Une jeunesse en grande vulnérabilité
par Raphaël CONFIANT
Chers (es) camarades écologistes,
Il m'a été demandé de traiter aujourd'hui de la question de la jeunesse martiniquaise, question à la fois redoutable mais incontournable dans un pays qui est en voie de vieillissement accéléré depuis quelques années.
Je vais commencer par un triste constat que tout un chacun peut faire : une grande partie de nos jeunes est en déshérence, surtout les garçons, ce qui autorise à parler d'un véritable désastre masculin en Martinique, même si les filles ne sont pas épargnées. Chacun peut, en effet, constater qu'en dépit de la scolarisation quasi-totale de notre population, en dépit de l'action d'un grand nombre de structures associatives, tant culturelles que sportives, en dépit des programmes pour la jeunesse mis en place par nos collectivités locales et nos municipalités, le désarroi ne cesse de s'amplifier.
Désarroi qui se manifeste d'abord par une violence entre jeunes eux-mêmes puisque pas un mois ne s'écoule sans que l'un d'entre eux - le plus souvent de sexe masculin - ne soit tué au cours d'une rixe et cela pour des motifs le plus souvent anodins, voire futiles.
Désarroi qui se manifeste ensuite par l'utilisation massive de produits stupéfiants et d'alcool qui finit par transformer nombre de ces jeunes en ce que l'on appelle désormais des "jompies", mot qui n'est jamais que la transformation du mot "zombis".
Désarroi qui se manifeste enfin par une propension au pillage de magasins de biens de non nécessité absolue (motos, télés écran-plat, téléphones portables etc.) à l'occasion de la moindre échauffourée ou, plus grave, de grèves pacifiques comme ce fut le cas en février 2009.
Une fois, ce constat dressé, il faut alors se demander quelles sont les causes de cette situation catastrophique.
La première chose qui vient à l'esprit est bien sûr le chômage et l'absence de perspectives, y compris pour les Bac + 4 ou + 5. 65% de nos moins de 25 ans sont sans travail et le Pôle Emploi, malgré sa bonne volonté, ne peut rien pour eux.
Comment en est-on arrivé là ?
Il y a d'abord, la destruction méthodique de notre agriculture et de notre appareil agro-industriel par les pouvoirs en place et la caste dominante laquelle ne comporte pas, hélas, que des Békés. Chacun a à l'esprit l'exode rural des années 60 suite à la fermeture des usines à sucre, mais on oublie parfois que cet exode ne s'est jamais arrêté.
Notre pays, surtout le Nord, tant Atlantique que Caraïbe, n'a cessé de se désertifier et la dilapidation des terres agricoles de s'amplifier. Chaque année près de 1.000 hectares partent en fumée ou plus exactement sous les coups de boutoir de la bétonisation et de la bitumisation. Si bien qu'au cours du demi-siècle écoulé - entre 1960 et aujourd'hui donc - on a vu une sorte de monstre se constituer que certains nomment pompeusement la conurbation Schoelcher-Fort-de-France-Lamentin-Ducos.
Monstre parce que dans aucune île de la Caraïbe, je dis bien AUCUNE, les 2/3 de la population ne vivent au même endroit. Même la Guadeloupe possède deux pôles éloignés, Pointe-à-Pitre et Basse-Terre, qui permettent d'équilibrer le territoire. La Martinique est devenue comme un corps composé d'une tête énorme et d'un corps filiforme. Il s'agit là d'une situation ingérable à tous niveaux. Ingérable au niveau de la circulation automobile, ingérable au niveau sociétal avec ces cités HLM qui prolifèrent, ingérable au niveau écologique avec une emprise anthropique démesurée sur ladite conurbation et ingérable au plan d'une jeunesse condamnée au lèche-vitrines dans ces luxueuses galeries commerciales qui elles aussi prolifèrent.
La deuxième cause, après la destruction de notre appareil agro-industriel, est la tertiarisation exagérée d'un pays qui, désormais, produit peu ou en tout cas pas assez et qui survit grâce à des perfusions franco-européennes. Nos soi-disant zones industrielles ne sont, en réalité, que des zones commerciales écoulant massivement des produits venus d'ailleurs ou qui se content de les emballer ou de les mettre en bouteille, en sachet ou en sac. C'est ce qu'Edouard Glissant appelaient l'économie-prétexte. Or, avec les progrès de l'automatisation des tâches d'une part et le développement de l'informatique de l'autre, le secteur tertiaire n'offre plus, dans aucun pays, des perspectives d'emploi.
Il y a déjà aux Etats-Unis et au Japon des supermarchés qui se passent de caissières et ce phénomène qui commence à toucher la France nous atteindra forcément.
Déjà dans presqu'aucun pays développé, on ne rencontre la profession de pompiste. On pourrait citer de nombreux autres exemples.
Donc si on résume la chose : d'un côté, on a sabordé l'agro-industrie pourvoyeuse d'emplois et de l'autre, on a plongé tête baissée dans une tertiarisation qui peu à peu élimine les métiers peu qualifiés tels que caissière ou pompiste et commence à en faire de même pour les métiers moyennement qualifiés. Nos jeunes sont donc coincés dans une nasse : élevés de plus en plus dans des HLM urbains, ils ne peuvent raisonnablement envisager d'en partir, mais dans le même temps, la conurbation tertiarisée ne leur offre aucun avenir. Oui, il s'agit bien d'une nasse !
MARTINIQUE-ECOLOGIE n'est pas un parti de doux écologistes rêveurs et de baba-cools. Il ne prône aucun retour massif et volontaire à la terre. Des expériences de ce type ont échoué à Cuba, en Tanzanie et dans d'autres pays du monde.
Nous sommes des réalistes qui savent qu'ils sont obligés de faire avec l'existant et c'est pourquoi nous proposons des solutions en deux temps : des solutions immédiatement réalisables et des solutions sur le moyen et long terme. Et ces solutions naturellement doivent viser en priorité une cible : la jeunesse.
L'exemple de ce que fait Yves-André Joseph à Tivoli et sur son canton est déjà un remarquable exemple de solution immédiate. Il a cherché à remettre au travail des jeunes qui autrement passeraient leur temps à fumer du "zeb" ou à voler. Et les résultats, quoique modestes pour l'instant sont là, visibles, tangibles !
Et c'est pourquoi je me réjouis qu'Yves-André Joseph et son groupe se soient alliés ou ralliés à MARTINIQUE-ECOLOGIE. Oui, il faut généraliser les expériences de jardins urbains et de commerces solidaires. Il faut même en saturer la conurbation et ce n'est pas une utopie du tout : en Chine, pays devenu incroyablement industrialisé, savez-vous que l'agriculture urbaine produit désormais davantage que l'agriculture rurale ? Savez-vous qu'au coeur ou à la périphérie des grandes villes chinoises s'élèvent des cultures maraichères qui approvisionnent chaque jour les marchés ? Pourquoi ne pourrions-nous pas envisager d'en faire autant ? Pour cela, il faudrait une volonté politique forte qui s'écarte des modèles de développement capitalistes et néo-libéraux et qui s'emploie à valoriser l'idée d'autonomie alimentaire de la Martinique.
Les ressources intellectuelles et humaines sont là. On l'a bien vu lorsqu'en février 2009 au bout de deux semaines de grève, les étals des supermarchés se sont retrouvés vides. Il y a bien sûr d'autres solutions immédiates, en plus des jardins urbains et des commerces solidaires que je n'ai pas le temps d'inventorier.
Solutions à moyen et long terme
J'en viens à présent aux solutions à moyen et long terme et là aussi, je ne pourrai exposer qu'une seule perspective : le redéploiement de notre population sur l'ensemble du territoire, le réaménagement territorial.
Notre jeunesse ne pourra jamais s'épanouir dans ces cités HLM de la conurbation qui ne sont jamais, au plan architectural, que des copiés-collés de ce qui se fait en France. Il 'agit, en fait, de tenter de stopper l'inexorable élargissement de la conurbation laquelle menace de transformer la Martinique en une Ile-Ville. En 2030, si cette extension bétonnante et bitumante continue, notre île toute entière deviendra une ville et ceux qui se croient à l'abri aujourd'hui, réfugiés qu'ils sont au Cap Est, à Terreville ou ailleurs, ne seront pas épargnés. Mais ce redéploiement n'est pas chose facile et il ne peut en aucun cas se faire de manière autoritaire mais en concertation avec les populations.
MARTINIQUE-ECOLOGIE se doit donc de penser ce réaménagement territorial afin de proposer des solutions concrètes, l'une d'elle pouvant, par exemple, prendre la forme de la règle suivante : tout nouvel investissement industriel, tout nouvelle administration, organisme, structure etc...devra s'établir en-dehors de la conurbation et en priorité dans les zones sous-peuplées. Il a été un temps question d'établir un second campus universitaire au Robert parce que celui de Schoelcher devient trop chargé, eh bien, c'est une erreur. Le Robert est déjà la 3ème ville de la Martinique et est mitoyen du Lamentin c'est-à-dire de la conurbation. Si jamais ce deuxième campus venait à voir le jour, il faudrait que MARTINIQUE-ECOLOGIQUE se batte pour qu'il soit, par exemple, à Sainte-Marie ou à Saint-Pierre.
Oui, il faut des solutions immédiates au désarroi dans lequel vit notre jeunesse, mais ce ne seront que des pansements sur une jambe de bois si dans le même temps, on n'envisage pas des solutions à moyen et long terme et surtout si on ne commence pas à les mettre en place.
Evidemment, ces changements ne seront possibles que s'il y a aussi un changement institutionnel dans notre pays et là, nous ne pouvons que regretter l'échec de l'article 74 lequel nous aurait donné des moyens, certes limités, mais bien réels, d'inverser la tendance actuelle.
Mais un changement institutionnel qui ne s'accompagne pas d'un changement sociétal, d'un changement dans notre conception même de notre mode de vie, serait lui aussi voué à l'échec.
C'est pourquoi l'une des tâches principales de notre parti doit être de faire comprendre à tous, mais surtout à la jeunesse, que la voie actuelle est une impasse. Les notions de développement durable, d'éco-citoyenneté et d'économie solidaire ne doivent pas rester de simples slogans. Il faut d'ores et déjà commencer à les mettre en pratique, comme le fait déjà ici, à Tivoli, notre camarade Yves-André Joseph.
Annou pwan douvan avan douvan pwan nou !
Raphaël CONFIANT