A.MARIE-JEANNE et S.LETCHIMY ONT POURSUIVI LE DEBAT STATUTAIRE A L'ASSEMBLEE NATIONALE

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Serge LETCHIMY :"Constitutionnalisons la notion d'Autonomie"


Alfred MARIE-JEANNE : "La Martinique mérite mieux qu'un statut de chasse gardée".


Paris - 7 décembre 2009. Six ans jour pour jour après la consultation de 2003, les députés débattent à l'Assemblée Nationale. A l'ordre du jour, la déclaration du gouvernement sur l'évolution statutaire de la Guyane et de la Martinique en vertu de l'article 72-4 de la Constitution.

 Au cours de ce débat, Le député Louis-Joseph Manscour (PS) a remis en cause la légitimité du Congrès des élus. Congrès initié pour mémoire... par un gouvernement socialiste ! 

Quant au député Serge Letchimy, il a réitéré son souhait en faveur d'une constitutionnalisation de la notion d'Autonomie, fustigeant au passage le dogme de l'Etat nation et de la "République Une et indivisible". (Sur ce point précis, Letchimy s'inspire fortement des thèses d'Edouard Glissant). Paradoxalement, en parfaite contradiction avec cette position affichée "d'Autonomie de rupture", le député-Maire de Fort-de-France annonce qu'il renonce à l'article 74 qui ouvre la voie de l'Autonomie pour s'enfermer dans l'actuel article 73 avec une étape de transition par une Assemblée instituante ... 

Position difficilement soutenable à laquelle Alfred Marie-Jeanne a répondu par une phrase qui s'inscrira désormais dans l'histoire du pays : "La Martinique mérite mieux qu'un statut de chasse gardée". Lire ci-joint, la totalité des deux interventions, dans l'ordre de passage, à savoir celle du député Letchimy puis celle du Député Marie-Jeanne.

 

Monsieur le PremierMinistre,
Madame la ministre,
Chers collègues,
 
letchimy.an.pngLe Président la Républiquea décidé de consulter les populations de la Guyane, et de la Martinique, surune éventuelle évolution institutionnelle et statutaire de leurs territoiresrespectifs, les 10 et 24 janvier prochains.
Ces deux dates sont unmoment important dans l’histoire de la Martinique, comme l’ont été :
- 1946, ce grand moment quiconsacrait 150 ans de lutte pour arracher l’égalité des droits, la fin durégime colonial, la fin de la spécialité législative qui autorisait toutes lesinégalités et tous les dénuements….
- 1956, année où une revendicationfondamentale, celle du droit à la différence et du droit à la lutte contretoutes les formes d’assimilation et d’aliénation subies par les peuplescolonisés, était proclamé par la fameuse lettre à Maurice Thorez.

Cette consultation n’estpas seulement un évènement pour nous, martiniquais ou guyanais, c’est aussi unévènement pour la République française elle-même.

Soyons clair, ce n’est pasune lutte pour plus ou moins de subventions ou de franchise. C’est une lutteplus fondamentale. C’est une lutte pour la reconnaissance de la personnalitécollective du peuple martiniquais, ce qui fonde la revendication, d’un droit àinitiative, d’une autonomie capable d’instaurer l’expression de la différencesur un socle d’égalité et de solidarité incontestable ; une autonomie capabled’admettre qu’une loi puisse se construire localement sans que pour autant, leprincipe régalien de l’égalité des droits soit fragilisé, voire supprimé…


Or,les modalités de la consultation sont bien singulières : on vote d’abord et lecontenu de la loi organique est connu après ! Cela ne donne pas toute latransparence démocratique nécessaire pour permettre à la population de voter enpleine connaissance de cause.
Certes, personne ne peut vous en vouloir, Madame la Ministre,  vous appliquez les textes en vigueur.

Aujourd’hui, on nousdemande de nous contenter d’un service minimum : 1h30-10 mn par député et, bienentendu, pas de vote ! La preuve est faite : nous Martiniquais sommes au stadedes doléances et vous, au gouvernement, conformément à l’avis du Conseil d’Etatde 2003, vous n’êtes tenue qu’à une information d’ordre général.

Le Conseil d’Etat estd’ailleurs très clair à ce sujet. Je cite : « les documents qui seront adresséspar l’administration aux électeurs ne doivent contenir aucune autre informationque celles relatives aux conséquences qui résulteraient nécessairement, enapplication de la constitution elle-même, du changement proposé, quelles quepuissent être, par ailleurs, les modalités de statut de la nouvellecollectivité qui seront ultérieurement fixées par le législateur ».
C’est unbien curieuse conception de la bonne information des électeurs. Est-ce cette idée que la République se fait des droits politiques et des droitsdémocratiques dans nos différents pays ?
Mais si vous le permettez, Madame laMinistre, j’aimerais ici m’attacher à cette notion « d’Egalité » pour tenterd’en faire le lieu d’une conscience républicaine  ouverte.

Je dis d’emblée quel’égalité, ce n’est pas une demande d’assistanat.
Ainsi, lorsque le débat surnotre autonomie s’est ouvert en Martinique, je dois avouer que je me suisd’abord référé à la devise de la République à laquelle j’adhère.
Et je diraismême que c’est au nom de cette devise que, depuis Aimé  Césaire, notreParti - le Parti Progressiste Martiniquais - a fondé sa revendicationd’autonomie dans le cadre de cette République.
Autonomie dans une conceptiongénéreuse de cette notion de « Liberté » : je le veux bien.
Autonomie dans la «Fraternité », cette fraternité qui sert aussi de base à la construction d’unmonde plus juste et plus équitable : je le souhaite.
Mais autonomie dans lapleine reconnaissance de notre identité et de notre personnalité collective entant que peuple : on en est loin.

Mais surtout : autonomiedans l’Egalité des droits.
Et c’est là que se pose levéritable problème.
Le dogme de l’Etat-nation a aussi conduit à cetteconception d’une unité monolithique qui se traduit par une République dite uneet indivisible. Une et indivisible, cela conduit à l’érosion voire à lanéantisation plus ou moins active de  la différence.

Mais dans ce monde globalisé,une autre Pensée s’affirme et devient essentielle, c’est celle de la diversité.
C’est cet esprit dediversité qui m’anime quand je défends la thèse de notre accès à un processusde responsabilisation. Mais dans le cadre actuelle de la conceptionassimilationniste de la République, cela ne peut se concevoir clairement sansune fragilisation, voire sans une rupture de l’égalité des droits.

J’ai défendu la nécessitéd’une période d’expérimentation, de transition qui viserait à transformer notrefuture assemblée unique – celle à laquelle conduira la consultation du 24janvier – en une « assemblée instituante » ; c’est-à-dire, une assemblée quinous permettra d’enrichir de notre différence le fond commun républicain ;
C’est-à-dire, une assembléequi nous permettra de préciser, en préalable à toute décision, les détails,tout au moins les grands principes de la loi qui réglera le transfert descompétences dans le cadre d’un changement de régime constitutionnel.
C’est pourcela que je demande de voter oui le 24 janvier à la collectivité unique dans lecadre de  l’article 73, que je considère comme étape inaugurale d’unenouvelle ère de responsabilisation.

Comme nous refusons de nousenfermer dans le 73, nous considérons et nous disons bien qu’il s’agit d’unpoint de départ qui devrait comporter un pouvoir d’habilitation permettant auxautorités locales de légiférer au delà de deux ans. La loi organique doitêtre  à cet effet revue, puisque la Constitution ne prévoie aucun délai.

Je ne m’inscris pas danscet article 74 tel que rédigé aujourd’hui car il relève d’une conceptionétroite de la responsabilité. Il nous impose de décider avant même de savoircomment nous serons traités et dans son esprit, il proclame que toute accessionà un degré réel d’autonomie doit se payer, de fait, par une fragilisation de lanotion d’égalité.
Sur ce point, le comité Balladur est clair. Je le cite : «un tel choix, celui du 74, emporte pour principale conséquence que le régimed’identité législative n’est plus garanti par la Constitution elle-même, maispar la loi organique ce qui implique que s’ils étaient appelés à se prononcersur cette question, les électeurs soient pleinement informés de leur choix ». 
Dèslors, la vraie question est de savoir comment concevoir l’égalité dans le cadred’une République qui reconnaît le droit à la différence, comme élargissement del’espace de liberté.

La réponse doit venir d’unevéritable constitutionnalisation de la notion d’autonomie, qui favorise l’élandes différences et des génies particuliers, sur le socle jamais remis enquestion, de la liberté, de l’identité et de l’égalité.

Madame la Ministre,l’article 74 tel que rédigé dans cette constitution, pose d’incontestablesproblèmes qu’il faut résoudre.
Il ne conduit qu’à uneautonomie de rupture, voire de sanction. La gouvernance qui en découle esttronquée, fragmentée, saucissonnée !

Alors comment peut-onproposer pour la Martinique, un développement, dans le cadre de l’article 74,avec des compétences parcellaires, un pouvoir limité à l’adaptation des texteset des lois qui continuent à se faire en France ? Comment peut-on, libérer lesénergies, la créativité et donner un cadre pour affronter les grands défis dece monde, les drames sociaux et économiques qui minent nos pays sans se donnerles moyens d’une gouvernance globale et la possibilité de maîtriser lesprincipaux leviers économiques ?

Ici même, dans cetteassemblée, A. Césaire parlant d’adaptation disait «  vous voulezadapter la loi française aux département d’outre mer, autrement dit vous voulezchanger le détail alors qu’il convient de changer l’esprit.. C’est là uneentreprise absurde, et tout le génie du monde n’y parviendra pas…. »
Deplus, le Conseil constitutionnel est sans concession à se sujet. Il précise que« adapter la loi, ce n’est pas en altérer la substance car l’adaptation n’estpas la dérogation ».
C’est pour cela, Madame la Ministre, qu’il faut donnerau peuple Martiniquais la main, et du coup vous leur donnerez la plume : lapremière des libertés c’est la liberté de l’esprit. Il faut alors éviter denous prédéterminer dans un article étroit et inadapté : l’article 74.
Je crois comprendre que le peuple martiniquais veut avant tout être martiniquais,caribéen et exister dans l’ensemble européen et français dans le respect mutuelet dans la dignité. Cela leur donne autant de devoirs que de droits. C’estpourquoi cette collectivité unique ne peut être qu’un point de départ, unespace de recommencement, un premier espace d’auto-organisation.

J’ai compris que la réformeconstitutionnelle de 2003, a ouvert la possibilité de régimes politiques à lacarte. Si en 2003, un pas a été franchi par des possibilités de légiférerlocalement, il nous reste à franchir un pas de plus.
Nous appelons à unetransition constructive. C’est pourquoi nous vous interpellons Madame laMinistre solennellement. Le Président de la République a en effet ouvert uneperspective le 26 juin 2009 en Martinique en déclarant que « la création d’unecollectivité unique serait assortie d’un pouvoir normatif renforcé ». Il a mêmeajouté qu’après plusieurs années et à l’issue d’une évaluation dufonctionnement de cette collectivité, une seconde étape, vers plus d’autonomiepourrait être engagée.

Quelles initiatives serontenvisagées par le Gouvernement sur cette question fondamentale ?
L’outre-mer a jusqu’ici étéle moteur de la modernisation de notre constitution ; il est aujourd’huiindispensable que nous parvenions à la constitutionnalisation d’une véritableautonomie comme en Espagne, en Italie et au Portugal.
Au sortir de cetteconsultation, quelle qu’en sera le résultat, nous serons confrontés à lanécessité d’une beauté nouvelle : celle de transformer cette constitution pourque cette diversité qui fait la richesse de la France puisse se vivre dans laliberté, dans la fraternité et dans l’égalité inaliénable ! Je demande que lareprésentation nationale se saisisse de cette perspective, et qu’elle nousaccompagne dans ce combat commun qui sera le nôtre durant les mois quiviennent.

e ne peux conclure sans penseraux 200 000 martiniquais qui vivent ici dans l’hexagone et qui seront malgréeux des spectateurs passifs au moment d’un choix décisif pour leur pays.
Nous leur devons durespect. Nous avons besoin d’eux, comme ils ont besoin de nous. 

Serge LETCHIMY

 

 

Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Collègues de l'Assemblée,
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A nouveau, l'électeursera consulté le 10 janvier 2010 et au besoin dans la quinzaine qui suit

Quoi de plus démocratique.

Et la question posée estsans équivoque.

Elle est la reprise stricto-sensu  de la phrase qui fonde l'article 74 de la constitution.

Elle dit sans ambages que'' les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République''.

Cet énoncé n'est pas du tout abscons. Il relève du bon sens.

A moins d'être un procédurier impénitent, ou un conservateur rétrograde, il n'y a pas là matière à susciter et à entretenir une quelconque querelle byzantine.

Que je sache, tous les partis politiques, excepté l'extrême droite, ont fait du principe de l'émancipation de l'homme, donc des peuples, le soubassement fondamental de leur doctrine.

Or, à mon grand étonnement,on assiste aujourd'hui tant en Martinique qu'en France à des coalitions hétéroclites,à des attelages insolites, qui tentent par tous moyens de galvauder ceprincipe.

C'est inattendu. C'est même contradictoire, lorsque l'on sait que le débat sur le changement en France bat son plein.

La Martinique mérite mieux qu'un statut de chasse gardée.

Et puisqu'il doit en être autrement, des propositions concrètes ont été déclinées dans deux documents detravail : l'un émanant du Conseil Régional, l'autre du Conseil Général.

J'ai cité, le Schéma Martiniquais du Développement Economique et l'Agenda 21.

Ces documents ont été officiellement remis au gouvernement il y aura bientôt deux ans.

Ils ont même servi de base aux différents ateliers des Etats-Généraux.

Ceci dit, Madame laministre,

Souffrez que je vous interpelle dans l'unique but d'éclairer  la lanterne et des uns et des autres.

Il me semble que l'article 74, permet sans dommage l'évolution sollicitée.

Il ouvre toute unepanoplie de perspectives et offre ainsi des possibilités qui n'existaient pas auparavant. Il n'est pas figé

C'est l'ajustement permanent sur demande et sur mesure et toujours après concertation et négociation.

Nos documents de travail formulent-ils une demande de référendum d'autodétermination ?

Je réponds non. Car la question n'est pas relative à l'indépendance mais bien à  l'autonomie.

Vous pouvez confirmer oudémentir Madame la Ministre ! 

Hélas, nous faisons partie des bons derniers de la terre, à ne pas avoir encore obtenue cette autonomie.

Notre incompétence serait-elle à ce point congénitale, nous qui regorgeons par ailleurs de tant de gens qualifiés !

Nos documents de travail portent-ils atteinte aux acquis sociaux, à la sécurité sociale et aux retraites?

Je réponds non.  Car ce sont des droits absolus.

Vous pouvez confirmer ou démentir Madame la Ministre !

Nos documents suppriment-ils notre partenariat avec l'Union Européenne ?

Je réponds là encore non.

Vous pouvez confirmer ou démentir Madame la ministre !

Nos documents menacent-ils le principe d'égalité qui, si je ne m'abuse, est expressément repris dans le préambule de la constitution ?

Est-il plausible d'attendre une nouvelle réforme de la constitution pour une autonomie réputée plus conforme aux intérêts de la Martinique ?

Surtout n'esquivez pas cette question Madame la Ministre !

Enfin, la loi organique peut-elle être façonnée et votée avant toute consultation populaire ?

De grâce, n'esquivez pas cette question, madame la Ministre ?

Pour arriver à ce stade du débat, nul n'ignore qu'au vu et au su de tout le monde , des contacts ont eulieu avec le Président de la République en personne, car rien ne peut se déclencher sans son consentement.

Cette démarche est tout à fait normale.

Ceux qui la critiquent, ont-ils une autre méthode d'approche ? qu'ils le disent !

Et pour ceux qui prétendent encore ne pas être suffisamment informés, voici rappelée la synthèse des principaux sujets retenus dans les résolutions du congrès :

1/ Que la Collectivité Territoriale de Martinique soit dotée d'une compétence d'adaptation des lois et des règlements.

2/ Qu'elle soit aussi dotée de compétences supplémentaires :

-Dans le domaine économique

-Dans le domaine de l'éducation, de la formation et de l'emploi

-Dans le domaine des transports et de l'équipement

-Dans le domaine du régime de la propriété publique. Il s'agit uniquement des biens et des terrains appartenant à l'Etat et qui pourraient être transférés. Pas de confusion en la matière !

Cette déclinaison comprend aussi

-l'habitat et le logement

-l'énergie, l'écologie etl'environnement.

-La santé et le social

-La fiscalité.

-Le sport et la culture

-L'aménagement du territoire et du développement durable

-La coopération régionaleet internationale. 

-La justice et la sécurité.

Comme vous le constatez,nos revendications ne sont ni superflues, ni excessives, ni impossibles.

Il va de soi, qu'uncertain nombre de ces compétences seront partagées avec l'Etat.

De même, les collectivités conserveront leurs ressources habituelles auxquelles s'ajouteront les moyenstransférés.

Tout est soigneusement balisé

Il n'y a aucune panique  à provoquer

Il n'y a aucune polémique stérile à entretenir

Il n'y a ni secret, ni entourloupette ni grenn an ba fèy-i

En conclusion,

On cite à tout propos ethors de propos Aimé CESAIRE en tronquant parfois ses écrits.

C'est bien lui qui a dit,dans la tragédie du Roi Christophe :'' un pas, un autre pas et tenir gagné chaque pas, c'est d'une remontée jamais vue que je vous parle et gare à celui dont le pied flanche ''.

Que de pas non tenus ! Quede pas non gagnés! Que de pieds qui ont flanché !

En somme, quelle tragédie!

Et Frantz FANON d'ajouter que ''chaque génération doit dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir''.

Que de missions nonremplies! Que de missions trahies !

Il est temps d'être au diapason de ces deux éclats de conscience qui parmi tant d'autres martiniquais font honneur à leur Pays, à la France, et également au Monde entier.

                                                                                                Alfred MARIE-JEANNE

                                                                                                 Parisle 07 décembre 2009