"Cachez ce préambule que je ne saurais voir… proclament toutes les forces de régression sociale depuis la signature, le 26 février dernier, de l’accord Jacques-Bino. Ce préambule est pourtant l’illustration du principe « c’est le fait qui fait le droit ». " Guadeloupe. Cachez ce préambule que je ne saurais voir…
Les archipels sont fragiles, mais accordés aux multiples vérités du monde actuel. L’océan de la traite fut ainsi un continent obscur où s’implantèrent les plantations à esclaves… (Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau : l’Intraitable beauté du monde, adresse à Barack Obama, Galaade Éditions, 2009) Cachez ce préambule que je ne saurais voir… proclament toutes les forces de régression sociale depuis la signature, le 26 février dernier, de l’accord Jacques-Bino. Ce préambule est pourtant l’illustration du principe « c’est le fait qui fait le droit ». Ce principe, énoncé par Loysel au XVIIe siècle, a été rappelé, dans ces mêmes termes, par Élie Domota au ministre Jégo. C’était à l’occasion du deuxième round de négociation quadripartite qui rassemblait, enfin, tous les protagonistes sociaux : les diverses organisations patronales, les élus, l’État et, bien sûr, toutes les organisations syndicales représentatives de Guadeloupe ainsi que les associations et les mouvements regroupés dans le LKP. La finalisation de cet accord a dû attendre que le préfet et les représentants des collectivités territoriales signent un second texte, en date du 4 mars. Contresigné par les organisations d’employeurs signataires de l’accord Jacques-Bino et l’ensemble des associations et des mouvements constituant le LKP, il contient cent soixante-cinq dispositions et fait référence explicitement à l’accord Bino. La ministre de l’Intérieur, qui était restée taisante pendant le déroulement du conflit, a tracé en quelques mots le nouvel argumentaire de la pensée unique concernant l’accord lui-même : « L’État n’était pas partie prenante à ce texte. Il ne pouvait donc en négocier le contenu. Comme Yves Jégo et Laurence Parisot, je juge certains propos, notamment du préambule, inacceptables » (les Échos, mardi 10 mars). La veille au soir, sur France Info, le ministre du Travail, Brice Hortefeux, a tenu des propos similaires. Il a déclaré, en dénonçant le préambule, que l’extension de l’accord n’était qu’une possibilité parmi d’autres et qu’il n’entendait pas stant que la Commission nationale de la négociation collective, convoquée pour le 20 mars, n’aurait pas donné son avis. Pourquoi tant de protestations sur les termes d’« économie de plantation » qui figurent dans ce préambule ? Il s’agit pourtant d’une réalité historiquement reconnue. En parlant de la pérennisation d’un modèle rien ne devait autoriser quiconque à soutenir que le texte du préambule renvoyait à une quelconque survivance de fait d’une économie esclavagiste. Pourtant c’est cette interprétation spécieuse que retient le MEDEF et qu’exprime Laurence Parisot : « Le protocole d’accord énonce des principes qui sont contraires aux valeurs fondamentales de la République française et auxquelles nous ne pouvons souscrire d’aucune façon. On y lit que l’économie de la Guadeloupe serait une “économie de plantation”. Cela veut dire une économie esclavagiste ! » (le Parisien, 9 mars). Cette levée de boucliers des pouvoirs économiques, politiques et médiatiques surprend d’autant plus qu’en l’état le préambule, régulièrement paraphé entre des organisations syndicales représentatives et des organisations professionnelles d’employeurs et de salariés, n’est opposable qu’aux signataires. L’accord bruyamment contesté n’est applicable que sur le territoire de la Guadeloupe. Il l’est dans un cadre régional et interprofessionnel. Il est juridiquement conforme aux dispositions du Code du travail. Il est susceptible d’être étendu en application de l’article L2261-15 du Code du travail. Sur quels fondements constitutionnels peut-on soutenir que les principes qu’il énonce sont contraires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ? Nul ne le sait. On peut par contre constater qu’en refusant la négociation au seul motif du préambule et de l’article V, sur la clause de convertibilité, les responsables des grandes entreprises se démasquent. La clause de convertibilité donne en effet trois ans au patronat pour prendre en charge, au fur et à mesure du déroulement de l’accord, le règlement direct des 200 euros d’augmentation pour les plus bas salaires, en perdant progressivement le bénéfice des dégrèvements fiscaux et sociaux qui leur ont été consentis. Quand les organisations d’employeurs qui représentent les plus petites entreprises de Guadeloupe acceptent ce dispositif, le fait que les plus importantes d’entre elles, qui sont au coeur des surprofits, le refusent met bien en évidence l’opposition à la négociation loyale et contradictoire qui les animait. Un nouveau revirement du pouvoir après le 20 mars serait donc d’autant plus incompréhensible que le MEDEF local est contraint de courir après l’accord Jacques-Bino qu’il dénonce dans tous les médias. Il vient ainsi de décider d’un engagement unilatéral sous la forme d’un bonus exceptionnel qui reprend quasiment l’intégralité de l’accord qu’il condamne. Que peut-on reprocher aux syndicats de la Guadeloupe quand, sans attendre les consignes de Willy Angèle, ils ont appelé à signer des accords, entreprise par entreprise, avec les employeurs directs pour que soit validée leur adhésion volontaire à l’accord Jacques-Bino ? Qui a pu parler d’extorsion de signature quand on sait que de grandes entreprises et des groupes l’ont déjà signé ? Quoi que puissent en dire aujourd’hui, a posteriori, princes et les princesses qui nous gouvernent, le préambule existe. Il a une valeur juridique incontestable. Les surprofiteurs peuvent toujours soliloquer dans leur réserve, ils n’empêcheront pas que ce préambule est un fait acquis. Il marque la force poétique de l’utopie du réel sans lequel nul ne sait monter à l’assaut du ciel.Le gouvernement veut minimiser les succès de la Guadeloupe.