Interview du directeur du groupe CFCI dont la biographie, « La niaque », vient de paraître
Réussir brillamment dans la finance lorsqu’on est originaire d’un quartier populaire et sans diplôme, c’est possible.
Rodolphe Pedro, fondateur et directeur de la Compagnie française de conseil et investissement (CFCI), en est la preuve indiscutable. Il raconte dans sa biographie La niaque, l’incroyable réussite d’un fils de banlieue, parue aux éditions Plon, son itinéraire.
Une réussite qu’il voudrait voir devenir moins exceptionnelle et partager plus largement. Entretien avec Afrik.com
Vendeur de jeans et de blousons dans les cours de récréation, patron d’une usine d’étuis à lunettes à 21 ans, et aujourd’hui, à 36 ans, directeur de la première compagnie française de conseil et d’investissement, Rodolphe Pedro a très tôt appris à entreprendre. Une question de survie. Né en Suisse au sein d’une famille modeste, il a grandi dès l’âge de sept ans dans les cités HLM de Savigny-Le-Temple, en France, auprès d’une mère aimante mais d’un père défaillant. Rebuté par le système scolaire, il en est sorti sans même le bac en poche, comme nombre de ses camarades de classe originaires pour beaucoup d’Afrique noire et du Maghreb. Maintenant, il tend la main à ceux qui, comme lui, ont décroché du système scolaire. La majorité des employés de son groupe ont ce profil. L’année dernière, à Lyon, il a créé l’UNIFI (L’Université de la finance), qui forme les personnes faiblement qualifiées issues des quartiers défavorisés aux métiers de la distribution de produits d’épargne et d’assurances vie. Rencontre avec un self-made man philanthrope.
Afrik.com : Quelles sont les clés de la réussite ?
Rodolphe Pedro : Je pense très honnêtement que celui qui dit qu’il a réussi a déjà perdu. On essaie toujours de chiffrer la réussite. Mais la réussite est avant tout personnelle.
Afrik.com : La « niaque », la volonté d’y arriver, est-elle la seule explication que vous donnez à votre réussite ? Le facteur chance, a-t-il une importance ?
Rodolphe Pedro : La chance n’existe pas. Moi, je suis marié à une africaine qui m’a fait quatre enfants. Et je lutte contre la fatalité. Le mektoub, ça n’existe pas. Les trois clés de la réussite sont : la rigueur, la rigueur et la rigueur. Il faut rencontrer des gens, c’est sûr. Mais si ces gens-là ne te voient pas travailler, tu ne vas nulle part ! L’essentiel, c’est le travail.
Afrik.com : Vous parliez à l’instant de votre femme, qui est originaire d’Afrique du nord. Vous qui avez une telle soif d’ascension sociale, n’avez-vous pas été tenté de vous marier plutôt avec une bourgeoise française blanche ?
Rodolphe Pedro : Moi, je ne me suis dit qu’une seule chose : je vais me marier avec une femme qui me ressemble et qui est capable de m’accompagner toute la vie. Je l’ai rencontrée dans le quartier des Chéneaux, à Châlons-sur-Saône, qui est celui de l’ancien ministre de la Justice, Rachida Dati… Mais je ne regrette pas d’avoir choisi ma femme plutôt que Rachida !
Afrik.com : Vous dites aider les jeunes issus des quartiers difficiles. Comment vous y prenez-vous concrètement ?
Rodolphe Pedro : Il faut d’abord dissocier deux choses. Il y a d’abord CFCI & Associés, la plus grosse des 5000 compagnies financières privées du secteur (CGPI : Conseillers en gestion de patrimoine indépendants). Nous employons une centaine de collaborateurs sur toute la France, à 90% issus des zones rurales et des quartiers urbains défavorisés. C’est d’où je viens et je ne l’ai pas oublié. Je sais qu’on est dans un système de démerde depuis le plus jeune âge. Et j’ai compris qu’au même titre que les sportifs de haut niveau, il faut faire de la « reconversion d’énergie » pour les amener sur le marché de l’emploi. C’est ce que j’ai fait et on est devenus numéro un en France avec une équipe black-blanc-beur. Donc, concrètement j’ai créé une centaine de postes. Mais je ne peux pas repousser les murs de mon entreprise. Alors je me suis basé sur un rapport officiel qui chiffre le besoin en main d’œuvre à 50 000 démarcheurs financiers entre aujourd’hui et demain, dans les banques, les compagnies d’assurance et chez les indépendants. Je suis arrivé au constat suivant : les personnes qui passent par les écoles de gestion de patrimoine, qui ont un master bac+4, veulent trouver un boulot de cadre ; ce ne sont pas eux qui souhaitent occuper les 50 000 postes. Donc il faut qu’ils aillent à cette jeunesse marginalisée, qui sait vendre. Mon combat n’est pas de remplacer des diplômés par des non-diplômés. La masse des jeunes issus des zones rurales et des quartiers urbains défavorisés, que nous représentons, sont complémentaires à l’élite. C’est pour ça que j’ai créé l’UNIFI, la seule université en France qui s’adresse aux décrocheurs, qu’ils soient noirs, blancs, beurs, jaunes ou vieux…
Afrik.com : Combien d’emplois une initiative telle que la vôtre pourrait générer ?
Rodolphe Pedro : Mon objectif est de créer 10 000 emplois dans le secteur de la gestion de patrimoine. Tant qu’on aura une élite surdiplômée blanche, ça n’avancera pas. La France est un pays arc-en-ciel où il faut que les minorités soient représentées. 160 000 jeunes quittent l’école sans le Bac chaque année. C’est un problème sociétal ! L’inconvénient, c’est que pour l’élite surdiplômée, quelqu’un sans diplôme est incapable de manger avec une fourchette et un couteau…
Afrik.com : Dans votre livre, il y a un chapitre qui s’appelle « Vive les talents métissés ! ». Qu’est-ce que tous ces jeunes originaires d’Afrique, de la Caraïbe, d’Asie, peuvent apporter à la France ?
Rodolphe Pedro : Ils sont d’abord français ! Arrêtons la culpabilisation ! Est-ce que ça pose problème que Sarkozy ne soit pas breton ? Ce qu’ils peuvent apporter, c’est cette énergie dont on manque tant ! Si ma société est leader dans son secteur, c’est grâce à eux. Il faut qu’ils puissent s’identifier, qu’ils soient représentés. J’ai appris récemment que la chaîne France Ô allait être diffusée sur tout le territoire à partir du 15 juillet. C’est très bien ! Il faut qu’ils se sentent représentés. On a Zidane, mais on n’a pas tous des jambes en or. Je souhaiterais par exemple qu’un Zidane de la finance sorte de mon université. Il ne faut plus que le Noir et l’Arabe soient systématiquement associés au voleur et au dealer