Ne pas se payer de mots et agir vraiment pour conquérir de véritables « espaces de souveraineté »
Le patronat martiniquais a interpellé récemment le président du Conseil régional de la Martinique, président du PPM, Serge Letchimy, dans une lettre ouverte publiée sur une pleine page du quotidien France-Antilles du 28/10/2011 sous le titre alarmiste : « S.O.S Martinique en panne ».
Patrick Chamoiseau, chargé de mission auprès du président du Conseil régional et qui lui sert aussi de plume, vient de répondre sous la forme d’une « adresse ouverte aux chefs d’entreprise de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane » » publiée dans France-Antilles du 4/11/2011 sous le titre « Mettons nos entreprises au cœur de nos innovations » et dans l’Humanité, journal fondé par Jean Jaurès, du 8 novembre 2011 sous le titre « Pour une économie, vaillant vecteur au service de l’humain ».
S’appuyant les dernières données publiées pour la Martinique par l’Iedom et l’Insee l’association patronale « Contact entreprises » avait déclaré que « l’Europe est en panne », « l’Etat est en panne » et « les collectivités locales sont en panne » et surtout que « le pire est à venir parce que nous n’avons pas touché le fond ». Ce qui est hélas vrai. Le patronat réclame « le retour de la confiance » et « des signes positifs forts (…) démontrant que les acteurs politiques, économiques et sociaux travaillent ensemble ».
Le patronat martiniquais, de longue date, mène une bataille idéologique pour que, sous couvert de la nécessité de l’entreprise, soit reconnu la légitimité du profit et de l’exploitation et son droit à co-diriger les affaires martiniquaises.
Patrick Chamoiseau réplique : « Mais il existe une autre lecture. Elle serait de se dire que ces chiffres n’expriment que l’obligation d’inventer une nouvelle espérance : d’ouvrir un lasotè sur d’autres d’horizons. Qu’ils n’attestent nullement de l’absence de chemin ou de voie praticable, mais que nous sommes enjoints d’abandonner toutes les passes et impasses qui jusqu’alors nous ont servi de route et de déroute. En clair : sommés de plus d’intelligence, de créativité, de radicale innovation. ». Cela est fort juste, a-t-on envie d’applaudir. La réponse à la crise du système néo-colonial départemental en Martinique réside fondamentalement dans une orientation nouvelle de notre mode de développement.
S’agissant de l’Europe, Patrick Chamoiseau demande : « L’Europe est en panne ? Laquelle ? Celle des technocrates, des financiers, des sauvageries du dieu de la croissance, des banques et du Marché ? Parfait : menons ce combat politique pour une Europe d’économie plurielle, solidaire et sociale (…) ».
D’accord, est-on tenté de dire. Mais n’est-ce pas Serge Letchimy et le PPM que Patrick Chamoiseau soutient qui ont voté pour le Traité constitutionnel européen en 2005 et approuvé maintes fois cette Europe néo-libérale aujourd’hui en crise ?
Concernant l’Etat, l’auteur prend aussi une traverse à gauche et interroge : « L’État est en panne ? Lequel ? Celui qui se retrouve asservi par les hystéries de l’ultralibéralisme dont il fut le trop zélé servant et le partenaire dérisoire ? Parfait. Menons ce combat politique pour un Etat d’investissement culturel, social, solidaire, éthique et équitable. Un Etat soucieux du service public, capable de dompter la finance et d’ordonner aux banques et pour lequel l’économie ne constituerait plus sa propre finalité, ni le panier à crabes d’une course aux profits, mais un vaillant vecteur au service de l’humain. ».
Pourtant on a vu Serge Letchimy faire des risettes à Nicolas Sarkozy et à François Fillon. Patrick Chamoiseau croit-il vraiment que le candidat socialiste à la présidence de la République française, François Hollande, que promotionne le président du néo-PPM a la volonté de « dompter la finance et d’ordonner aux banques » et d’en finir avec « la course aux profits » alors que Hollande se fixe comme objectif de ramener le déficit français à 3 % du PIB comme Sarkozy ?
L’humain, proclame fièrement Patrick Chamoiseau. Eh oui, c’est le programme du Front de gauche soutenant Jean-Luc Mélanchon qui s’intitule « L’Humain d’abord » et pas celui du député de la Corrèze qui a les faveurs de ceux avec qui il chemine.
A propos des collectivités locales, notre Prix Goncourt attaque : « Les collectivités locales sont en panne ? Lesquelles ? Celles qui sont restées soumises au tocsin des urgences, acculées à gérer la paupérisation galopante, les faits et les méfaits d’un capitalisme totalitaire, lequel génère chez nous passivité, assistanat, débrouillardise involutive et dépendance mentale ? Parfait. Alors, ordonnons que l’Assemblée unique à venir abandonne toute logique de gestion, tout syndrome de guichet, et qu’elle se définisse dans et par les exigences d’une autonomie de la pensée, de la conception, de l’auto-organisation (…) ».
On comprend qu’il vise la gestion d’Alfred Marie-Jeanne, ancien président du Conseil régional de la Martinique, et Claude Lise, ancien président du Conseil général de notre pays, jugée par le PPM trop frileuse pour l’un et trop aventureuse pour l’autre. Contradiction.
Mais quelle collectivité locale martiniquaise, dans le contexte de sous et mal- développement néo-colonial actuel de chômage massif frappant 3 Martiniquais sur 10 et 6 jeunes de moins de 25 ans sur 10, n’est pas « acculée » à gérer la paupérisation galopante et les faits et méfaits du « capitalisme totalitaire » ?
Suffira –t-il que l’Assemblée unique future, dont l’installation est prévue par le gouvernement actuel en 2014, « ordonne » d’abandonner toute logique de gestion et décrête « l’autonomie de la pensée », comme le proclame notre célèbre écrivain ? Or elle demeurera dans le carcan de l’assimilation-départementalisation, à quelques aménagements mineurs près (aléatoires habilitations législatives) si tout se passe bien ?
Mais alors pourquoi ne pas avoir « ordonné » l’Autonomie tout court que seul permet l’article 74 de l’actuelle Constitution française lors de la consultation populaire déloyale du 10 janvier 2010 au lieu d’avoir avec Serge Letchimy fait le choix peureux du statu quo dans l’assimilation de l’article 73 si Patrick Chamoiseau veut vraiment aller vers « l’auto-organisation » ? A l’évidence, il est déjà en campagne pour la Collectivité unique en 2014. Cette dernière, telle que votée, ne relèvera pas d’un hypothétique 73 et demi ou d’un mythique 74 bis, mais du droit commun départementaliste le plus basique.
Comment donc cette assemblée unique à venir va-t-elle, comme le promet de manière pompeuse notre penseur, s’inscrire « dans l’autorité d’une gouvernance par faisceaux de projets capables d’ouvrir à des espaces de souveraineté » ? On croit revenir aux fameux « marronnage institutionnel » consistant à dépasser les compétences propres du Conseil régional prôné en 1998 par certains des porte-plumes de Pierre Samot, parmi lesquels se trouvait un certain Patrick Chamoiseau.
La réalité, c’est que la future assemblée unique n’aura, pour l’essentiel, aucun pouvoir nouveau ni moyens financiers supplémentaires, sauf la meilleure efficacité qui résultera de rationnaliser et mieux utiliser les ressources provenant des deux collectivités actuelles (région et département) dont elle sera l’héritière.
Les « espaces de souveraineté » dont rêve Patrick Chamoiseau, seule l’autonomie limitée de l’article 74 pouvait les créer. Tout le reste n’est hélas qu’illusion des mots et, pour tout dire, mystification.
Alors notre chargé de mission auprès du président du Conseil régional s’efforce de répondre à l’exigence patronale d’un « retour de la confiance » comme condition de la reprise des investissements des capitalistes martiniquais. Ces derniers, en effet, reconnaissent benoîtement qu’ils ont stoppé d’investir les 300 millions d’euros annuels qu’ils plaçaient dans l’économie martiniquaise avant la crise sociale de 2009. Soit 900 millions retirés sciemment depuis trois ans à l’économie du pays.
Patrick Chamoiseau demande aux capitalistes martiniquais de « pratiquer » la confiance « tout de suite » et de « participer aux grands projets structurants mis en branle dans le Grand Saint-Pierre et dans L’Embellie Trois Ilets ». Il leur lance : « Rejoignez-les, faites-leur confiance, faites-vous confiance : maintenant ! ».
La véritable question est là : l’oligarchie coloniale qui tient l’économie a-t-elle confiance dans le pays et en elle-même ? Jusqu’ici elle a toujours cherché des opportunités de gagner rapidement de l’argent au moindre risque et ne conçoit pas d’investissement sans défiscalisation, sans exonérations, sans subventions et aides pour maximiser les profits à court terme. Il s’agit en général d’un capitalisme compradore parasitaire. Sa seule religion c’est le taux de profit maximal et la vitesse du retour sur investissement. Selon l’Insee, le montant des profits bruts a été en Martinique de 2 692 millions d’euros en 2007 (2,7 milliards d’euro !), soit 37,4 % de la création de richesses. Et le Pr Olivier Sudrie du cabinet DME a établi pour la Chambre de commerce de la Martinique en juin 2010 que les profits ont explosé en Martinique durant la décennie 2 000 passant de 27 % de la valeur ajoutée créée à 37 % alors qu’en France la part des profits tourne autour de 30/31 %. C’est un des effets de la défiscalisation.et des politiques libérales.
C’est une garantie sur le maintien d’une telle rentabilité que la grande bourgeoisie coloniale exige de l’Exécutif local quand elle parle de « retour de la confiance » et non des envolées sur « l’imaginaire » ou la « poétique » si chers à Patrick Chamoiseau. L’écrivain leur demande d’être Martiniquais. Leur patrie c’est l’argent.
Dans la lignée de sa condamnation de l’Europe des financiers et des banques, de l’Etat ultralibéral et des collectivités sans pouvoirs, l’auteur de Texaco devrait savoir qu’une des voies du développement indispensable implique que à la collectivité martiniquaise puisse arracher la capacité d’investir directement dans les « chantiers innovants ». Sinon nos chômeurs pourront attendre longtemps le bon vouloir des capitalistes martiniquais plus préoccupés de faire fructifier la rente de l’import-consommation.
Pour cela il faut conquérir un vrai pouvoir martiniquais et de véritables « espaces de souveraineté ». C’est en cela que consiste « ouvrir un lasotè sur d’autres d’horizons». Sinon on se paie de mots.
Fort-de-France, le 12/11/2011
Michel Branchi.
Economiste, Rédacteur en chef de Justice, hebdomadaire du PCM