Insertion régionale et implosion de l’UAG
Par Fred RENO [...]
Les régions de Guadeloupe, Guyane et Martinique s’apprêtent à adhérer à l’AEC (Association des Etats de la Caraïbe) au Caricom (marché commun des Caraïbes), à la Cepalc (Commission économique pour l’Amérique latine et les caraïbes), et à l’OECS (Organisation des Etats de la Caraïbe orientale). Dans le même temps on assiste au démantèlement de l’UAG (Université des Antilles et de la Guyane, suite à la demande d’une intersyndicale mobilisée soutenue par les acteurs politiques du territoire. La demande a été acceptée par le gouvernement qui a acté la création d’une université de plein exercice en Guyane. Le débat est ouvert sur les autres pôles. La Région Guadeloupe est prête à accompagner un mouvement similaire.
.
L’examen de ces événements dévoile un paradoxe surprenant. Notre volonté de rejoindre la «grande famille caribéenne», pour reprendre une des expressions fétiches de Rex Nettleford ce grand acteur de l’intégration régionale et Vice Chancellor de UWI (équivalent de Président), s’accommode d’une incapacité de construire avec nos plus proches parents. La démarche de construction d’une université commune par les Guadeloupéens, Guyanais et Martiniquais est en train d’échouer. Tout cela au nom du territoire et de l’identité. Comme si une université «carburait» au territoire et à l’identité. Comment expliquer alors que notre voisine UWI, née en 1948 qui couvre 17 Etats et territoires et qui comprend trois campus (Jamaïque, Barbade et Trinidad) comme nous soit encore vivante en dépit des velléités nationalistes ? Comment expliquer que des Etats-nations où l’identité affirmée se traduit dans des hymnes et drapeaux réussissent à sauvegarder une institution régionale dont l’intérêt pour chacun semble évident. S’il est vrai que l’offre de formation ne peut ignorer le territoire dans lequel elle s’inscrit, les principaux moteurs de l’attractivité des universités sont l’ouverture, la compétence, la qualité des enseignements et de la recherche. Notre devoir est de former des jeunes capables de courir le monde, car aucun de nos territoires ne pourra absorber tous ses étudiants.
Pourquoi serions-nous plus inventifs que nos collègues universitaires anglophones, pour imaginer qu’il est préférable d’être tout petits quand on est petits ?
S’il est vrai que la qualité d’une université ne se mesure pas à la taille de ses effectifs, en France on encourage le regroupement des collectivités locales, des universités, des centres de recherche et l’émergence de métropoles compétitives. Aux Antilles et en Guyane on va à contre courant et on détruit l’une des rares institutions qui nous donnait le sentiment de sortir de nos chapelles et de partager concrètement une part de caribéanité. Aveuglés par notre égo et nos intérêts, nous trahissons un discours universaliste que nous sommes pourtant nombreux à prêcher au nom dune conception réductrice de l’identité.
L’identité est un construit. Si je conçois une identité politique nécessaire à l’affirmation d’un territoire dominé, dans le domaine universitaire mon identité n’est pas nationale et encore moins locale. L’université n’est pas compatible avec la fermeture identitaire. Profitons de ce débat pour inventer et imaginer un autre espace universitaire. Et si nous créions un campus à Saint Martin? Pourquoi ne pas nous ouvrir à nos voisins de la Dominique et de Sainte Lucie selon des modalités juridiques et des contenus à définir ? Le contexte de coopération et d’insertion régionale y est favorable.
Pour l’heure et afin de dénouer cette crise il est souhaitable de consulter les étudiants, les personnels administratifs et les personnels enseignants sur les deux options envisagées :la création d’une université de Guyane, d’une université de Guadeloupe et d’une université de Martinique ou la création d’une Université des Antilles dont les pôles bénéficieraient d’une autonomie renforcée
1 La Guyane n’est pas concernée par l’OECS en raison de sa position géographique et n’a pas fait de demande d’adhésion à l’AEC comme membre associé.
Fred RENO
Professeur de science politique et directeur du CAGI (Centre d’analyse géopolitique internationale)