SERIES FRANCAISES : FAUT-IL UNE BELLE MORALE A LA FIN DE L'HISTOIRE ?

10 idées reçues sur les séries françaises décortiquées par six scénaristes (7/10 & 8/10)

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Suite de notre enquête : Deux nouvelles questions, six scénaristes réagissent !

 

Trop lisses, trop convenues, pas assez politiques, copiées sur les Américains, les séries françaises sont accusées de tous les maux. Où en est la production hexagonale? Les choses ont-elles changé? Que faut-il encore corriger ? Confrontés à 10 idées reçues, vraies ou fausses, six scénaristes réagissent.

 

Jean-Marc Auclair: créateur de B.R.I.G.A.D (2000-2004 sur France 2) et Mes Amis, Mes Amours, Mes Emmerdes (depuis 2009 sur TF1).

Eric de Barahir: scénariste sur les saisons 2 et 3 d’Engrenages (depuis 2005 sur Canal+) et Les beaux mecs (en tournage pour France 2).

Marc Herpoux: créateur des Oubliées (2007 sur France 3) et Pigalle, la nuit (2009 sur Canal+).

Nicole Jamet: créatrice de Dolmen (2005 sur TF1) et présidente du Festival Scénaristes en Séries (et de l’association éponyme).

Olivier Kohn: créateur de Reporters (2004-2009 sur Canal+).

Frédéric Krivine: créateur de P.J (1997-2009 sur France 2) et Un Village Français (depuis 2008 sur France 3).

 

Idée reçue n°7: il faudra une belle morale à la fin de l’histoire.

Nicole Jamet. Non, c'est plutôt: laissez le spectateur être bien confortable à la fin de l'histoire.

Eric de Barahir. Là aussi, à part sur TF1, les choses ont beaucoup changé. Après […] les gens ont-ils envie de ne voir que des choses obscures et sombres ? Je ne le pense pas. Les Américains, qui sont allés très loin dans les héros « négatifs », sont d’ailleurs peut être en train de revenir en arrière. A force de présenter systématiquement des héros méchants, The Shield, Dexter, The Sopranos… le public commence à se lasser. Je pense qu’en France on a encore un peu de marge… A quand Joséphine faisant un croche pied à une vieille en déambulateur ?

 Jean-Marc Auclair. C'est un peu daté. Mais quand on fait de la télé, on sait aussi où on va.

 Frédéric Krivine. La question de la morale, d’une vision de l’humanité, du bien et du mal, reste posée quand on s’adresse à des millions de spectateurs. Le public sait, de par son expérience personnelle, que l’humanité, c’est beaucoup d’ombres et pas mal de lumière. Il sait donc inconsciemment que la vision que vous lui présentez – en matière d’ombres et de lumière – c’est un choix de votre part. Il n’a donc aucune envie de suivre durablement les séries qui ne s’intéressent qu’à ce qui marche le moins bien dans l’humain, comme Profit ou en France La Commune. Pourquoi viendrait-il à un rendez-vous qui lui propose de ne parler que de la merde alors qu’il sait que les fleurs existent aussi ?

 

Idée reçue n°8 : C’est bien si c’est copié sur les Américains.

Nicole Jamet. Ce qui a marché ailleurs est rassurant, la création, c'est tellement difficile à contrôler.  Les gestionnaires, les technocrates et les créateurs, ce sont des mondes qu'il est difficile de juxtaposer. Mais faire l'artisan copiste n'a rien de très intéressant, sinon parfois financièrement.

 Olivier Kohn. Ce n’est a priori pas ce qu’il y a de plus valorisant pour un auteur (français s’entend!). Mais tout dépend de ce qu’on appelle « franciser ». S’il s’agit de reprendre les scénarios originaux pour les traduire et faire une vague adaptation culturelle, je ne pense pas que ce soit très épanouissant (mais il ne faut jamais dire «jamais» !). S’il s’agit de partir d’un «high concept» fort en ayant une certaine latitude pour modifier les personnages, les intrigues, bref, réinvestir ce concept de départ de l’intérieur… pourquoi pas ? Mais si la série d’origine est une réussite, il serait sans doute difficile pour l’auteur français de s’affranchir de cette statue du Commandeur…

 Marc Herpoux. Je trouve qu'on touche, dans cet «impératif», à ce qu'il y a de plus désolant, et imbécile ! Il y a toujours à prendre dans une culture autre que la sienne. On peut (doit?) se nourrir «d'ailleurs». Pas que sur le terrain esthétique. Il y a beaucoup à prendre des anglo-saxons sur leur pragmatisme (ils ont tout une histoire philosophique qui va avec, de «l'empirisme» à «l'utilitarisme»). Mais «pomper» bêtement, leurs thèmes, leurs mythologies, décliner sans réflexion aucune la plupart de leurs idéologies… relève d'une bêtise crasse et d'un cynisme destructeur. C'est aussi con que de vouloir reproduire les plaines du Far West au milieu de la Creuse ! Cette «américanisation» devrait nous questionner. Aujourd'hui, les gens connaissent mieux la «guerre du Vietnam», que la «guerre d'Indochine». Des pans entiers de notre histoire restent tabous… Je ne dis pas « censurés », je dis bien «tabous» – Ça concerne autant les auteurs, les diffuseurs, les producteurs… que les téléspectateurs ! Arrêtons la démagogie ! […]

"L'américanisation" est dangereuse, parce que schizophrène. […] Où est le problème? Biberonné aux séries américaines, il y a des thèmes et des figures qu'on veut retrouver. C'est instinctif. On les attend. On aime entendre notre héros hurler : "Freedooooooom!!!!!" (Aaaah, la liberté). On veut qu'il dise: "It's a question of justice, that's all!" (Aaaaah, la justice). On veut le voir pleurer: "Where is my familly?" (because the family is very important !). On pourrait décliner comme ça les questions raciales, les communautarismes, les questions de frontière, etc. Sauf que tout ça… ben, ce n'est pas nous! Et quand on le copie, ben ça sonne faux… ce n'est pas crédible. Très bien, ne copions plus alors ! Oui, mais là, les gens viennent plus ! "Parce que quand c'est français c'est moins bien et que les français y savent pas faire !" Etrange, non ? […]

To be continued .../... A suivre

SOURCE : Slate.fr