SAUVEGARDER L'IMAGE DE LA MARTINIQUE ?

Des voix s’élèvent actuellement pour protester contre le discours dominant qui viserait à entraver la vérité sur le scandale du Chlordécone. Le dernier en date, celui des professionnels du tourisme qui, des années durant, n’ont pas su prendre le train du développement touristique à l’instar des autres îles de la Caraïbe. En ligne de mire, les révélations parisiennes sur la pollution au Chlordécone qui terniraient selon eux l’image de la Martinique. Une position insoutenable, compte tenu du désastre écologique et de ses conséquences sanitaires, qui est dénoncée par Jean-Laurent Alcide sur le site de Montray kréyol. Nous publions in extenso cette contribution au débat.

 

Voici
donc que nos chers élus, que l’on n’avait jusque là guère entendus sur
la question du chlordécone, commencent à se bouger. A l’Assemblée
Nationale, certains se sont retrouvés en conférence de presse la
semaine dernière lors de la présentation du rapport sur l’utilisation
des pesticides aux Antilles présenté par l’éminent cancérologue qu’est
le professeur Dominique Belpomme, celui que Jacques Chirac n’avait pas
hésité à nommer à la tête du « Plan Cancer ». Or, loin d’abonder dans
le sens du scientifique, certains, des trémolos dans la voix, ont
appelé « à ne pas faire de catastrophisme » et surtout à éviter de
« ternir l’image de la Martinique parce que ce serait dommageable pour
notre tourisme ». Il y aurait de quoi sourire si la situation n’était
pas dramatique.

Sourire
parce que cela fait bien 30 ans que nos élus sont incapables de
développer le tourisme, en dépit de l’existence de deux structures
dévouées à cette charge lesquelles ont fusionné entre temps. Bureau de
promotion à New-York, participation récurrente à toutes les
manifestations sur le tourisme à travers le monde, campagne d’accueil
tous azimuts pour les bateaux de croisière, subventions à des
compagnies aériennes étasuniennes ou vénézuéliennes etc…, toute cette
agitation n’a abouti à rien. Ou plutôt à quelque chose de comique et
dérisoire tout à la fois : la visite de la Martinique par…les
Martiniquais. En termes pompeux, ils appellent ça « le tourisme
intérieur ». Comme si Ti Sonson avait besoin d’une (dispendieuse)
campagne de pub pour aller prendre un bain aux Salines, visiter
l’Habitation Saint-Etienne ou encore escalader la montagne Pelée !

Donc,
non, que nos chers élus ne viennent pas nous raconter maintenant que
c’est la faute au chlordéconne et au professeur Belpomme si plus aucun
bateau de croisière n’accoste au (coûteux) terminal construit pour les
recevoir ou si la compagnie Delta Airlines, lourdement subventionnée, a
suspendu ses vols ! Ce n’est pas sérieux. Pendant 30 ans,
l’empoisonnement au chlordécone est resté caché en dépit des
avertissements lancés par Pierre Davidas et l’ASSAUPAMAR. Le
Martiniquais moyen ne connaissait même pas le nom de ce pesticide
jusqu’à la publication du livre de L. Boutrin et R. Confiant,
« Chronique d’un empoisonnement annoncé » en février 2007. Arrêtez de
toujours vous défausser sur autrui, messieurs-dames ! Et le Français
moyen n’en a entendu parler que depuis…une semaine grâce au tamtam
médiatique fait autour du rapport du professeur Belpomme. Juste une
petite semaine !

Cela
fait plus de 30 ans que le tourisme martiniquais est en panne et
l’empoisonnement aux pesticides n’y est donc strictement pour rien.
D’ailleurs, dans les hôtels, on ne sert pas de patates douces, de
couscouches ou d’ignames-chacha, légumes les plus gravement contaminés.
Pour ma part, je n’ai jamais vu un touriste écraser un « carreau » de
dachine dans son assiette. Et l’eau qui y est servie est plus
« Badoit », « Perrier » ou « Evian » que « Chanflor » ou « Didier ».

Ce
n’est, en fait, là que le triste reflet de notre réalité économique :
93% de ce qui est vendu dans nos supermarchés vient de l’extérieur. On
évoquera alors les restaurants créoles où, effectivement, les produits
locaux sont utilisés, mais, soyons sérieux, ce n’est pas en restant une
semaine ou dix jours seulement dans notre pays, même en mangeant du
dachine chaque jour (ce qui est hautement improbable) qu’un touriste
risque d’être empoisonné ou d’attraper le cancer de la prostate.

On
évoquera ensuite nos fruits tropicaux, fort appréciés des touristes.

Mais justement, poussant hors sols, ils sont hors d’atteinte ou moins
sévèrement atteints que les légumes-racines. Aucun dénonciateur des
pesticides n’a jamais dit qu’il ne fallait pas manger de mangues,
d’abricots-pays, de sapotilles, de chadeck ou d’ananas. Ainsi donc, on
a beau tourner la question dans tous les sens, les trémolos de nos
politiciens quant à la détérioration de l’image de la Martinique par le
chlordécone ne tient pas debout. Ce n’est qu’un masque, un énième
paravent visant à masquer leur incurie chronique en matière de
développement touristique. Car qu’est-ce qui, depuis 30 ans, depuis
qu’Américains et Canadiens (et surtout Canadiennes) ne débarquent plus
en masse dans notre pays ? Les raisons en sont connues de tous :

-cherté de nos chambres d’hôtel
-infrastructures hôtelières inférieures à nos voisins caribéens
-accueil-limite, pour ne pas dire souvent détestable
-non-maîtrise de l’anglais et de l’espagnol
-embouteillages monstres
-saccage de nos paysages campagnards et de nos communes qui finissent par ressembler à Besançon-sous-les-Tropiques
-non
mise en valeur de notre vrai patrimoine culturel au profit d’activités
folkloriques que l’on trouve, en mieux, partout ailleurs dans la
Caraïbe
-hésitation
coupable entre l’image à offrir au touriste : une Martinique
martiniquaise, créole, ou au contraire une Martinique française (la
fameuse French touch) ? etc.

 

On
le voit sans peine : il y a belle lurette que notre tourisme est plombé
par tout cela et le chlordécone, tout récemment révélé, n’est pour rien
dans ce désastre. En fait, à bien regarder, les cries d’orfraie de nos
politiciens ne visent qu’à dédouaner l’Etat français et les Békés en
rejetant la faute sur les écologistes. C’est un comble ! Faut-il se
taire, ne pas dénoncer l’empoisonnement de notre peuple et de notre
pays juste pour préserver une activité, le tourisme, qui n’a jamais
décollé ?

Les Martiniquais jugeront…