"Si ou wè 74 la paka pasé, mwenmèm ké sav sa pou mwen fè" Alfred Marie-Jeanne va-t-il démissionner ? par Louis Boutrin Saint-Pierre, capitale économique, culturelle et politique de la Martinique d'avant 1902. C'est à Saint-Pierre que l'esclave Romain s'est révolté et que l'abolition de l'esclavage fut promulguée en 1848. C'est à Saint-Pierre que Marius Hurard a créé le Parti Républicain Progressiste et revendiqua l'Autonomie de la Martinique. C'est aussi à Saint-Pierre qu'Alfred Marie-Jeanne, après des années de combat pour l'émancipation du peuple Martiniquais, décide de mettre chacun en face de ses responsabilités : "man pé ké kontinyié tout lavi mwen chayé dlo an panyé ba pèson". Une déclaration qui, en cas d'échec du OUI au 74, laisserait supposer une démission d'Alfred Marie-Jeanne à l'instar de celle du Général de Gaulle en 1969.
La campagne pour l'évolution institutionnelle et statutaire vient de prendre une nouvelle tournure après l'intervention d’Alfred Marie-Jeanne, député et Président du Conseil Régional de Martinique, au meeting de Saint-Pierre. Après avoir brossé les raisons de son choix, Alfred Marie-Jeanne a rappelé ses efforts sans ménagement pour faire avancer l'option du 74.
Un rappel où le leader du MIM regretta d'abord l'échec du 7 décembre 2003 à cause d'une scandaleuse campagne de "Chatt an sak" et de trahisons multiples. Rendez-vous raté pour la Martinique au cours d'un scrutin qui verra l'accession à l'Autonomie de deux communes de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy (8 398 hab.) et Saint-Martin (35 263 hab). Pas d'effusion de sang, pas de blocage du pays, pas de cataclysme naturel, juste un degré supplémentaire de responsabilité dans le cadre de l’Art. 74 tout en conservant les droits sociaux acquis et la garantie des compétences régaliennes de l'Etat.
Et, Alfred Marie-Jeanne de regretter également l'inexorable accession de la Guyane à l'Autonomie, preuve d'une maturité politique qui nous fait tant défaut. Après le ralliement de Christiane Taubira, l’unité Guyanaise autour du 74 est telle que l’on ne trouve aucun partisan du 73 pour venir débattre en télévision. De quoi forger l’admiration de bien des martiniquais et espérer un sursaut de dignité des militants PPM de la première heure en faveur de l’Autonomie…
On sentait monter une certaine amertume dans les propos de Marie-Jeanne quand, tout de go, au beau mitan de sa conclusion, il lâcha :
" Si ou wè 74 la paka pasé, mwen mèm ké sav sa pou mwen fè, man pé ké kontinyié tout lavi mwen chayé dlo an panyé ba peson ".
Certains, à l’instar de Raphael Confiant, avaient déjà évoqué une telle éventualité. Lors d’une réunion citoyenne vendredi dernier à la Mutualité, l’écrivain martiniquais, co-instigateur du Comité Objectif 74, interpella Roland Ménil, militant du MIM, en des termes similaires : « Il faudrait que Marie-Jeanne mette le poids de sa démission dans la balance au cas où le 74 ne passerait pas » avant de renchérir : « Il est temps que l’on arrête de soutirer tous ces compères Lapin ».
La prise de position d’Alfred Marie-Jeanne à Saint-Pierre, aussi stupéfiante qu’inattendue, s’explique par les nouvelles trahisons notamment celles émanant d’intellectuels et universitaires martiniquais. Bon nombre d’entre eux, après avoir apporté leur contribution à l’élaboration du SMDE, ne se gênent pas pour cracher publiquement sur ce projet. Ironie de l’histoire, ce document tant décrié sous nos latitudes a servi de trame aux principales mesures préconisées par le Président Sarkozy lors de son allocution du 6 novembre à l’Elysée. Et voilà que les détracteurs locaux du SMDE se mettent à applaudir un train de mesures que les services de l’Elysée ont puisé dans le … SMDE. D’où la colère du Président Marie-Jeanne qui a l’impression de vivre un remake du 7 déc. 2003.
Car, comment comprendre que ceux qui avaient tant diabolisé l'Art. 73 en 2003 puissent aujourd'hui, sans vergogne, s'ériger en ardents zélateurs de ce même Art. 73 de la Constitution. Par quelle opération du Saint-Esprit, cet Art. 73 qui, jusqu'alors, était synonyme d'Autonomie et d'Indépendance, se soit transformé miraculeusement en terre promise ?
Quant à cette 3ème voie proposée par les Néo-PPM, de l’avis même de personnalités ou d’élus proches de Serge Letchimy, elle devient de plus en plus insoutenable. Sans fondement juridique, sans valeur constitutionnelle, sans contenu crédible, elle apparaît de plus en plus comme une voie sans issue qui ne sert qu’à faire diversion pour faire capoter le projet d’évolution statutaire prévue par l’article 74.
Quelle que soit l’exaspération affichée par Alfred Marie-Jeanne, le peuple lui reconnaît sa compétence et sa verticalité. Que dire de sa bonne gestion des affaires régionales au moment où les partisans de l’expérimentation ont montré de réelles limites tant à la Ville de Fort-de-France qu’à la CACEM ? Et, comme vient de le révéler un récent sondage, les électeurs se disent prêts à lui renouveler leur confiance pour un nouveau mandat. En pareille circonstance, il est fort peu probable que Marie-Jeanne démissionne pour laisser la place à un moins méritant.
N’est-il donc pas encore temps que Letchimy, à l’instar de Taubira, renonce à ses ambitions personnelles manifestes pour permettre ainsi au peuple martiniquais d’entamer son cheminement vers une indispensable émancipation ?
Une telle opportunité nous sera offerte en janvier prochain à travers l’approbation de l’ Article 74. Ne ratons pas ce nouveau rendez-vous avec nous-mêmes.
Louis BOUTRIN