PTOM du Danemark, 57 000 habitants

Le Groenland accède à une autonomie renforcée.

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L'île de Groenland a accédé dimanche 21 juin, jour de la fête nationale, à l’autonomie renforcée, et distendu un peu plus les liens qui l’unissent encore au Danemark, ex-puissance coloniale.

Ainsi en avait décidé (75 % de voix favorables), en novembre dernier, les 57 000 habitants de ce territoire glacé grand comme cinq fois la France.

 

Photo : Nuuk, 14 000 hab. Capitale du Groenland

Dimanche, au petit matin, la famille royale a débarqué d’une frégate de la marine de guerre danoise sur Kolonihavn, le vieux port colonial où, en 1721, arrivèrent de Copenhague les premiers missionnaires luthériens venus évangéliser une poignée d’Inuits. Salut au drapeau, hymnes nationaux. La reine, 70 ans, est raide comme un «i». Peut-être en raison de la rigidité de son pantalon en peau de phoque et broderies, grande tenue d’apparat inuit revêtue en hommage à ses sujets eskimos. Plus sûrement à cause de la très visible, et agaçante, présence à ses côtés dela princesse Mary, une Australienne de Tasmanie adulée par les Danois et les Groenlandais. «La vieille a fait son temps», lâche un spectateur, qui lui préfère visiblement la version scandinave de Lady Di.


L'autonomie depuis 1979

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Le drapeau du Groenland adopté en 1985.

L'histoire du Groenland se divise en plusieurs phases très distinctes. Colonisé successivement ou parallèlement par divers peuples (Inuits, Scandinaves,etc.), le Groenland jouit d'une autonomie importante au sein du Royaume du Danemark depuis1979.

Après l'adhésion du Danemark, et donc du Groenland, à la Communauté économique européenne en 1973 (en dépit du fait que les Groenlandais avaient massivement rejeté l'adhésion par 70.3% des votants), de nombreux habitants pensèrent que le statut de comté d'outre-mer obtenu en 1953 n'était pas suffisant et les partis politiques locaux commencèrent alors à demander l'autonomie territoriale. En 1975, une commission paritaire dano-groenlandaise fut créée et, trois ans plus tard, le parlement danois accorda cette autonomie. Elle entra en vigueur l'année suivante, après que les Groenlandais eurent approuvé ce statut par référendum, le 17 janvier 1979 

Le 23 février 1982, 53% des Groenlandais se prononçaient pour le retrait de la Communauté économique européenne, décision qui fut effective en 1985 et qui reste un cas unique à ce jour. L'économie piscicole fut un enjeu déterminant dans ce vote. Le fait d'être membre de l'Union Européenne permettait en effet aux pêcheurs européens de venir dans les eaux groenlandaises, ce qui défavorisait les pêcheurs locaux.

La Groenland autonome se présente lui-même comme une nation Inuit. Les noms de lieux en danois ont été remplacés par les noms inuits. Ainsi, Godthåb, sa capitale et centre de la civilisation danoise sur l'île, est devenue Nuuk. En 1985, le Groenland adopta son propre drapeau, utilisant les couleurs du drapeau danois.

Même les relations internationales, qui étaient autrefois du ressort du Danemark, sont laissées aujourd'hui partiellement au gouvernement local. Après avoir quitté la Communauté économique européenne, le Groenland a ainsi signé un traité spécial avec cette institution et, surtout, plusieurs traités spécifiques avec l'Islande, les Iles Féroé et les populations Inuits du Canada et de Russie. Il a également été l'un des membres fondateurs du Conseil arctique en 1996.

La renégociation du traité de 1951 avec les États-Unis est à l'ordre du jour et la Commission sur l'auto-détermination qui a siégé entre 1999 et 2003 a suggéré que la base aérienne de Thulédevienne un centre international de surveillance et de suivi satellitaire, placé sous l'autorité des Nations unies. Les États-Unis souhaiteraient, eux, pouvoir installer au Groenland une station de leur bouclier anti-missile.

Si les technologies modernes ont rendu le Groenland plus accessible, un aéroport international fait toujours défaut à la capitale, Nuuk.

 

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Le statut d’autonomie renforcée du Groenland, adopté par référendum en novembre 2008, est entré en vigueur le 21 juin 2009, jour de la fête nationale du territoire.

Il ouvre la perspective d’une sécession complète du Groenland, qui fait pour l’instant partie de la « Communauté du Royaume danois ».

Mais dans un contexte où le réchauffement climatique est synonyme de course mondiale aux ressources de l’Arctique (pétrole, gaz, minerais), quel sens prend cet événement ?

La longue marche vers l’autonomie

Isolé dans la région arctique, le Groenland qui est la plus grande île du monde –avec 2,16 millions de km carrés -, peuplé de seulement 57 000 âmes (environ 50 000 Inuits, et 7 000 Danois) a rarement fait la une de l’actualité.

Le grand public avait même oublié qu’une terre européenne se situait dans l’Arctique. En effet, cette terre conquise par les Vikings fut successivement norvégienne puis danoise.

Déserté du fait de l’inadaptation des Vikings aux  conditions climatiques , le Groenland fit l’objet d’une entreprise de colonisation à partir de 1721.

Le statut colonial du Groenland fut abandonné en 1953, lorsqu’il devint une province danoise. A partir de cette date, le Danemark mit en œuvre unepolitique de « danification », par le biais de l’éducation et de la mise enplace d’un Etat providence ultra-moderne, sur le modèle de la métropole.

Cette politique, pourtant décidée avec l’accord de la population concernée, laissa des traces douloureuses au Groenland. Elle servait en fait les intérêts économiques du Danemark, tout en visant à conjurer la présence d’une base militaire américaine sur le sol groenlandais, et la potentielle contamination culturelle qu’elle pouvait engendrer.

En 1972, lorsque le Danemark entra dans la CEE, le Groenland suivit, bien que sa population ait voté contre l’adhésion. Cet événement, ajouté au ressentimentlié à la danification, entraîna la naissance d’un mouvement nationaliste dansles années 1970, puis l’obtention d’un statut d’autonomie interne en 1979.

En 1985, fait unique, le Groenland, se retira de l’Union européenne suite à un référendum. L’enjeu était alors de protéger la ressource quasi-unique du territoire, la pêche, face à la concurrence des autres Européens.

Il bénéficie aujourd’hui du statut de « pays et territoire d’outre-mer » (PTOM) et d’aides substantielles de l’UE (environ 25 millions d’Euros par an) en vertu de l’accord de partenariat 2007-2013.

Le statut d’autonomie de 1979 permettait au Groenland d’exercer le pouvoir législatif et exécutif dans une vaste série de domaines : gestion interne, impôts, questions économiques,pêche, chasse, élevage, éducation et culture, environnement, etc.

L’Etat danois, quant à lui, conservait les compétences régaliennes : politique étrangère, défense, police,monnaie. En matière de diplomatie toutefois, les Groenlandais étaient associés à toutes les négociations.

Mais les Groenlandais ont décidé d’aller plus loin. En 1984, sur leur initiative, a été créée une commission groenlando-danoise ayant pour objectif d’élaborer une proposition de loi sur l’autonomie renforcée.

Cette loi a été adoptée par le peuple groenlandais le 25 novembre 2008 (75, 5 % de oui, taux de participationde 72 %) et a été ratifiée par le parlement danois.

Le nouveau statut d’autonomie renforcée reconnaît au peuple groenlandais un droit à l’autodétermination, conformément au droit international, et donne au kalaallisut le statut de langue officielle.

Il prévoit aussi qu’une trentaine de matières supplémentaires relèveront de la compétence groenlandaise. Parmi elles, la police, la justice, le droit de la famille, mais aussi et surtout la gestion des matières premières. Le texte règle également la question cruciale des ressources du Groenland.

Actuellement,la subvention annuelle versée par le Danemark est de 3,4 milliards de couronnessoit 457 millions d’euros (sur les 75 milliards du budget danois). Cette sommereprésente les 2/3 du budget groenlandais.

Copenhague s’est engagé à continuer de verser cette somme, mais la loi fixe une répartition des recettesqui seront tirées de l’exploitation future des ressources naturelles : le Groenland encaissera 100 % des gains jusqu’à hauteur de 75 millions de couronnes par an (10 millions d’Euros), et les gains réalisés au-delà de ce plafond devront être partagés entre les deux partenaires, étant entendu que les revenus perçus par Copenhague seront déduits de l’enveloppe annuelle versée au Groenland. L’exploitation des ressources est en effet la clef de la marche vers l’indépendance totale.

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Les promesses du réchauffement climatique

Le Groenland, dont la principale ressource était jusqu’à présent la pêche, est en passe de devenir un nouvel eldorado. De nombreuses études, telles la dernière US Geological Survey, établissent que l’Arctique contiendrait 20 % des réserves pétrolières mondiales, d’énormes quantités de gaz, ainsi que d’importants gisements de minerais (diamants, or, zinc, nickel, molybdène, uranium…).

Or la fonte de la banquise permettrait l’exploitation de ces ressources. Même si elle n’est pas envisageable dans l’immédiat pour des raisons techniques, de nombreuses multinationales sont déjà sur les rangs.

De plus, le réchauffement rendra navigables de nouvelles routes maritimes. Au cours des étés 2007 et 2008 le Passage du Nord-Ouest au nord du continent américain et celui du Nord-Est au nord de la Russie ont été ouverts pour la première fois.

L’ouverture régulière de ces routes constituerait une petite révolution dans le commerce mondial, car elles permettraient d’économiser des milliers de kilomètres entre l’Europe et l’Asie.

L’accès à l’Arctique, pour les Etats riverains (Etats-Unis, Canada, Danemark, Norvège Russie) est donc devenu une question hautement stratégique. Et il ne faut pas oublier la valeur militaire du Groenland : la base américaine de Thulé, installée depuis la 2nde guerre mondiale, est une pièce maîtresse du futur bouclier anti-missiles américain.

Ainsi, on peut dire que la « course à l’Arctique » a démarré : au cours de l’été 2007, un batyscaphe a déposé au fond de la mer, sous le pôle Nord, un drapeau symbolisant la volonté de la Russie d’affirmer sa souveraineté sur une large portion de la région, confirmée par la publication de la nouvelle stratégie arctique russe en septembre 2008.

De leur côté, les Etats-Unis ont, en janvier 2009, présenté leur nouvelle politique arctique, dans un rapport évoquant « les intérêts de sécurité fondamentaux » du pays dans cette région.

L’Union européenne, présente dans la région uniquement par le biais d’un Groenland non membre mais ayant le statut de PTOM, semble à la traîne, malgré la présentation de sa stratégie pour l’Arctique en novembre 2008.

Sa candidature en tant qu’observateur au Conseil arctique a été rejetée en avril. Si le Groenland prenait son indépendance, elle perdrait le seul accès à l’Arctique dont elle dispose.

Il peut paraître paradoxal, dans une telle conjoncture, que le Danemark soit en passe de renoncer à son statut de puissance arctique : la loi sur l’autonomie a été votée par tous les partis, à l’exception du Parti du peuple danois (extrême droite).

La première raison de ce paradoxe est que l’on considère, au Danemark, que la décolonisation réussie du Groenland est la marque d’une démocratie avancée et qu’elle constitue un exemple sur la scène internationale, argument qui s’accompagne d’un vieux fonds de culpabilité à propos de la situation coloniale.

De plus, beaucoup de Danois considèrent que le Groenland – et les îles Feroë –coûtent cher, et que l’autonomie renforcée permettra de faire des économies, voire de toucher une partie de la future manne pétrolière.

Enfin, la présence de députés groenlandais (et féroëns) au parlement danois a parfois joué sur la prise de décisions purement nationales. En somme, les Danois ont le sentiment qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre mais qu’ils gagneraient une meilleure image à accorder l’indépendance du Groenland. Reste à savoir si celle-ci est envisageable.


 

L’indépendance, miroir aux alouettes ?

S’il accédait à l’indépendance, que deviendrait le Groenland ? Son premier handicap est sa faible population, au niveau de formation très faible, souffrant de problèmes sociaux importants.

Même si le Groenland devenait un Etat pétrolier, il fournirait bien peu de cadres et d’ingénieurs et serait sujet à une immigration professionnelle massive, menaçant la culture inuit.

De plus, l’exploitation des ressources annoncée n’est pas possible dans l’immédiat : très coûteuse, elle pose aussi de nombreux problèmes techniques.

Par ailleurs, cette exploitation causerait de nombreux dégâts à un environnement très fragile, déjà mis à mal par le réchauffement climatique. Enfin, un territoire vaste et peu peuplé n’est pas à même d’assurer sa sécurité. Or ilest évident que les Etats-Unis ne sauraient se permettre de laisser sans contrôle cet élément fondamental de leur propre système de sécurité, constituant qui plus est un enjeu économique de premier plan.

Desliens diplomatiques directs se nouent déjà entre les deux voisins, comme en témoigne l’accord fiscal sur le trafic aérien et commercial qu’ils ont signé cet hiver.

Le risque est, pour le Groenland, qu’il se sépare du royaume danois pour tomber sous la férule de plus puissant que lui… dans des conditions nettement moins démocratiques, la mise sous tutelle économique risquant d’être moins respectueuse de son identité et de sa nature que le cadre juridique protégé ausein d’une démocratie avancée.

Quoi qu’il en soit, pourl’instant, la perspective d’une liberté prospère enthousiasme le Groenland, où les indépendantistes du parti Ataqatigiit (extrême gauche) ont remporté le 1er juin un score inédit aux élections (43,7 % des voix), mettant fin à trente ans de règne social-démocrate. Cet événement pourrait accélérer le processus d’indépendance.

 

Quelques atouts économiques

Morues. Le nouveau Premier ministre du Groenland, Kuupiq Kleist, savoure l’instant. Il est aux affaires depuis huit jours. Depuis que son parti indépendantiste, Inuit Ataqatigiit, a mis un terme à trois décennies de règne absolu du Siumut, le parti social-démocrate rongé par la corruption et le népotisme. L’heure est désormais aux grands projets, mais, curieusement, pas à l’indépendance : «Nous sommes pragmatiques. L’indépendance pleine et entière n’est pas au programme de mon premier mandat, dit Kleist. Il est plus important de développer nos revenus pour réduire enfin les inégalités derichesse, qui sont vertigineuses, pires qu’aux Etats-Unis.»

Développer les revenus, pour remplacer la perfusion danoise (400 millions d’euros annuels), il y a urgence. L’apartheid économique saute aux yeux à Nuuk, où les administrations et les bons emplois sont en majorité occupés par des Danois. Les autochtones, eux,sont pour la plupart, et depuis la fin des années 1960, parqués dans des barres HLM sordides. Depuis qu’il a été décidé par Copenhague de les concentreren ville parce que le ravitaillement de leurs communautés éloignées les unes des autres coûtait trop cher. Le résultat de cette politique a été aussi édifiant que prévisible : chômage, ennui, alcoolisme de masse. Longtemps seule ressource, la pêche est en chute libre depuis que les morues sont parties voir ailleurs.

Emirat. Pour financer son émancipation, le nouveau Groenland rêve désormais d’un avenir pétrolier hors normes. Selon une étude récente du USGS (United States Geological Survey), la zone Arctique recèlerait jusqu’à 90 milliards de barils de brut. La plupart sur la côte nord de la Russie, mais des réserves d’hydrocarbures (pétrole, gaz) dormiraient à l’ouest du Groenland, sous le fond de la mer de Baffin, à cheval sur les eaux territoriales du Canada. «Les prospections offshore ont débuté il y a quelques années, dit Jørn Skov Nielsen, le directeur du Bureau des Mines et du Pétrole. Nous sommes très confiants, même si la production n’a pas encore commencé. Nous avons le potentiel pour devenir un émirat au nord du monde. Et puis nous avons aussi de l’or, des diamants, de l’uranium, du zinc et du plomb.»

Faut-il regretter le sacrifice prochain d’une des dernières zones vierges de la planète, déjà gravement atteinte par le réchauffement climatique ? Nielsen ne voit pasles choses comme ça. Pour lui, il s’agit là d’un «droit au développement».Pour rassurer les investisseurs, il insiste… sur le réchauffement justement : «La banquise est de plus en plus mince, ce sera plus facile pour forer.»

Le grand jour de l’autonomie touche à sa fin. En début de soirée, les citoyens de Nuuk sont convoqués à un grand banquet à la salle des fêtes. Au menu, une baleine pêchée la veille dans la baie de Disko et débitée en ragoût aux oignons. L’odeur est puissante,mélange de bœuf et de pois caille. La mastication est un travail de longue haleine : «C’est une vieille baleine, au moins 100 ans. Normalement, les morceaux sont beaucoup plus tendres», regrette Steen Jensen, un homme d’affaires danois installé à Nuuk. On ne connaîtra pas l’avis du Premier ministre danois sur le sujet, mais il suffit de le regarder faire. Devant les caméras, il enfourne un gros morceau de baleine, tout sourire. Mais dès qu’elles disparaissent, il le recrache discrètement dans l’assiette en carton.