Les effets inattendus de la réforme de santé d'Obama
Pourquoi la réforme de santé d’Obama pourrait causer l’exode de médecins du Tiers Monde.
Oubliez tous ces membres du Congrès qui vont soi-disant payer les frais de la réforme du système de santé d'Obama aux prochaines élections de mi-mandat. Oubliez le déficit, la bureaucratie et toutes les autres critiques que vous avez pu entendre à propos de cette loi adoptée en début d'année. Il y a pire à l'étranger: la réforme va coûter très, très cher aux pays en voie de développement. Pourquoi? Parce que des dizaines de milliers de médecins sont sur le point de quitter leur pays - où l'on a souvent désespérément besoin d'eux - pour venir aux Etats-Unis, répondre à une demande croissante.
C'est vrai: l'Amérique va provoquer une fuite massive des cerveaux dans le domaine de la médecine. Le vote historique de la réforme du système de santé de mars dernier va fournir une couverture maladie à environ 32 millions d'Américains jusqu'ici non-assurés. Les Etats-Unis auront par conséquent rapidement besoin de nouveaux médecins et infirmiers. Les travailleurs de santé qualifiés vont certainement être séduits par les salaires américains, les meilleures conditions de travail et la promesse d'un secteur en pleine expansion. Ces professionnels ne peuvent venir que d'ailleurs. Les écoles américaines n'en produisent tout simplement pas assez. Cerveaux étrangers, soyez les bienvenus!
Plus de docteurs éthiopiens à Chicago que dans toute l'Ethiopie
Dans le domaine de la santé, les Etats-Unis dépendent déjà lourdement de la main-d'œuvre formée hors des frontières. Plus d'un quart des médecins en exercice et 28% des internes viennent de l'étranger. Environ 25% d'entre eux ont fait leurs études en Inde et au Pakistan, des pays qui manquent tant de personnel de santé que l'OMS les a mis sur sa liste de pays «en crise» dans ce domaine. Ces pays n'ont que 1,13 docteur pour 1000 habitants - le taux est de 13,22 aux Etats-Unis, c'est l'un des plus élevés du monde. D'autres pays en développement ont déjà donné plus de la moitié de leurs médecins. Il y a désormais plus de docteurs éthiopiens à Chicago que dans toute l'Ethiopie. Avec 80 millions d'habitants, ce pays est pourtant le deuxième Etat le plus peuplé d'Afrique. En d'autres termes, l'Amérique importe des travailleurs de santé originaires de pays où la polio continue à tuer et paralyser des enfants. C'est déjà trop, et les réformes de santé d'Obama vont encore aggraver la situation.
Pourquoi les Etats-Unis ont-ils besoin de tant de personnel étranger? En partie parce que les écoles de médecine et d'infirmiers refusent de former des dizaines de milliers de candidats pourtant qualifiés, par manque de places et de fonds. Ces jeunes Américains se voient donc refuser l'accès à des métiers très bien payés et très gratifiants socialement, et à l'un des secteurs économiques où la croissance est la plus rapide. Cela prendrait des années pour inverser la tendance et créer de nouvelles écoles, surtout dans les endroits qui manquent déjà de docteurs. En attendant, la demande augmente tout simplement plus vite que l'offre de médecins et d'infirmiers «maison».
Pour comprendre pourquoi les Etats-Unis auront besoin de plus de travailleurs de santé étrangers, observons ce qui s'est passé dans le Massachusetts ces dernières années. La réforme du système de santé qui a été menée dans cet Etat en 2006 a apporté une couverture santé à 340.000 personnes. La demande de médecins et d'infirmiers a bondi en conséquence, au-delà des capacités existantes. Pour les nouveaux patients, le temps d'attente pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste de la médecine interne s'est allongé de 58% - de 33 à 52 jours - et 50% des établissements de soins primaires de l'Etat refusent désormais les nouveaux patients. C'est le plus haut niveau jamais atteint. Le Massachusetts, l'un des Etats américains où le nombre de médecins généralistes par habitant est le plus élevé, connaît une pénurie alors que le nombre d'assurés n'a augmenté que de 5%. Or, on estime que la réforme du système de santé américain va provoquer une hausse de 12% du nombre d'assurés au niveau national.
Et les mesures prévues par la loi pour augmenter le nombre de médecins pourraient faire au final plus de mal que de bien. Le Congrès a proposé de fournir les fonds nécessaires pour créer 15 000 places d'internes supplémentaires aux Etats-Unis, pour anticiper l'augmentation de la demande. Mais les textes ne prévoient pas de hausse du nombre de places dans les écoles de médecine. Pour pourvoir ces nouvelles places d'internat, il faudra doubler l'importation annuelle de médecins formés à l'étranger.
Les failles d'un système «bien huilé»
Le processus pour faire venir aux Etats-Unis ces professionnels est très bien huilé, mais il ne prend absolument pas en compte l'impact potentiel sur les pays d'origine. Infirmiers et infirmières arrivent sur le sol américain par l'intermédiaire d'une industrie du recrutement très organisée, qui repose sur des sociétés privées brassant des milliards de dollars. Les médecins ont, eux, tendance à poser directement leur candidature pour les postes d'internes ou à s'adresser aux avocats de l'immigration. Même si, dans leur pays d'origine, ils comptent parmi les mieux payés, les médecins étrangers sont attirés aux Etats-Unis par des salaires encore plus élevés, une meilleure formation et des équipements plus sophistiqués.
Les conditions ont beau être intéressantes pour les médecins émigrés, les conséquences pour les pays qu'ils quittent sont graves. Les taux de mortalité des bébés, des enfants et des femmes enceintes sont très liés au manque de personnel. La mortalité infantile triple par exemple quand l'on passe de 5 travailleurs de santé pour 1000 habitants à moins d'1 pour 1000, selon un rapport de 2004 de la Rockefeller Fondation.
La fuite des cerveaux dans le domaine médical affecte aussi les systèmes d'éducation. Seuls les plus brillants réussissent les examens de certification américains, ce qui veut dire que ceux qui émigrent sont souvent les meilleurs professeurs d'université. Une étude publiée récemment par la Fondation Gates montre que l'émigration vers les pays riches est la principale cause du manque de professeurs de médecine en Afrique. Elle est responsable de 25% de la pénurie. Or, c'est aux Etats-Unis que partent la plupart des médecins en question. Et sans surprise, la même étude révèle que c'est justement en grande partie à cause du manque de professeurs que l'Afrique n'arrive pas à former suffisamment de personnel médical.
Même avant la réforme de santé, la fuite des cerveaux posait de plus en plus problème aux pays pauvres. Des études conduites avant la réforme par le Bureau des professions de santé et l'Association des collèges médicaux américains indiquent que les Etats-Unis auraient de toute façon eu besoin, à cause du vieillissement de la population, d'au moins 40% de généralistes supplémentaires d'ici 2020, et qu'il leur aurait manqué 124.000 médecins en 2025. Cette demande aurait eu peu de chance d'être satisfaite sans l'aide des infirmiers et des médecins étrangers.
Ironie du sort: alors que les Etats-Unis recrutent chaque année des milliers de docteurs à l'étranger, ils dépensent dans le même temps des milliards pour essayer de développer les systèmes de santé de ces mêmes pays dont ils volent les médecins. Ces dernières années, les principaux programmes de développement dans les pays pauvres n'ont pas réussi à atteindre leurs objectifs à cause de la pénurie de personnel de santé. Alors on a commencé à investir des sommes énormes dans la formation médicale. Mais à quoi ça sert, si ces mêmes docteurs quittent ensuite le pays?
C'est très simple: tant que les Etats-Unis ne seront pas capables de former le personnel de santé dont ils ont besoin, ils continueront à mettre en danger la vie des plus vulnérables, aux Etats-Unis et ailleurs. L'administration Obama s'est engagée à agir pour la santé des plus pauvres dans le monde à travers l'«Initiative mondiale de santé» et ses 63 milliards de dollars de budget. Mais une grande partie de cet effort sera gaspillé si les Etats-Unis continuent à prendre aux pays en développement ce dont leurs systèmes médicaux ont le plus besoin: le personnel.
Par Kate Tulenko
Traduit par Aurélie Blondel
Le docteur Kate Tulenko est directrice adjointe de CapacityPlus, un projet de l'Agence américaine pour le développement international qui vise à lutter contre la pénurie de personnel de santé dans le monde.