France-Antilles Mag. : Louis Boutrin, vous cultivez le paradoxe. En effet, celui que l'on connaît sous les traits du" chevalier de la chlordécone" pourfendant les békés pollueurs, publie "La Coulée de la Rivière Blanche" un roman, contant les amours tant intenses que passagères d'une békée et d'un nègre, sur les flancs de la Pelée : Vous recherchez le scandale ou est-ce une des facettes de cette "comédie créole"que cherche dépeindre Raphaël Confiant ?

Louis BOUTRIN : Ni recherche de scandale ni « comédie créole » même si votre évocation du Chlordécone s’apparenterait d’avantage à une tragédie créole !

La coulée de la Rivière Blanche s’inscrit dans un tout autre registre. C’est la résultante d’un triptyque, une synthèse des différentes passions qui m’animent, l’écologie certes, mais aussi le sport et la politique. C’est à la fois l’expression d’un coup de cœur à travers une ode à la Montagne Pelée, un hymne à la réconciliation et un hommage à Saint-Pierre et aux Pierrotins. L’avantage du roman, c’est d’échapper aux contraintes et à la rigueur qu’impose l’essai sociologique. On peut ainsi s’octroyer quelques latitudes et prendre la liberté du rêve pour mieux ordonner le réel.

F.A. : A la sortie de votre roman, vous avez fait ici et en Europe,une série de conférences ayant pour thème "ode à la réconciliation"ou si l'on préfère "que peut-on faire contre le préjugé de race". Expliquez-nous ça.

LB : A travers mes conférences, je tente de préparer lesesprits à cette idée de la réconciliation car la société martiniquaise est rongée par un préjugé racial qui trouve son origine dans l’histoire de la colonisation de notre pays et, c’est encore à Saint-Pierre que ce préjugé de race futparticulièrement marqué.  J’avais imaginé dans mon roman, une Conférence de la Réconciliation lors de la commémoration du Centenaire en 2002, où on mettrait à plat ces questions mémorielles pour comprendre notre passé et aborder sereinement les grands défis de la mondialisation. Je pensais que cela finirait par nous éclater en pleinvisage, ce qui s’est confirmé plus tôt que prévu. La révolte de février 2009, mais aussi les déclarations faites dans Les derniers maîtres de la Martinique sont venues réactiver cette question raciale  sans pour autant offrir des pistes pour en sortir.Maintenant, nous sommes plusieurs à avoir fait le premier pas. Il appartient aux békés, notamment aux plus influents d’entre eux, de montrer des signes concrets d’engagement dans le sens de cette réconciliation. 

"Je suis immunisé contre les esprits marécageux" 

F.A. : Quand on vous dit,comme ça a été le cas sur un media local que vous êtes "la plume des békés", que répondez-vous ?

LB : Je suis immunisé contre de tels propos qui se veulent désobligeants mais qui ne font que refléter l’esprit marécageux de leurs auteurs.  Ecrire est un art qui permet de s’élever au dessus de tels marigots. Quand on prend sa plume c’est parce quel’on a quelque chose à dire, à exprimer, à partager avec les autres. Mon souhait c’est d’emmener le lecteur dans mon monde imaginaire tout en lui faisant vivre des situations qui lui sont familières. En me lisant, il a l’impression d’avoir déjà vécu certaines scènes ce qui lui laisse une empreinte émotionnelle plus forte.

F.A. : Plus sérieusement, pensez-vous qu'il puisse y avoir une conscience collective martiniquaise incluant toutes les composantes ethniques de l'île? Est-ce un rêve ou unprojet?

LB : Cette conscience collective existe mais elle tarde à s’exprimer car nous sommes toujours prisonniers de notre passé. Le moindre évènement, la moindre tension sociale réactivent ces vieux démons. Ce climat de tensionracial est inacceptable notamment pour les générations à venir. Nous avons besoin de léguer à nos enfants une Martinique apaisée, libérée de ses inhibitions, conquérante, carrefour de rencontres dans de nouvelles fraternités, dans de nouvelles harmonies, une Martinique capable par ses équilibres de s’offrir les bienfaits d’un futur. Il nous faut donc réfléchir,dépasser les divisions du passé et créer les conditions de la réconciliation. C’est aussi là une exigence démocratique. Car, nous n’avons pas seulement àconstruire des institutions politiques conformes à un Etat de droit, nous avons à régler parallèlement cette question Békée et faire en sorte que la société martiniquaise puisse trouver sa cohésion au sein d’une forme d’unité nationale.« … il est place pour tous au rendez-vous de la conquête. » disait A. Césaire dans le ‘‘Cahier’’. C’est donc,  comme vous le dites, à la fois un rêve et un projet.

Entretien Eric Hersilie-Héloïse

 BIO-EXPRESS

·      Ostéopathe, 
·      Directeur de publication de « La Tribune des Antilles ».
·      Conseiller Régional 1998 – 2004, il fut vice-président de la Commission Aménagement du territoire, environnement et recherche.
·      Militant écologiste, co-initiateur de l’Ecologie Urbaine en Martinique.
·      Titulaire d’une Maîtrise de Droit Public, il prépare actuellement son D.E.A. afin de présenter une thèse en Droit de l’Environnement à Paris-Sorbonne.
·      Essayiste, vient de publier son 5° ouvrage, La coulée de la Rivière Blanche (Roman –Juin 2009) 

  BIBLIOGRAPHIE

• - Le sport à la Martinique – Approches historique et organisationnelle – Enjeux – Essai – Ed. L’Harmattan, 1997
• - Au-delà des discours ! Essai – Ed. Ibis Rouge, 2005 – Prix Arc-en-ciel du livre 2005
• - Chronique d’un empoisonnement annoncé – Le scandale du Chlordécone aux Antilles françaises -1972 – 2002. Essai – En collaboration avec Raphaël Confiant. Ed. L’Harmattan  Février 2007
• - Chlordécone 12 mesures pour sortir de la crise Essai. Essai – En collaboration avec Raphaël Confiant. Ed. L’Harmattan  octobre 2007
• - La Coulée de la Rivière Blanche, Roman, Ed. Edilivre, mai 2009.