Les chiffres frelatés de SARKOZY
Un Chef d’Etat peut-il déterminer et conduire une bonne politique, si le n’importe quoi nourrit sa réflexion et son discours, si des chiffres frelatés fondent son diagnostic, s’il connaît aussi mal le pays qu’il prétend diriger ?
Source : Le Monde
1 – Services non compris Pour relancer l’économie paralysée par la crise, le Premier ministre britannique Gordon Brown a décidé se soutenir la consommation, en abaissant de 1,5 point le taux de la TVA. Pourquoi le président Sarkozy, lui, a-t-il exclusivement « parié » sur l’investissement ? « Si les Anglais ont fait cela, répondit-il, c’est parce qu’ils n’ont plus d’industrie, à la différence de la France (…). Les services pèsent pour 15% du PIB anglais. Ils pèsent pour 3% du PIB français. Tant mieux. (…) Gordon Brown ne peut pas faire ce que j’ai fait avec (…) un certain nombre d’industries parce qu’ils n’en ont plus. » Il est vrai que la part de l’industrie manufacturière dans le PIB britannique a beaucoup diminué depuis vingt ans. Celle de l’’industrie française aussi. L’ironieveut que l’industrie pèse exactement le même poids dans le PIB des deux côtés de la Manche, soit 12,6% selon l’OCDE (cliquez sur le graphique pour le lire en pleine page). Quant aux services, ils occupent en France une part prépondérante du PIB : 77,3% - et non pas 3% ! Cela place la France au deuxième rang derrière le Luxembourg parmi les trente pays de l’OCDE, devant les Etats-Unis et… le Royaume Uni (76,2% et non pas 15%). Ignorer ces chiffres ne serait pas grave. Se tromper à ce point dans les ordres de grandeur est stupéfiant. 2 – Perseverare diabolicum Nicolas Sarkozy a également justifié son opposition à une baisse de la TVA en se gaussant d’un échec britannique : « Le jour où les Anglais ont décidé de réduire de deux points la TVA [c’est 1,5 point en fait, mais le président n’est pas à cela près], un certain nombre de responsables politiques se sont précipités pour dire : C’est ce qu’il faut faire. La consommation, depuis, en Angleterre, non seulement n’a pas repris mais elle continue à baisser. » On se demande bien d’où lui vient cette certitude. L’Office for National Statistics a publié le 23 janvier des chiffres indiquant le contraire (cliquez sur le graphique). Au Royaume Uni, la consommation des ménages en produits manufacturés s’est accrue de 2,6% de novembre à décembre 2008, et de 4,3% de décembre 2007 à décembre 2008. C’est en France, selon l’Insee, qu’on enregistre une baisse de la consommation : -0,9% de novembre à décembre 2008 ; -1,7% de décembre 2007 à décembre 2008. Le président l’ignorerait-il ? Se tromper une fois, passe encore. C’est l’insistance qui inquiète. Car François Fillon a tenu exactement le même discours le 27 janvier à l’Assemblée nationale, sortant de son chapeau un chiffre spectaculaire : au premier mois de baisse de la TVA, les Britanniques auraient, affirma-t-il, réduit leur consommation « de 3,3% ». Le gouvernement aurait-il abandonné sa réflexion politique à une officine de communicants ? Errare humanum est. Perseverare diabolicum 3 – Mandarin Curaçao Dans son bêtisier personnel, le Chef de l’Etat semble disposer d’un outil universel. Un gadget qu’il avait déjà utilisé le 24 avril 2008 et qu’il a ressorti le 5 février 2009. C’est le fameux partage - idéal selon lui - des profits des entreprises en trois tiers : un tiers pour les actionnaires, un tiers pour l’investissement, un tiers pour les salariés. Le président en oublie le quatrième tiers, celui des impôts. De sorte que son partage idéal rappelle la recette du Mandarin-Curaçao du Bar de la Marine, dont César instruisait ainsi Marius : « Un tout petit tiers de curaçao, un tiers de citron un peu plus gros, un BON tiers de Picon, enfin un GRAND tiers d’eau ». Parle-t-il des profit hors taxes ? Admettons-le. Cela ne donne pas plus de sens à cette proposition. L’analyse en avait été faite il y a près d’un an aux plus anciens lecteurs de Déchiffrages, à partir des comptes nationaux de 2005 et, pour la même année, des statistiques sur la part des profits aujourd’hui versée aux salariés : l’intéressement, la participation, les plans d’épargne entreprise, enfin les plans d’épargne retraire collectifs. En 2005, les entreprises non financières avaient fait 207 milliards d’euros de profits hors taxes ainsi répartis : 70 milliards pour les actionnaires, 123 milliards pour l’autofinancement des investissements, 14 milliards pour les salariés. Les actionnaires ont donc perçu, d’ores et déjà, le tiers que Nicolas Sarkozy leur destine. Pour rééquilibrer le reste selon le cocktail présidentiel, il faudrait diminuer la part consacrée aux investissements de 56 milliards, et augmenter d’autant la part de salariés. Une telle option a-t-elle le moindre sens, pour qui prétend relancer l’activité par l’investissement ?