U.S.A. : LA QUESTION RACIALE, SI EXPLOSIVE !

Un mécontentement lié à sa couleur de peau ?
obama11.jpg    Un an après l'élection historique du premier Noir à la présidence des Etats-Unis, le mécontentement qui monte contre lui est-il lié à la couleur de sa peau ?

Sans hésitation,oui. Je ne prétends pas que quiconque critique Barack Obama estraciste. Mais ce dont je suis certain, c'est que la question raciale imprègne le moindre aspect de la vie américaine. Certains Blancs ne reconnaissent pas la légitimité d'un Noir à la tête des Etats-Unis. D'autres font seulement mine de l'admettre. Une partie de l'opposition est clairement nourrie par des préjugés raciaux. Il faut se rappeler qu'Obama n'a rassemblé que 43 % des votes des Blancs. Si les Blancs avaient été les seuls à voter, John McCain serait le président des Etats-Unis

De quelle façon cette hostilité raciale s'exprime-t-elle ?

Au sein de la droite américaine, les préjugés raciaux sont utilisés pour mobiliser des sentiments anti-Obama. Dans certaines réunions, les tea parties, circulent des dessins humoristiques figurant le président sous les traits d'unsinge, avec des légendes qui affirment qu'il n'est pas américain, autrement dit pas blanc, et disent : "Retourne en Afrique !"La droite utilise au maximum la question raciale pour "noircir" Obama. RushLimbaugh (animateur de radio ultraconservateur très populaire) adore rappeler qu'il est noir. Il s'agit pour les détracteurs du président d'affaiblir le soutien populaire en l'accusant d'être anti-Blancs, de vouloir privilégier les Noirs.

Les élus recourent-ils aux mêmes moyens ?

Il y a quelques mois, alors que Barack Obama défendait sa réforme de la santé devant le Congrès, Joe Wilson, un représentant républicain, l'a interrompu en criant : "Vousmentez !" C'était tellement choquant que la plupart des républicain sont critiqué Joe Wilson et lui ont demandé de s'excuser. Se serait-il permis de lancer pareille accusation à un président blanc ?

Ma conviction est qu'il avait exprimé sa conception du privilège des Blancs et son mécontentement de le voir remis en cause. Ce n'est pas un hasard si cet élu de Caroline du Sud a bataillé pour que le drapeau sudiste continue de flotter surle bâtiment de l'Etat. On a demandé à M. Wilson si ses paroles avaient une connotation raciale, et il a répondu que non, mais c'est un déni. La question raciale imprègne son attitude.

Qu'a répondu le président lui-même à cette question ?

Il a répondu par la négative. Mon interprétation est que la race est un sujet si explosif, si puissant aux Etats-Unis qu'Obama le fuit. Il aurait été très préjudiciable pour lui de répondre oui. On l'aurait alors accusé d'utiliser la carte raciale avec une intention démagogique. C'est pourquoi il se garde d'aborder le sujet.

N'a-t-il pas le choix de réagir autrement ?

Non, s'il disait la vérité, il le paierait politiquement au prix fort. Nous en sommes là : le président des Etats-unis d'Amérique est un personnage terriblement puissant, mais qui ne peut pas dire la vérité sur le poids du facteur racial dans son pays. Il a été élu au prix de ce refoulement.

Cela reste-t-il vrai depuis son élection ?

Regardez le cas du professeur noir qui a été arrêté chez lui dans le Massachusetts. Barack Obama a d'abord déclaré que la police avait agi stupidement, sans évoquerla discrimination. Cette minuscule critique lui a valu d'être accusé -faussement - d'avoir mis en cause une pratique discriminatoire de la police. Mais parce qu'il avait été attaqué sous cet angle, il a estimé nécessaire de faire machine arrière, et d'inviter le professeur et le policier à venir boire une bière à la Maison Blanche.

Pour la même raison, vous n'entendrez jamais Obama parler d'un sujet aussi crucial que la justice criminelle. Il pense qu'il ne peut pas le faire parce que les retombées politiques seraient trop lourdes, et c'est vrai.

Des Noirs ont récemment manifesté à Washington pour dénoncer "un pouvoir blanc dans un visage noir". La communauté noire n'est-elle pas, elle aussi, mais pour des raisons opposées, en train de lâcher Obama ?

Non : cette manifestation ultraminoritaire n'est pas significative. Les Noirs sont très divers idéologiquement. Certains critiquent Obama parce qu'ils sont conservateurs, tandis que d'autres, à gauche, lui reprochent de rester insensible au taux de chômage des Noirs, qui reste deux fois plus élevé que celui des Blancs. Mais si la cote de popularité d'Obama a chuté chez les Blancs, ce n'est absolument pas le cas chez les Noirs. Ils restent derrière lui, et ne formuleront jamais une critique en public.

Certains vont jusqu'à lui reprocher d'être un "traître à sa race", une notion à laquelle vous avez consacré un livre ("Sellout: The Politics of Racial Betrayal", Pantheon Books,2008).

Certains Noirs sont déçus par le silence d'Obama sur la question raciale. Ils ne sont pas réalistes. Ce sont des gens tellement habitués à être marginalisés, si étrangersà l'idée qu'un Noir ait pu être élu, qu'ils n'ont aucune idée des étapes à franchir. Mais la grande masse des Noirs voient les choses très différemment. Ils savent que les trois quarts des électeurs sont blancs, et ils sont extrêmement patients avec Obama. Ils comprennent qu'il voudrait aider davantage les gens en général et notamment les Noirs, mais qu'Obama n'est pas un roi. Pour changer les choses, il doit rassembler.

Barack Obama a toujours dit que son identité raciale était secondaire dans son action politique. En adoptant cette posture, contribue-t-il à relativiser l'importance de la question raciale ?

En partie oui, à cause de ce fait majeur : à la Maison Blanche réside désormais une famille de Noirs américains. Psychologiquement, cette réalité a un énorme impact. Elle a ouvert le champ des possibles sans qu'Obama ait besoin de direun seul mot sur la question de la race. Des millions d'enfants blancs américains vivent avec l'évidence que le président est un Noir. Cela signifie pour eux qu'il peut exister des patrons noirs, des généraux noirs, des chirurgiens noirs. De la même façon, les enfants noirs regardent le président avec admiration. Il a élargi leur horizon.


Propos recueillis par Philippe Bernard