SERGE LETCHIMY : DECRYPTAGE D'UN DISCOURS D'INVESTITURE TRAVERSE DE CONTRADICTIONS ET DE PROMESSES !

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Pawol An Bouch Pa Chaj ! 
Par Michel Branchi 

 
 
 
 
Le discours d’investiture de Serge Letchimy 26 mars 2010 en tant que nouveau président de Région n’a pas manqué à la tradition : il s’est voulu consensuel et rassembleur.


Pourtant, à l’analyse, il n’est pas sans poser de sérieuses questions tant les promesses semblent à la fois considérables et enveloppées dans des formules aussi vagues que séduisantes.


Au plan économique, la promesse de campagne de créer immédiatement (dans les 2 ans, a-t-il été précisé  ensuite) 5 000 à 7 000 emplois disparaît.


Sur le plan politique, le leader du néo-PPM veut faire croire, après avoir assassiné l’autonomie enterrée ensuite par Sarkozy, selon la célèbre formule de Claude Lise, que la marche à la Responsabilité continue.


Nous en relevons ci-après quelques points que nous commentons.

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    • Humilité revendiquée : A voir

« Ce n’est pas seulement avec confiance et détermination que j’accède à cette présidence aujourd’hui. Je le fais surtout avec une grande, et sincère, et très profonde humilité », a affirmé d’entrée le nouveau président.
Il est certain qu’il s’agit d’une affirmation que les précédents de l’intéressé rendent nécessairement dubitatif : Le « missionné » par le peuple de Fort-de-France, le sauveur de la Martinique, le messie jure qu’il est humble : il faut le croire. Nous sommes dans le religieux.
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    • Les prédécésseurs honorés

Bien sûr, Serge Letchimy s’est référé à Aimé Césaire, premier président du Conseil régional. Il a ajouté : « Je veux aussi parler de Camille Darsières qui restera dans nos mémoires comme un président visionnaire et bâtisseur de la Région Martinique. C’est l’occasion pour moi de les rétablir post mortem dans leur dignité. ».
Darsières « visionnaire et bâtisseur », cela nous ramène à la controverse sur sa gestion calamiteuse avant 1992 jamais reconnue par le PPM, malgré les rapports accablants de la Chambre régionale des comptes.
Serge Letchimy a également rendu hommage à ses prédécesseurs Emile Capgras et Alfred Marie-Jeanne. Dont acte.
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    • Participation de tous sollicitée : pour aller où ?

« La Martinique nouvelle naîtra de la mobilisation et de la participation de tous, et je serai résolument au service de cette dynamique ! ».
L’action devra conforter l’intention affichée. Mais quelle « Martinique nouvelle » ? Celle qui reste colonie départementale ?
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    • Crise et relance : transformer le système ?

Serge Letchimy livre ici une description de la situation martiniquaise qui, au premier abord, ne peut qu’entraîner l’approbation. Il évoque les « centaines de martiniquais qui vivent dans des difficultés immenses » : difficultés de payer les loyers, les dettes, pour se loger, se former, acheter le minimum vital, retraités qui voient leurs ressources diminuer et sont au bord de la pauvreté (NDR : quand ils n’y sont pas déjà enfoncés), chômage et désoeuvrement des jeunes, entreprises au bord de la fermeture et qui vont supprimer de nouveaux emplois, etc.
D’où, face à cette « crise » et à cette « récession », sa décision de se présenter aux élections régionales. Il n’oublie pas de se poser encore en sauveur et en messie. Il en tire la conviction qu’il faut « traiter toutes ces urgences, apaiser les souffrances ». C’est exactement ce qu’a proposé le PCM dès la fin de l’année 2008 lorsque a éclaté la crise financière capitaliste et ensuite avec Madeleine De Grandmaison avec son programme d’ « urgence économique et sociale » martiniquaise.
Serge Letchimy ajoute qu’il faut aussi « ne rien négliger de l’impérieuse obligation d’aller à l’essentiel, et de transformer en profondeur ce système social, économique et culturel dans lequel nous sommes depuis trop longtemps naufragés ! ».
Mais il ne dit rien de l’origine de la crise de ce « système » et de sa nature. Quel système ? Capitaliste ? Colonial ? Néocolonial ? Libéral ? Social-libéral ? Le PCM et les autres forces anticolonialistes ont identifié que la crise martiniquaise actuelle résultait de la conjonction la crise du système néocolonial départemental arrivé à l’épuisement total après plus de 60 ansde replâtrages, de la politique néolibérale de Sarkozy appliquée brutalement à un pays dépendant et fragile aggravée par les effets de la crise financière capitaliste. D’où la proposition du SMDE, de l’évolution institutionnelle dans le cadre de l’article 74 et l’exigence que l’Etat français assume ses responsabilités dans la politique dite de « relance ». D’où également l’élaboration du budget régional 2010 en hausse de 9,03 % comme contribution à une relance avec un emprunt de 60 millions d’euros et un montant d’investissements de 175,4 millions d’euros.
Quelle transformation en profondeur du « système social, économique et culturel » envisage le chef du PPM ? S’agirait-il d’aller vers une forme de socialisme martiniquais ? Avec Jenny Dulys-Petit et Karine Roy-Camille et Daniel Robin, par exemple associés au conseiller Marcel Osenat ? La promesse de transformer le système n’est là que propos de circonstance, jusqu’à preuve contraire.
Et puis pas un mot de la responsabilité de l’Etat et du gouvernement dans le traitement de la crise au moment où le président du néo-PPM a fait voter le 10 janvier 2010 pour le maintien du système départemental et de l’article 73.
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    • Crise de février 2009 : mener une réflexion sur son sens

Le nouveau président jette un regard rétrospectif sur le sens de la crise de février 2009 et admet qu’elle « est née de ces difficultés insupportables, tout comme elle est née d’un malaise plus profond qui porte sur le sens même que nous donnons à notre vie ». Il reconnaît qu’elle nous a forcés à nous interroger sur les valeurs que nous devons véhiculer « dans notre vie institutionnelle et politique ». Tiens, tiens. Et de promettre de mener une véritable « réflexion » pour « constituer la base même de tout projet global, de toute vision véritablement politique, et de toute construction institutionnelle ». Notre parti, à partir de ses analyses, a compris qu’au-delà des revendications matérielles le mouvement de février 2009 avait un contenu identitaire et « national », même si ses acteurs directs n’en avaient pas toujours conscience. Il exprimait l’échec du colonialisme départemental à bout de souffle et du modèle de faux développement qu’il a porté depuis 1946. Il était la manifestation d’une crise politique et systémique. Que les dirigeants syndicalistes trotskystes l’aient dévoyé, cela est une autre affaire. Serge Letchimy a préféré se mettre en travers d’une issue anticolonialiste à la crise proposée par les forces anticolonialistes parce qu’elle n’émanait pas de lui. Il parle aujourd’hui de mener une réflexion sur « la finalité de la croissance économique ». Mais cette croissance en Martinique est largement artificielle dans son contenu et sa finalité. Que ne le sait-il encore ! Il s’agit d’une croissance sans développement… ainsi que nombre d’économistes sérieux l’ont démontré Quel est le rôle d’un parti de gauche si ce n’est de réfléchir ? Est-ce seulement d’être une machine électorale ? Cela dit, toute réflexion sur des évènements de l’ampleur et de la nature inédites de ceux de février-mars 2009 ne peut être que la bienvenue.
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    • Grands travaux : la promesse de création de 5 000 à 7 000 emplois immédiatement disparaît corps et biens

Le nouveau président propose classiquement des grands travaux dans le domaine des équipements publics, du logement, de l’habitat, de la prévention des séismes, des énergies renouvelables, etc…Il propose de multiplier les formations de jeunes, de femmes et de chômeurs « qui ne soient pas des lieux de garage »… Critique implicite de l’équipe précédente qui, par la voix de Daniel Marie-Sainte, rectifiera sur la question de la prétendue inadaptation des formations.
Mais, contrairement à la campagne électorale où il promettait de « retrouver » 5 000 à 7 000 emplois, aucun chiffre n’est donné. Prudent, le candidat devenu président se contente de promettre : «Tout sera fait pour permettre, dans le cadre de ce plan de relance, une mise en activité du plus grand nombre, face à ce drame qu’est le chômage ».
Eh oui, le réalisme l’emporte sur le désir de faire rêver pour capter des voix.
Au passage, Serge Letchimy annonce ce qui ressemble à un nouveau gadget, la création d’une « commission ad ‘hoc de contrôle, d’évaluation et de prospective de nos politiques publiques » et d’autres commissions ad hoc. Manière de placer la Région sous la pression permanente des diktats lobbys patronaux ? Il envisage un « pacte économique, social et culturel » pour la dynamisation des espaces  géographiques de la Martinique. Et il promet : « pas de privilège pour la Ville de Fort-de-France ». Tonnerre d’applaudissements. Pawol an bouch pa chaj !
Le rôle de l’Etat français dans la politique anti-crise de grands travaux n’est pas indiqué. Le gouvernement ami Sarkozy est-il exonéré de sa responsabilité essentielle ?
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    • Fusion des deux collectivités et collectivité unique : une « dynamique de responsabilité » ? 

Serge Letchimy annonce la création d’un « groupe de travail » avec le Conseil général pour préparer la fusion des deux collectivités dans le respect des droits des salariés.
Il affirme cependant que la mise en place de cette institution nouvelle « s’inscrit, qu’on le veuille ou non, dans une dynamique de responsabilité ». Cette collectivité aurait une responsabilité « instituante » indéniable, affirme-t-il.
Il précise : « A la préparation de la loi ordinaire qui définira les modalités de mise en œuvre de cette nouvelle collectivité, s’ajoutera celle de la réforme de la loi organique de février 2007, visant à l’allongement des délais d’habilitations qui devront permettre à notre pays de légiférer sur des questions aussi transversales et fondamentales que celles qu’implique toute volonté de développement durable ! ».
Voilà  que Serge Letchimy « découvre » benoîtement qu’il faut modifier la loi organique de février 2007 pour obtenir des habilitations législatives tant soit peu viables. La même loi organique pour la mise en place de la Collectivité autonome de l’article 74 était, à l’en croire, un grave danger pour les droits des Martiniquais (Chatt An Sak). Et du même coup, il nous assène que, pour développer réellement la Martinique (qu’il désigne comme un « pays »), il faut avoir la capacité de « légiférer ». Nombre de ceux qui ont rejeté l’article 74 par peur de la plus petite différenciation avec les lois françaises, signe invariable de perte des acquis sociaux et de pas vers l’Indépendance, doivent se frotter les yeux.
On aimerait savoir ce qu’en pensent les Lanoix, Manscour  et autre Crusol scotchés au « droit commun », à l’assimilation législative et à l’assimilation tout court. Contradiction quand tu nous tiens !  Qui a dit que la question du débat institutionnel était close ?
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    • Changement profond en matière de développement : quelle possibilté sans l’Autonomie ?

La création d’ « outils nouveaux » est annoncée à ce titre : création de l’Etablissement public foncier (quel pouvoir réglementaire ?) ; amélioration des aides aux entreprises (pour introduire plus de conditionnalité en matière ce création d’emploi et de formation ?), refonte de l’aide aux communes (pour introduire le concept de « centralité foyalaise » ?)) ; réforme du Comité Martiniquais du Tourisme(pour donner le pouvoir aux patronat du tourisme ?), révision du SAR et activation du SDAT ; mise en place d’outils de prospective et de planification dans la formation professionnelle (existent déjà), l’éducation et la culture, les énergies renouvelables ; booster le partenariat public- privé (vieille revendication du Medef) et recourir aux concessions de service public (mesure d’inspiration néolibérale pouvant être un premier pas vers la privatisation) ; l’utilisation optimale des sociétés d’aménagement (Semaff, Sémavil) et d’HLM (pourquoi pas ?) ; etc.
La relance et la consommation de la production locale par l’organisation des filières est annoncée : artisanat, agriculture, élevage, pêche, tourisme, etc. Dans ces domaines on ne part pas de rien. Mais l’amélioration de la couverture des besoins par la production locale est une nécessité qui se heurte en permanence à l’obstacle de la concurrence féroce de l’importation résultant du statut néo-colonial. Comment améliorer l’auto suffisance sans leviers réglementaires ? La surtaxation de l’importation par l’octroi de mer est nécessaire mais insuffisante pour protéger la production locale et pénalise le consommateur martiniquais, sauf à subventionner à outrance les produits locaux. Contradiction
Il est affirmé  aussi l’intention « de soutenir et encourager le dialogue social », ce qui ne peut qu’être loué s’il s’agit de faire respecter les droits des travailleurs.
Est mentionné  la recherche de la « meilleure union régionale possible » avec la Guyane et la Guadeloupe, ainsi qu’avec l’espace caribéen et américain. Exemple : la question du carburant et de l’avenir de la SARA. Vaste chantier…urgentissime en effet. Une «  réflexion » est programmée sur la fiscalité locale et en particulier l’octroi de mer (harmonisation). Cela est déjà différent de l’annonce de la baisse de la fiscalité locale pour faire baisser les prix contenue dans le programme de Serge Letchimy. La question de la vie chère d’ailleurs est occultée alors qu’elle figurait dans le programme du candidat. Que peut faire la Région dans ce domaine sans pouvoir réglementaire, hormis abaisser les taux d’octroi de mer sans pouvoir vérifier si cette baisse est répercutée dans les prix à la consommation ? Voilà une promesse qui apparemment s’envole.
Un grand plan jeunesse est avancé. Tout à fait utile pour notre cohésion sociale, vu la fracture générationnelle qui mine notre société. Mais avec quels moyens ?
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    • Les principes et les valeurs : A géométrie variable

Pour la relance comme pour son « Projet qui ira au-delà de cette mandature », proclame-t-il, Serge Letchimy rappelle ses principes.

 

Premier principe : « c’est d’abord aux martiniquais qu’il appartient d’imaginer et de mettre en œuvre la destinée martiniquaise ! », affirme le nouveau président en se référant à la célèbre formule de Pierre Aliker. Il parle même de revendication d’une « responsabilité pleine (…) sans remettre en cause notre appartenance au pacte républicain français ». On se demande si l’on ne rêve pas. Est-ce le retour de l’Autonomie jetée aux orties, il y a peu ? 
Il affirme avec un certain toupet : « Les martiniquais ont rejeté la fragilisation aventureuse mais ils n’ont pas rejeté la possibilité d’agir sur leur destin !
Ils n’ont pas rejeté un renforcement de nos compétences qui ne remettrait pas en cause tous les acquis économiques et sociaux qui nous ont été assurés par la lutte héroïque de nos aînés ! ». Et pourtant la campagne du néo-PPM lors de la consultation du 10 janvier a été basée essentiellement sur la peur de la perte des acquis sociaux (« rupture de l’égalité des droits »), la crainte de l’inconnu et le refus de toute différenciation législative d’avec la France allant jusqu’à condamner comme xénophobe la revendication d’une « préférence territoriale » dans l’emploi et le patrimoine foncier pourtant inscrite dans l’article 74. Quoiqu’il dise, « la fragilisation aventureuse » qu’il a ancrée monstrueusement dans les esprits et les consciences  sera ressortie à tous les coups, autonomie constitutionnelle ou pas, pour susciter le refus de toute évolution. Le contraire de la confiance en soi, mais l’auto-dénigrement, l’auto-dévalorisation, etc.
Il revendique le progrès « dans un champ constitutionnel capable de reconnaître nos différences, notre identité et notre personnalité collective ». Autrement dit « l’autonomie constitutionnalisée » puisque il a été décrété que l’article 74 « tel que rédigé » est l’anti-chambre du largage. A quand cette révision constitutionnelle puisque l’actuel hôte de l’Elyzé l’a écartée catégoriquement ? Sous quelle forme ? L’horizon de Letchimy et du PPM s’éloigne au fur et à mesure qu’il avance. Deux, quatre, six ans et plus.
En effet, beaucoup des mesures annoncées nécessitent l’Autonomie. Là réside sa contradiction principale du programme régional de Letchimy.

Deuxième principe : « Pas de développement ou d’épanouissement sans une bonne gouvernance ! ». Le mot « gouvernance » emprunté aux programmes d’ajustement structurel imposés par le FMI aux pays en voie de développement vaut son pesant d’adhésion au libéralisme. En résumé, il s’agirait d’insuffler plus de démocratie participative et d’implication de la société civile dans les décisions politiques à l’occasion de la mise en place de la Collectivité unique. Fort bien.

Troisième principe : « Pas de développement ou d’épanouissement sans des institutions fortes ». Dans un monde soumis à la « logique économique globale » du profit maximal, il s’agirait de faire de la Collectivité unique « une assemblée instituante, un outil au service de l’intérêt du pays tout entier », au service de la solidarité, de « la citoyenneté active sans esprit de profit » sachant animer un secteur privé dynamique, etc. Des énoncés très généreux mais vagues. Comment résister au capitalisme libéral sans pouvoirs et compétences ? Encore des paroles verbales pour faire miroiter un anticapitalisme séducteur mais qui ne s’en donne les moyens. Typiquement social-démocrate.

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    • Un Appel à la confiance en nous-mêmes et au travail assez ahurissant

Le nouveau président a lancé un appel au travail au personnel de la Région et à l’ensemble des Martiniquais qu’il a appelé à croire en la Martinique et en eux-mêmes.
Il a lancé : « Cette mandature ne sera pas celle d’un simple Conseil Régional. Elle sera celle d’une assemblée de travail ! Une assemblée de fondation et de prospectives ! ».
Demander de croire en la Martinique et en nous-mêmes après avoir pendant plus d’un an mené la plus formidable campagne sur la peur non seulement de perdre les acquis démocratiques et sociaux, mais surtout sur la peur du changement et qui va laisser des traces indélébiles, cela est assez incroyable et ahurissant. Ce langage de la confiance, du travail et de l’effort, c’est celui que l’on attendait de celui qui se prétend l’héritier d’Aimé Césaire, le « père de la Nation martiniquaise ». Sur ce point il a failli au moment décisif.
Maintenant, la vie ne s’arrête pas au 10 janvier 2010 et encore moins au 21 mars 2010. Les contradictions du système néocolonial départemental et capitaliste vont se développer inéluctablement et Serge Letchimy comme nous tous devront y faire face.
La lutte de libération nationale et sociale continue, malgré les revers, les reniements et les trahisons, mais aussi avec ses avancées et les leçons de l’expérience. Nous en sommes persuadés.

 

                                                                                                 Michel BRANCHI
                                                                                                 Economiste,
                                                                                                 membre du BP du PCM

           28/03/2010