par Monique Blérald-Ndagano de l'Université des Antilles et de
« …La danse est une admirable éducation du corps, de l’esprit et de la volonté.Elle assimile toutes les manifestations de la vie. Elle s’en nourrit, mais elleles transcende. »Alphonse Tiérou
La danse africaine, c’est la vie
La danse traditionnelle peut être enseignée à tous les niveaux de la scolarité, de la maternelle à l’université. Elle peut être pratiquée au sein des ateliers de pratique artistique, associant un enseignant à un artiste professionnel, en partenariat avec le Ministère de la culture. Aussi, au moment où nous sommes en plein débat sur le statut et la place des langues et cultures régionales à l’école, et notamment avec l’apparition du CAPES créole, s’interroger sur l’enseignement des danses traditionnelles a donc toute son importance
Quels sont les moyens mis en oeuvre pour l’enseignement des danses traditionnelles en milieu scolaire et universitaire ? Quelles sont les finalités d’un tel enseignement, notamment dans la politique de valorisation des langues et cultures régionales prônée par le Ministère de l’Education nationale ? Dans le cadre de cet article, nous tenterons d’apporter modestement quelques pistes de réflexion à partir de diverses expériences d’enseignement que nous avons menées pendant une dizaine d’années au lycée, à l’université et à l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) avec le soutien de plusieurs professeurs d’EPS et animateurs du monde associatif
I- Le cadre institutionnel : état des lieux
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1-L’école primaire
La danse traditionnelle en maternelle et en primaire, apparaît surtout dans le cadre des activités de langues et de cultures régionales placées sous la houlette de conseillers pédagogiques et d’ IMF ( Instituteur maître formateur). Elle n’est pas seulement objet d’étude. Elle se présente également comme un instrument et un support au service des enseignements interculturels et/ ou pluridisciplinaires. Les enseignants mènent librement leur activité dans leur classe en consacrant quelques heures par semaine aux langues et cultures régionales, comme le prévoient les textes officiels
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et en s’inspirant du guide des langues et cultures créoles établi par l’Inspectrice en Langues et Cultures Régionales et une équipe d’IMF et de conseillères pédagogiques
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.
La danse traditionnelle fait l’objet de PAE (projet d’action éducative) et est très présente dans les fêtes de fin d’année. L’enseignant le plus souvent démuni, car ne connaissant pas et ne maîtrisant pas le répertoire des danses et chants traditionnels, est alors aidé par un intervenant extérieur appartenant à un groupe de danses traditionnelles. Ce sont surtout les danses créoles qui sont enseignées. Les danses représentatives des autres cultures ne sont pas abordées, et ce, à cause de l’absence de documents et d’informateurs.
2-Le secondaire
A- Le collège
Les premiers cours de danses traditionnelles ont fait leur apparition au collège en 1980, et ce, par la seule volonté d’un professeur d’EPS (d’éducation physique et sportive), également artiste plasticien qui enseignait les danses traditionnelles antillaises et guyanaises dans le cadre de l’UNSS (Union nationale des sports scolaires) et favorisait également les échanges dans ce domaine entre élèves antillais et guyanais. Le départ à la retraite de ce professeur en
Aussi, depuis peu, des cours ponctuels de percussions et de danses traditionnelles dans le cadre des PAE, ont été mis en place dans les collèges sous l’impulsion de moniteurs –éducateurs employés sur des postes d’ emplois- jeunes par le Rectorat et appartenant également à des groupes de danses traditionnelles. Cette expérience est encore très timide, car elle n’est menée que dans un nombre relativement faible de collèges à cause surtout d’un manque de professeurs d’EPS spécialisés dans cette discipline artistique ou encore peu enclins à coordonner cette dernière.
B- L’option facultative de danses traditionnelles au Baccalauréat
En ce qui concerne les lycées, la danse traditionnelle peut-être retenue en tant qu’épreuve facultative dans le cadre du CAP, du BEP, du BAC. Le volume horaire consacré à la danse est alors de trois heures.
Née à la suite des réflexions menées par des professeurs d’EPS de l’Académie des Antilles et de la Guyane
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, des responsables associatifs et des personnes- ressources du monde traditionnel, dans le cadre des Universités d’été en 1992, l’option danses traditionnelles a été développée avec la même finalité que plusieurs autres options
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à savoir, « concilier tradition et modernité à travers les épreuves d’éducation physique ».
Depuis 1995, cette option connaît un vif succès auprès des jeunes. Le nombre croissant des candidats chaque année est révélateur : de vingt – en 1995-, on compte cent vingt inscrits- en l’an 2001- Ces élèves de première et de terminale proviennent des différents lycées du chef-lieu (Félix Eboué, Externat Saint-Joseph, Centre Plus de Cayenne), des communes avoisinantes ( Damas de Rémire -Montjoly) et même éloignées (Gaston Monnerville de Kourou et Bertène Juminer de Saint-Laurent).
Seul, le lycée Félix Eboué de Cayenne est retenu officiellement comme centre d’examen, même si les autres établissements ont la possibilité d’assurer la préparation à cette épreuve. Cet engouement de la part de ces jeunes s’explique. L’option par la nature des différentes épreuves qui la composent, paraît assez « révolutionnaire », non seulement face à la conception « folklorisante » des danses traditionnelles entretenue dans les groupes folkloriques, mais aussi face aux critères bien établis de l’épreuve d’EPS elle-même.
En effet, l’épreuve de danses traditionnelles au Baccalauréat comporte un certain nombre de prestations collective et individuelle, technique et orale élaborées d’une part à partir de savoirs et savoirs- faire propres à l’EPS et à la danse
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, et d’autre part de connaissances artistiques, esthétiques et culturelles liées au vécu et à l’environnement culturel même des élèves. Ce dernier point apparemment sécurisant peut d’ailleurs être un atout dans le choix de l’élève recherchant avec l’option des points au-dessus de la moyenne. Aussi, le candidat peut-il présenter devant un jury composé de professeurs d’EPS, d’intervenants et d’experts en danses traditionnelles reconnus par
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:
-Une composition chorégraphique collective imposée à 8 ou 10 danseurs (maximum) d’une durée de 4mn (maximum).
-Une composition individuelle libre d’une durée de 2mn à 2mn30 (maximum) évaluée en un passage. Le candidat peut d’ailleurs se faire accompagner par un ou deux percussionnistes avec lesquels il a travaillé durant l’année, s’il ne recourt pas au montage sonore.
- une épreuve orale de contrôle d’une durée de 5 à 10mn (maximum) où le candidat est interrogé sur la pratique des danses traditionnelles et la culture liée à ces danses. Des questions sur un dossier que l’élève doit constituer à partir de rencontres avec des associations et des personnes-ressources du monde folklorique complètent l’interrogation.
Il faut cependant retenir que cette option facultative peut se présenter sous deux formes :
-un contrôle continu effectué par les enseignants et les intervenants extérieurs tout au long de l’année pour les élèves inscrits au sein de l’établissement retenu comme lieu de préparation et centre d’examen.
-un contrôle terminal pour les élèves inscrits dans d’autres établissements non reconnus officiellement comme lieu de préparation. Ce contrôle a lieu devant un jury en fin d’année scolaire.
Cependant, en Guyane pour des raisons psychologiques ( l’investissement des élèves et des familles) mais aussi sociologiques ( l’aspect historique, symbolique et politique incarné par les danses traditionnelles), le rectorat accepte que l’ensemble des élèves déjà notés en contrôle continu prennent part au contrôle terminal. La note obtenue en contrôle terminal est également comptabilisée pour les élèves ayant suivi un contrôle continu.
3- L’Université
A- Les ateliers de pratique artistique
Les danses traditionnelles ne sont pas enseignées à l’Institut d'Etudes Supérieures de
Sinon, les danses traditionnelles ont vu le jour sur le campus Saint-Denis en Guyane
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dans le cadre des ateliers de pratique artistique financés par
B- Les danses carnavalesques
Cet atelier de danses a vu le jour en novembre 2000 dans le cadre de la politique de développement de l’enseignement des langues et cultures régionales à l’université. Cette activité est soutenue financièrement par
A côté de ces cours de danses, le service de
Cet atelier fonctionne uniquement de novembre à février, c’est-à-dire durant la période du carnaval ; ceci dans le but d’initier non seulement aux pas de base des danses carnavalesques mais aussi de permettre à ceux qui en éprouvent la nécessité, d’approfondir leurs connaissances sur cette période et cette forme de réjouissance, notamment en ce qui concerne l’histoire, la symbolique par exemple des danses carnavalesques pratiquées dans les dancings.
C- Le Dut option animation socio-culturelle
Cette formation a été mise en place en octobre 2000 par le Service d’Education Permanente et de Formation continue de Guyane et l'Université Michel Montaigne, Bordeaux III. Cette formation, financée par le Conseil régional de
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.
L’objectif général de la formation est de valoriser les aspects culturels des cultures guyanaises, par des interventions de personnels formés, en milieu associatif, scolaire, universitaire, para- scolaire…
Dans le cadre de cette formation ont été mises en place plusieurs unités d’enseignement :
-L’Unité n°1 : Connaître l’environnement de l’animation ( le public, les institutions, les politiques)
-L’Unité n°2 : Théories , méthodes et outils de l’animation ( communiquer, analyser et prévoir)
-L’Unité n°3 : Agir dans le monde professionnel (mémoire professionnel, pratiques professionnelles)
Le module « Ethnologie et pratiques artistiques » s’inscrit dans l’unité N°1 : « connaître l’environnement de l’animation ». Dans le cadre de ce cours, les danses traditionnelles sont retenues en tant que pratique artistique.
Ce cours s’articule autour de deux grands axes :
- les aspects historiques et socio-économiques de la danse traditionnelle. Le point de départ est la communauté créole, puis l‘ analyse s’étend progressivement aux autres communautés culturelles présentes en Guyane.
- le développement de la danse traditionnelle en direction de différents publics dans un contexte d’ interculturalité et en liaison avec le développement urbain et rural.
A côté donc des cours théoriques et pratiques de danses traditionnelles dispensés dans le cadre de l’université et dans les associations de danses traditionnelles travaillant en partenariat avec celle-ci, les étudiants doivent réaliser un dossier à partir d’observations, d’enquêtes auprès de différentes associations de danses traditionnelles en milieu urbain ou rural, auprès des institutions, collectivités ou organismes censés collaborer avec celles-ci ou participer à leur développement. Après découverte et apprentissage des danses traditionnelles pratiquées dans l’association retenue et à partir de différentes méthodes et grilles d’appréciation et d’évaluation qui leur permettent de mieux cerner l’association et son environnement , ils doivent pouvoir accompagner celle-ci dans un processus de développement et réfléchir sur l’environnement culturel où s’exerce la pratique des danses traditionnelles.
4-L’IUFM
A- L'épreuve de danses traditionnelles au concours du Professorat des écoles, l'atelier de danses traditionnelles
Durant trois ans de 1994 à 1997, les étudiants de l'IUFM ont pu suivre non seulement la préparation de l'option danses traditionnelles au concours de recrutement de professeurs des écoles mais aussi dans le cadre du SUAPS l'atelier "Initiation aux danses traditionnelles". Ces deux activités réparties annuellement chacune sur 50 heures étaient menées en partenariat avec une association de danses traditionnelles. Les cours étaient dispensés par les membres de cette association sous la coordination pédagogique d'un professeur d'EPS et se déroulaient dans les locaux de cette dernière. Les épreuves retenues dans le cadre du concours étaient les suivantes :
-l’ exécution collective puis individuelle à partir de différents rythmes traditionnels
-l’ interrogation orale portant sur la pratique personnelle des danses traditionnelles et/ ou des situations d’enseignement de cette discipline.
B- La formation continue des maîtres
Divers stages regroupant des enseignants du primaire ont été également mis en place à la demande de plusieurs conseillères pédagogiques en langues et cultures régionales.
L'objectif visé était surtout de réfléchir sur des outils à élaborer, des fiches, des mallettes pédagogiques, des outils didactiques, des jeux , rondes , chants….
Les enseignants mis alors en situation d’enseignement pouvaient s’interroger sur la préparation et la présentation d’une séance de danses traditionnelles à partir d’une classe de leur choix. D’autres préparant l’examen de maître – formateurs se tournaient davantage vers la rédaction d’un mini –mémoire portant sur l’enseignement des musiques et danses traditionnelles dans un cycle, une classe de leur choix….
La préparation au concours, l'épreuve au concours, les stages qui connaissaient un vif succès ont finalement disparu faute surtout de moyens financiers. Ces différentes formations tournées vers les danses traditionnelles n'ont jamais pu être budgétisées officiellement dans le plan de financement de l'IUFM. En effet, les étudiants entre eux cotisaient pour rémunérer les intervenants chargés de les former. Seules, les langues régionales sont aujourdh’ui essentiellement enseignées à l’IUFM.
Ces différentes préparations avaient le mérite de faire découvrir les danses traditionnelles de Guyane à des jeunes enseignants guyanais et non guyanais qui par la suite les dispensaient à leurs élèves. Plusieurs de ces enseignants, voulant aller plus loin dans leur apprentissage ont même intégré des groupes de danses traditionnelles locaux.
II- La réception des danses traditionnelles
1-Les Anciens
Il s’agit surtout des Anciens qui se disent détenteurs de la tradition et qui appartiennent aux groupes de danses traditionnelles.
Bon nombre d’entre eux rejettent les figures chorégraphiques, le travail scénique proposé par les jeunes associations de danses traditionnelles et par les élèves étudiant la danse traditionnelle en milieu scolaire ou universitaire.
La réticence, la méfiance et la crainte de certains Anciens peuvent s’expliquer de plusieurs manières. D’une part, ces derniers dépositaires de la tradition depuis des décennies, ont inconsciemment peut-être peur de se voir détrôner. Ils gardent précieusement voire jalousement leurs savoirs en présentant des prétextes souvent non fondés : on se fait de l’argent sur leurs têtes, ils ne sont pas consultés suffisamment à l’avance…
D’autre part, ils appartiennent à des associations reposant essentiellement sur le bénévolat, ayant peu de moyens le plus souvent et connaissant de grosses difficultés ( absence de gestion administrative, assiduité des membres, lieu de répétition non adéquat, manque d’animateurs…). Leur transmission des danses traditionnelles s'appuie sur l'imitation , car c'est ainsi qu'ils ont eux mêmes appris ces danses. Cette forme d’apprentissage, qui à leur époque était appréciable, ne pourrait satisfaire aujourd’hui des jeunes sans cesse sollicités par les nouvelles technologies.
D’ailleurs, il est nécessaire dès que l’on aborde la notion d’enseignement d’avoir une progression - de la maternelle à l’université, on ne peut répéter inlassablement les mêmes pas et chorégraphies-, de respecter les textes officiels et de prendre en compte les situations d’évaluation. Il y a obligatoirement transposition et adaptation. Malheureusement, bien souvent, la plupart de ces Anciens, même au sein de leur association, ne suscitent chez les quelques jeunes qu'ils encadrent ni esprit critique, ni création, vu qu'ils ne s'interrogent pas eux-mêmes sur les origines et la signification de tel geste ou de tel chant. Le bien-être et l'épanouissement du jeune au contact de la danse ne font aucunement partie de leur "programme de travail". N'ayant bénéficié d'aucune formation sur ce sujet, ils n'ont pas de projet pédagogique et n'en mesurent pas l'importance. Ils ne se posent non plus aucune question sur le mode de transmission de ces danses et l'impact économique et touristique de ces dernières dans la société actuelle.
Aussi, au lieu de critiquer et de rejeter sans chercher à comprendre les raisons et les buts de ces innovations chorégraphiques ou vestimentaires opérées par les jeunes, ces Anciens, incarnation même de la sagesse
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gagneraient à être plus tolérants. Leur rôle, n’est-il pas d’inculquer aux jeunes des notions de savoir- être, de savoir-vivre, de partage … ?
2- Les parents
Une enquête menée auprès de plusieurs parents
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créoles montre que, dans l’ensemble, la plupart d’entre eux s’interrogent sur le bien fondé de cette option. Pour ceux dont les enfants suivent déjà la discipline, les motivations restent identitaires. La danse traditionnelle comme la langue créole représente une valeur culturelle importante. L’essentiel, cependant, c’est que l’enfant puisse également apprendre d’autres matières- retenons la langue française, l’anglais- qui lui permettent d’être armés pour l’avenir.
On constate toujours une certaine réserve voire une certaine méfiance à cause du poids de l’Histoire, de la part des parents dont les enfants ne pratiquent pas encore l’option. Les questions souvent posées montrent que les traumatismes du passé ne sont pas encore évacués : « Les enfants peuvent-ils choisir librement leur option ; sont-ils obligés de suivre cette option ? Que peut apporter l’enseignement de la langue et de la culture créoles à l’élève à l’heure où il est question de l’euro? » .
Si certains parents encouragent leur progéniture vers cette voie, il arrive par contre que d’autres s’élèvent violemment contre cet enseignement, refusant que l’élève suive cette option. L’enfant non autorisé à suivre l’enseignement en danses traditionnelles, se rend alors en cachette à ce cours. L’intervenant doit user de diplomatie pour convaincre alors le parent, que rien n’arrête : menace, intimidation sur l’élève et même parfois des coups
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.
3- Les attentes des jeunes
Il est essentiel de prendre en compte la demande sociale juvénile : besoins spécifiques, aspirations, occupations, état d'esprit, dispositions physiques et potentialités .
Qu’attendent la plupart des jeunes aujourd’hui ? Selon les sondages officiels
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-, leurs préoccupations et leurs attentes se résument essentiellement à la recherche d’un emploi et pour reprendre leur expression « gagner vite beaucoup d’argent ». Ils trouvent leurs modèles et leurs référents surtout chez les stars Afro- Américaines, par le biais des clips, des reportages et des séries télévisés.
Les discours sur la conservation et la promotion de la langue et la culture créoles qui ne constituent pas à leurs yeux une référence et une priorité, ne les atteignent pas
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car ils sont sensibles aux idées nouvelles, au progrès et à toutes les influences étrangères. Ils apprécient certes la musique et la danse traditionnelles, mais rejettent l'une comme l'autre
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. "A cause, expliquent-ils, de la lenteur des rythmes, des voix criardes, des thèmes désuets auxquels ces danses et ces chants font référence. On ne peut danser sur un kaséko
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comme sur un air de zouk ou comme sur du raga ou du hip hop". Pourtant, ces jeunes ne sont pas insensibles aux boîtes de nuit, aux surprise- parties, aux défilés du carnaval. Certains sociologues voient d'ailleurs dans ce nouveau marché musical une dégénérescence morale de la jeunesse, victime de l'abêtissement voire de l'aliénation musicale produite notamment par le zouk distillé à longueur de journée par les mass media.
Devant la gravité d'une telle situation, face à cette jeunesse inexpérimentée et sans repères culturels, la qualité de la transmission du passé est importante. Il est non seulement essentiel de réfléchir sur les contenus mais aussi sur les modes de transmission et le public de jeunes visé : leur âge, la communauté culturelle par exemple à laquelle ils appartiennent, leur environnement quotidien- urbain ou rural-…
4- Les communautés culturelles
Jusqu’à ce jour, l’accent est mis sur l’enseignement des danses traditionnelles créoles car les référentiels existants ont principalement été élaborés avec des personnes-ressources de la communauté créole volontaires et désirant aider les enseignants d’EPS dans ce domaine. Lors de l’Université d’été d’EPS en 1992, un appel a été lancé à toutes les communautés culturelles présentes en Guyane. Ces dernières devaient réfléchir avec les professeurs d’EPS sur l’intégration des activités traditionnelles dans le cadre de l’enseignement de l’EPS. En ce qui concerne les Amérindiens et les Bushinengé
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, seules deux activités traditionnelles, sous le contrôle et avec la collaboration de personnes-ressources de ces communautés, ont pu être retenues et mises en place en tant qu’option , précise le rectorat de Guyane. Il s’agit du tir à l’arc en ce qui concerne la communauté amérindienne et l’activité « pirogue » pour les Bushinengé. Ces deux options ont disparu, faute de formateurs. Les contacts en ce qui concerne les danses traditionnelles restent jusqu’à ce jour encore superficiels pour ne pas dire inexistants. Des revendications concernant la présence des danses créoles au baccalauréat et l’absence de celles pratiquées par les autres communautés, se font d’ailleurs entendre:
« …les élèves d’ethnies Aloukou, Paramaca, N’Duka, Saramaca et Amérindiennes sont nettement défavorisés par rapport aux créoles ( sic) de l’Ile de Cayenne, car ils ne disposent pas de la même possibilité de présenter leurs propres danses traditionnelles telles que le Songue, l’Awassa, le Sékéti…
Le fait qu’en Guyane, on ne puisse présenter que le folklore exclusivement créole au baccalauréat, donne donc à ces élèves une option évidemment plus avantageuse que pour gagner des points à cet examen… Avec les conséquences que nous pouvons en déduire sur le plan de l’avenir de chacun. »
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Ce débat éducatif devient vite un débat politique :
«Est-ce là une situation normale, digne et acceptable dans une république laïque une et indivisible ? Nous ne le pensons pas, car une éducation discriminante au lieu d’être un gage du développement réel et durable, tout au contraire ne ferait qu’agrandir la fracture entre les Communautés que l’on observe déjà sur le plan économique. »
Ce type de revendications nous rappelle d’ailleurs celles évoquées dans le cadre de la mise en place du CAPES créole en Guyane.
Pourtant une analyse du contexte socio- culturel montre que le problème, qu’il s’agisse du baccalauréat ou du CAPES, reste le même. Pour une prise en compte des langues et cultures régionales basiques de Guyane ( créole, bushinengé, amérindienne), il est essentiel d’établir une typologie. Les communautés bushinengé et amérindiennes se subdivisent en plusieurs groupes. Chez les Bushinengé par exemple, il n’existe pas que les Saramaca, les Aluku et chez les Amérindiens , uniquement les Emérillon, les Kalina…Aussi, il serait souhaitable comme pour les langues
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, de répertorier les chants et danses de ces différentes communautés, de disposer de formateurs qualifiés, d’établir un contenu, de réfléchir sur des stratégies d’apprentissages, d’élaborer des outils pédagogiques. Malheureusement pour les chants et les danses, plusieurs facteurs peuvent ralentir la réflexion dans ce domaine. En effet, le caractère sacré de bon nombre de danses amérindiennes ou bushinengé, l’accord des chefs coutumiers pour l’enseignement de celles-ci peuvent être l’une des raisons qui explique jusqu’à ce jour l’ absence de ces communautés lors de l’élaboration des contenus pédagogiques.
III- L’impact
A- Une activité de ré-appropriation et de valorisation des cultures régionales
Les danses traditionnelles peuvent être un allié de l’enseignement de la langue, de l’histoire et de la culture locales dans l’enseignement national, tout en étant « intégrées dans les contenus d’enseignement ». Elles peuvent être un support dans l’acquisition de notions linguistiques et culturelles régionales. Ce qui implique inéluctablement une réflexion sur la transmission et la transposition de savoirs empiriques en savoirs scientifiques puis scolaires. Aussi, l’interdisciplinarité ( en ce qui concerne les repères socio-historiques, l’anthropologie culturelle, la littérature orale…) et l’interculturalité (le rapprochement avec les danses des autres communautés culturelles, notamment à travers l’étude de la gestuelle, l’influence africaine ou européenne, le fonds commun caribéen) peuvent servir de méthodes d’approche, aux côtés des cours d’expression corporelle mettant l’accent sur la prise de conscience corporelle, le rapport à l’espace, à la musique...
Cependant, on peut prévoir qu’à long terme cet enseignement des danses traditionnelles par le contenu des enseignements et la nature des épreuves qui constituent cette discipline, finira par devenir une option langue et culture régionale à dominante EPS et que les enseignants chargés de cette discipline seront soit des professeurs d’EPS ayant une bonne connaissance de la culture régionale, soit des professeurs de langue et culture régionale formés aussi pour l’ EPS ; en somme des enseignants bi-valents. En effet, tant que cet enseignement des danses traditionnelles ne reposera que sur les épaules de quelques militants et non d’un groupe reconnu d’enseignants formés et motivés, les risques de disparition de cet enseignement artistique au sein des établissements du second degré demeureront.
B- L’ école de vie, l’ école du citoyen
Les activités de danse traditionnelle se caractérisent par leur fonction artistique, éducative et sociale. En effet, l’ élève devient un artiste qui crée et se recrée à partir de lui-même, à partir de son propre corps, et qui est en communication avec l’Autre.
De ce fait, on peut constater l’impact social de cet enseignement d’une part sur les associations de danses traditionnelles ( malgré les divergences d’idées) et d’autre part sur les élèves eux-mêmes. Il y a en effet interaction entre le monde scolaire et le monde associatif. Cette épreuve fait de l’école un lieu de vie où sont intégrées pratiques culturelles et éducation populaire. Les élèves peuvent découvrir les valeurs dites humanistes ( solidarité, partage, engagement…) véhiculées, en principe, au sein des associations et que le monde moderne a tendance à occulter.
Certains acteurs du monde associatif, considérés officiellement comme des personnes- ressources interviennent dans le cadre des cours ( présentation d’exposés) et sont parfois retenus dans le jury de danses traditionnelles. Les élèves qui ont visité les groupes pendant l’année dans le cadre des enquêtes sur les associations, adhèrent souvent dans ces derniers après le baccalauréat et y apportent leur dynamisme et leur expérience.
En guise de conclusion
Enseigner les danses traditionnelles en milieu scolaire et universitaire reste à certains égards une pratique difficile et fragile : encadrement technique et supports logistiques restreints voire insuffisants, outils méthodologiques inexistants… Le combat est encore long. Cependant, on voit poindre une lueur d’espoir avec la prise de conscience de quelques institutions guyanaises. Des aides financières commencent à être débloquées pour l’enseignement des danses traditionnelles en milieu scolaire et universitaire. Les représentants de
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Nous analysons essentiellement un aspect de l’enseignement des langues et cultures régionales en Guyane. On pourra se reporter pour tout complément d’information, (notamment linguistique) à l’ouvrage, par exemple, de Bernard Poignant, Langues et cultures régionales. Rapport au Premier Ministre, Paris,
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Plusieurs textes rectoraux ont été rédigés à la suite de circulaires ministériels. On peut retenir, par exemple, les circulaires n° 82-261 du 21 juin 1982, n° 83 –547 du 30 décembre 1983, n° 95-086 du 7 avril 1995.
[3]
Mieux connaître
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[6]
La danse est rattachée au cours d’EPS, car elle développe dans le domaine moteur des valeurs formatrices telles que la discipline, l’endurance, la maîtrise physique… Elle implique aussi non seulement création, imaginaire, expression, communication et émotion de la part des danseurs et entre eux, mais elle convoque également l’Autre ( spectateur, public…) qui assiste à cette création. Hormis les instructions officielles émanant du Ministère de l’éducation nationale, plusieurs ouvrages en témoignent : Jacqueline Robinson, L’Enfant et la danse, Paris, Ed. AAA & Irène Siegfred, 1988 ; Karin Waehner, Outillage chorégraphique, Paris , Ed. Vigot, 1993 ; Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Paris, Contredanse, 1997.
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Ces modalités d’évaluation et d’organisation des épreuves de contrôle émanent du Rectorat des Antilles et de
[8]
La danse traditionnelle est pratiquée également sur les campus de Schoelcher (Martinique) et de Fouillole( Guadeloupe) avec l’aide des associations de danses traditionnelles qui apportent leur soutien pédagogique et logistique. Cette activité offerte aux étudiants par le SUAPS est pratiquée sous forme d’ateliers ou d’option dans le cadre de la formation générale en APSA ( Activités physiques sportives et artistiques). Dans ce dernier cas, cette pratique artistique est alors validée en tant qu’unité d’enseignement dans le cursus des étudiants en DEUG.
[10]
Divers reportages et plus particulièrement l'émission de RFO "Kozé chaud du 28 octobre 2000 qui porte sur "tradition et modernité dans les groupes traditionnels" en témoignent. Le vocabulaire utilisé par ces Anciens est plutôt violent : "nou pa lé zot asasiné nou tradisyon", "zot ka dérayé nou bagaj"… ( nous ne vous laisserons pas tuer nos traditions ; vous détruisez notre patrimoine).
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Les sujets interrogés peuvent être répartis en deux catégories : ceux dont les enfants suivent déjà l’option en terminale, puis ceux dont les enfants sont en première et qui auront à choisir en terminale une option facultative.
[12]
Source : rapport officiel établi par l’intervenant et le professeur d’EPS, à la suite d’un incident au cours de danses traditionnelles au lycée Félix Eboué de Cayenne en octobre 2000.
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Nous retiendrons notamment, celui mené en 1998 dans le cadre de la mission Allègre « Savoirs et lycées».
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Les événements de Novembre 1996 ont certes conduit à la création du rectorat de Guyane. Cependant, ils ont été aussi la preuve concrète d’un certain malaise social, en l’occurrence celui des jeunes. D’une simple revendication de lycéens, on a vu en provenance de la périphérie de Cayenne, des bandes de jeunes armées pillant, saccageant et brûlant voitures et magasins au centre ville, pendant plusieurs jours.
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De nouveaux groupes avec de nouveaux concepts ont vu récemment le jour. On peut notamment parler du phénomène Emilie Sébéloué ou encore du phénomène Papi. Ces chanteurs ont ajouté la guitare et parfois la flûte aux percussions traditionnelles que sont le tibwa ( banc sur lequel on tape avec deux baguettes) et les tambours. Ces morceaux semblent plaire aux jeunes et connaissent un vif succès dans les soirées privées et en boîte. Ils rejoignent les compositions de Robert Dédé, de Guy Rémi et de Wey nov qui allient depuis longtemps tradition et modernité. Emilie Sébéloué et Guy Rémi par exemple sont restés longtemps en tête du hit parade et ont connu les meilleures ventes dans le domaine de la musique traditionnelle au tambour.
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Danse de clôture au rythme endiablé. Pour de plus amples explications, on pourra consulter l’étude que j’ai menée sur Musiques et danses créoles au tambour de
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Descendants des esclaves. Ils ont préféré « marronner », c’est-à-dire vivre librement dans les bois au lieu de subir le joug du colon. On les retrouve le long du fleuve Maroni.
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Extrait du discours prononcé par Yvan Ho You Fat, responsable de l’Association Lavi Danbwa, le 19 octobre 2001 à