pour autant les catégories statutaires contenues dans les articles 73 et 74 de la Constitution. Certes, la situation a considérablement évolué puisque, désormais, sous l’acronyme « DROM-COM » se distingue une multitude de statuts qui résultent de la combinaison des plusieurs régimes législatifs et/ou d’organisations administratives.
Pour autant, les motifs d’insatisfaction et de contestation demeurent. Dès lors, votre proposition de révision de la Constitution s’impose car, dans ce contexte, elle semble salvatrice.
Une révision, non pas pour répondre aux convenances politiques des uns et des autres, mais pour fixer un cadre constitutionnel plus lisible et à l’intérieur duquel, chaque collectivité située en Outre-Mer pourrait définir les compétences et les leviers juridiques nécessaires pour poser les bases d’un développement endogène autour d’un aménagement cohérent de son territoire. Car, au-delà des sempiternelles « querelles des deux chiffres 73-74 », c’est bien de développement dont il s’agit.
Cette exigence de clarté est d’autant plus nécessaire que l’assouplissement réel du principe d’identité législative, renforcé par les dispositifs constitutionnels d’adaptation, d’habilitation et d’expérimentation pour les Collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, fait que, malgré tout, les statuts diffèrent très peu d’une collectivité à l’autre.
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Cette clarification pourrait s’envisager par l’adoption d’un article unique relatif aux Outre-Mer, en lieu et place des articles 73 et 74 de la Constitution, permettant une diversification statutaire. Une Loi organique propre à chaque territoire permettrait de préciser à la fois l’organisation administrative et les compétences de ces nouvelles collectivités à statut particulier. On pourrait y ajouter l’obligation de consulter les électeurs concernés et ce, conformément à l’article 72-1 alinéa 3 de la Constitution de 1958 et sur le fondement du droit d’autodétermination interne des peuples d’Outre-Mer consacré par le 2ème alinéa du Préambule. Ainsi, tout en restant ancrées dans la République, ces Collectivités pourraient jouir d’une décentralisation avancée, voire d’une véritable autonomie régionale, à l’instar des autres régions ultra périphériques (RUP) d’Europe telles que les Açores, les Canaries et Madère.
Cependant, en dépit de la recherche d’un cadre constitutionnel plus efficient, on ne peut pas nier votre volonté manifeste de réformer en profondeur la société française sans exclure les contradictions de l’actuelle Constitution.
Les contradictions de la Constitution
sur la mention de « Peuples d’Outre-Mer ».
Au demeurant, les Outre-Mer ne font pas uniquement face à des défis d’ordre démographique, économique, social ou environnemental. Ils doivent intégrer dans leur développement des notions de liberté, essentielles après des périodes d’esclavage et de colonisation, mais aussi de développement humain tenant compte de leur histoire et de leur environnement géographique et culturel.
A cet effet, on ne saurait s’enfermer dans de simples constructions juridico-institutionnelles et accepter la négation de la mention de « peuples d’outre-mer » introduite par la révision du 28 mars 2003 à l’article 72-3 de la Constitution. Cette suppression a alimenté de longues controverses doctrinales ce d’autant qu’elle va à l’encontre du 2ème alinéa du Préambule de cette même Constitution. Mais, au-delà des nécessaires clarifications conceptuelles et juridiques, la Constitution française ne peut ignorer l’évolution du monde actuel.
Pour penser notre fondation au monde, il ne saurait être question de s’inscrire dans un texte juridique qui soit aveugle aux réalités culturelles, identitaires, organisationnelles qui régissent les rapports des peuples. L’évolution actuelle du monde nous oblige maintenant à envisager de nouvelles entités juridiques, qui résultent d’un partenariat volontaire entre plusieurs collectivités, dans un même pacte républicain. Elle vous oblige aussi à concevoir que des Collectivités à statut particulier puissent exister au sein de la République.
Et, c’est justement le respect de cette possibilité qui donne de la valeur à notre libre adhésion.
Les Républiques n’ont plus besoin d’être « unes et indivisibles », elles peuvent être tout simplement unies au sein d’une même communauté à l’instar des Länder allemands ou des régions autonomes d’Espagne ou du Portugal.
Dans ce cadre clarifié, demander la suppression des articles 73 & 74 et la réinscription des « peuples d’outre-mer » dans la Constitution, ce n’est ni entrer en guerre avec l’État-nation français, ni entrer en rupture avec lui. C’est simplement l’enrichir. C’est confirmer la voie nouvelle de la diversité du monde actuel.
Ayant confiance en votre bienveillance, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.
Martinique, le 20 avril 2018
Louis BOUTRIN
Docteur en Droit
Conseiller exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique