Samedi 04 juillet était organisée en pleine campagne de Saint-Joseph, au quartier Rousseau, l’inauguration de la fresque monumentale de l’artiste martiniquais de renommée internationale Louis Laouchez. Ce dernier avait choisi comme parrain de cette manifestation, qui a rassemblé une soixantaine d’invités, l’écrivain Raphaël CONFIANT et comme parrain de la signature de la fresque, le député Alfred MARIE-JEANNE.
Voici la courte allocution prononcée par R. CONFIANT
Mesdames, messieurs,
C'est un grand honneur que me fait aujourd'hui l'immense Louis Laouchez en m'invitant inaugurer cette fresque qu'on ne se serait pas attendu à trouver en milieu rural, au beau mitan de cette végétation luxuriante qui nous entoure. Qui dit fresque dit en général bâtiment public et milieu urbain. C'est que fondateur avec Serge Hélénon, de l'école négro-caraïbe, cela en 1970, à Abdijan, Louis Laouchez s'est montré tout au long de sa trajectoire artistique un innovateur, quelqu'un qui n'a jamais hésité à "faire" à contre-courant et quand j'emploie le terme général de "faire", c'est bien pour exprimer l'étendue de son savoir-faire qui va de la céramique au dessin, du collage au travail sur bois, de la peinture sur toile à la fresque laquelle justement nous réunit aujourd'hui.
Oui, homme du contre-courant car il a osé réactiver deux des plus importantes composantes de notre culture, deux composantes enfouies, minorées, voire méprisées : la composante caraïbe et la composante africaine. S'agissant de la première, elle est pourtant partout présente dans notre quotidien : dans le four à charbon, dans le jardin caraïbe, ancêtre du jardin créole, dans la poterie, dans la vannerie, dans la pêche et dans notre créole : "kouliwou", "balawou", "watalibi", "zanma", "kachiman", "mabouya" etc...
Edouard Glissant avait cette formule magnifique : "La culture caraïbe n'a pas disparu, elle a désapparu". Ce néologisme visait à indiquer que si nous n'avions plus une claire conscience de tous ces éléments caraïbes que je viens d'énumérer, ceux-ci étaient bel et bien présents dans nos mains, nos têtes, notre voix, bref notre corps et que, malgré le peu de filiation biologique, nous étions devenus en quelque sorte des néo-Caraïbes.
Cette fresque d'ailleurs que nous découvrons aujourd'hui est une métaphore de l'Ancêtre du peuple caraïbe, le Serpent tutélaire sorti du fond des eaux qui monte sur la terre ferme et donne naissance à une Nation, les Kalinagos, qui 130 ans durant résistera à Christophe Colomb et à l'Invincible Armada alors que ses cousins d Nord, les Taïnos, seront, hélas exterminés, en moins de deux décennies.
Eh bien Louis Laouchez a fait réapparaître à travers ses oeuvres magistrales tout ce pan oublié ou ignoré de notre être-au-monde et mon souhait le plus cher est que la présente fresque traverse le temps et demeure comme un témoignage de la présence du premier peuple à avoir foulé le sol de cette île devenue nôtre.
L'autre composante que Louis Laouchez a su si formidablement remettre en lumière, que dis-je remettre au premier plan, est celle du continent d'où proviennent la majorité de nos ancêrtres, l'Afrique-mère. Oubliée aussi l'Afrique, vilipendée, caricaturée, détestée, oblitérée parce que le Maître nous avait inculqué la haine de nous-mêmes. Afrique qui survit au plus profond de nous, qui brûle encore tel "un vieil amadou", selon le mot d'Aimé Césaire. Afrique ajoutait-il qu'il nous fallait domicilier en Amérique, domicilier en Martinique, chez nous, et non pas nourrir le rêve chimérique d'un retour au continent ancestral. C'est ce qu'a fait Louis Laouchez qui, en Côte d'Ivoire et en Haute-Volta notamment, est allé s'imprégner des couleurs et des formes de l'Afrique, les a incorporées à son oeuve avant de nous les rapporter, ici, en Martinique. Cette fresque que nous découvrons et admirons déjà charrie, je dirais même charroie, toute la force de l'Afrique profonde, pas celle des Nègres bénis-oui-oui, des costumés-cravatés à beau français académique et à grosses voitures, qui nous font honte. Cette fresque parle kikongo, baoulé, wolof, peulh. Cette fresque évoque et invoque les dieux yoroubas, les dieux Vaudou, Legba et Erzilie, tout ce tellurisme mystique que les religions abrahamiques se sont acharnées à détruire et dont les néo-colons à peau d'ébène se chargent aujourd'hui de continuer la sale besogne.
Louis Laouchez nous émeut quand il marie le noir, le blanc et l'ocre. Il en fait des couleurs fondamentales. Mais il sait aussi dans le même temps faire exploser le rouge, le bleu, le jaune et là c'est toute l'allégresse à la fois caraïbe et nègre qui se donne à voir, à palper, à éprouver.
Grand Maître, nous nous inclinons humblement devant ta fresque et nous invoquons le dieu caraïbe Maboya et le dieux africain Legba, celui qui ouvre les barrières, pour qu'ils t'accordent encore dix mille années de vie, selon une formule qu'affectionnent les Chinois, car ton oeuvre nous ouvre non pas seulement à l'universalité, mais surtout à la diversalité.
Simplement : MERCI !