INSTITUTIONS et DEVELOPPEMENT par Elisa PAULIN

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Tout au long de son histoire, la Martinique n’a eu de cesse de réclamer de nouvelles institutions pour l’orienter vers un véritable développement économique et social. C’est pour cette raison que la départementalisation avait suscité autant d’espoirs dans les vieilles colonies. Les rapporteurs de la loi de 1946 qui a transformé les 4 vieilles colonies (Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion) en département français étaient surtout  animés par le souci d’un développement équilibré. 



La départementalisation a, certes, apporté des progrès indiscutables dans certains domaines comme l’éducation, la santé, les infrastructures, les équipements, etc, Ces progrès sociaux se sont réalisés aussi grâce aux  luttes syndicales. Les profondes mutations dues au statut départemental n’ont pas été sans conséquence sur la société martiniquaise.


Les handicaps au niveau économique sont toujours très persistants.


Le processus de décentralisation engagé en France en 1982, était présenté comme le nouveau moyen mis en œuvre par l’Etat pour placer la Martinique sur les sentiers du développement. 


La décentralisation s’est accompagnée d’un certain nombre de mesures pour attirer des investisseurs dans les DOM. Il s’agissait de dispositifs économiques, fiscaux et sociaux, comme la défiscalisation de certains investissements, de mesures en faveur de l’emploi, de réductions de certains taux de TVA, etc. Ces dispositifs n’ont pas été à la hauteur des espoirs.


L’impact contrasté des différents dispositifs


Les différents dispositifs d’incitations fiscales (loi Pons de 1986, loi Richard de 1997, loi Paul de 2000, puis la loi Girardin de 2003), ont eu certes, des effets socio-économiques encourageants sur la relance des investissements  à la Martinique, mais, n’ont pas été en mesure d’ assurer un véritable développement.



Si l’on prend le cas du dispositif de la loi Pons, celui-ci a permis un renforcement structurel du tissu économique. Mais, globalement, son impact sur l’activité économique de la Martinique a été assez inefficace. 


Les effets pervers sur le foncier qui ont entraîné la dilapidation des terres, sont la conséquence la plus marquante restée dans les consciences martiniquaises. Ces dispositifs pensés pour l’outre-mer ont souvent été détournés de leur objectif initial, d’une durée trop courte, d’un système de contrôle défaillant.


En définitive, l’impact socio-économique de la défiscalisation en termes d’emplois durables, d’amélioration de l’exploitation des entreprises, de créations d’entreprises, de stratégie à l‘exportation, etc. s’est révélé très marginal.


Le bilan de la départementalisation et de la décentralisation dans leur capacité à résoudre la crise sociétale de  la Martinique est assez décevant.


Ces dernières années, la Martinique a connu une croissance relativement élevée, mais sans développement. Les chiffres pour le prouver sont assez éloquents : un chômage massif, surtout des jeunes et des femmes, une augmentation de la pauvreté et des inégalités sociales (20 % de martiniquais vivent en dessous du seuil de pauvreté), des échanges commerciaux  exclusivement orientés vers la France métropolitaine (70 %), une balance commerciale durablement déficitaire, une faible compétitivité au niveau des standards internationaux.  Ce modèle de développement extraverti basé sur la consommation de produits importés, est dépassé et inapte à répondre aux attentes des martiniquais.


Les nombreuses contraintes naturelles, socio-économiques, auxquelles la Martinique est confrontée participent aux blocages qui l’empêchent d’impulser son développement. Les Martiniquais à juste titre s’interrogent sur l’impact d’une réforme institutionnelle accompagnée d’une redéfinition des rapports avec la France métropolitaine dans le développement économique du pays.



Lien étroit entre institutions et développement ?


Un grand nombre d’études économiques réalisées ces dernières années suggèrent que les institutions sont vitales pour le développement et la croissance économique (North, Edison, Acemoglu..). 

 

Les économistes analysant la croissance économique s’accordent aujourd’hui largement sur le fait que les schémas prédominants de prospérité dans le monde dépendent de la qualité institutionnelle. 


Ce nouveau centrage sur les institutions a provoqué un programme ambitieux de réformes de « gouvernance » de la part de nombreux Etats nationaux et d’organisations internationales. Par exemple, le crédo actuel du FMI veut que pour être efficaces, les nouvelles orientations de politique économique s’appuient sur des réformes institutionnelles. 


Les analyses empiriques récentes retiennent un certain nombre d’ indicateurs de mesure de la qualité des institutions qui ne sont pas exhaustifs  : 1) responsabilisation et participation des citoyens ; 2) stabilité politique ; 3) efficacité des pouvoirs publics ; 4) poids de la réglementation ; 5) Etat de droit ; 6) absence de corruption. Ces mesures  définis par des experts internationaux servent de référence dans l’application des politiques macro-économiques du FMI ou de la Banque Mondiale.


En fait, la qualité des institutions ne repose pas uniquement sur sa solidité,  mais, sur sa capacité à permettre aux pouvoirs publics de mettre en place des programmes d’actions au service du  développement économique. La corrélation entre les institutions et l’action des pouvoirs publics semble indiquer qu’une action avisée doit être appuyée par de bonnes institutions. Des institutions inadaptées réduisent les chances qu’une politique avisée soit adoptée ou compromettent son efficacité. 


La qualité des institutions françaises pour accompagner l’économie de marché n’est plus à démontrer. La remise en cause des institutions à la Martinique se situe donc dans son incapacité à mettre en place des leviers du développement économique. De nombreux décideurs politiques réclament cette réforme institutionnelle pour lever les obstacles identifiés (enchevêtrement des compétences, absence de transversalité entre les lieux de décision, l‘éclatement et la faiblesse des moyens du pouvoir local pour agir sur les  leviers de décision) afin  de changer progressivement le mode de développement. Ces réformes institutionnelles leur permettront de disposer d’instruments législatifs et réglementaires pour adapter les politiques publiques aux réalités martiniquaises, donc orienter la Martinique vers un autre modèle de développement. 


L’influence des institutions sur le développement est prouvée par des études empiriques réalisées par des économistes à partir d’ un échantillon de 133 pays de 1960 à 1989 (Borner, Bodmer, Kobler, 2004). Les résultats obtenus convergent pour montrer qu’un meilleur environnement institutionnel est favorable au développement économique. 


On peut à cet égard comparer les trajectoires de la Chine et de la Russie qui ont entamé leur transition vers l’économie de marché. Des différences importantes existent entre les deux pays : - le processus de transition de la Russie s’est fait avec plus de difficultés car, l’environnement institutionnel est moins efficace, avec l’existence d’un système corrompu - la Chine a su créer des incitations au développement de l’économie de  marché par des réformes institutionnelles décentralisées progressives et performantes d‘où son succès économique. - Ce sont ces réformes qui semblent avoir été l’artisan principal du miracle indien en matière de croissance, depuis le début des années quatre vingt (Rodrick et Subramanian, 2004). Une ex-colonie britannique comme le Botswana grâce à de bonnes institutions, a aussi réussi à mettre en place une démocratie efficace après son indépendance et à devenir le pays où la croissance est la plus rapide au monde (D. Acemoglu, 2003).


Etant donné la robustesse des résultats des travaux démontrant le solide lien existant entre facteur institutionnel et développement économique, il en découle que les effets des institutions sur les résultats économiques de la Martinique passent par une plus grande adéquation de celles-ci  avec ses  réalités socio-économiques. Les changements institutionnels  réclamant plus d’ autonomie semble être la voie la plus cohérente pour établir les conditions d’un développement harmonieux à la Martinique.


Les deux réformes institutionnelles majeures (départementalisation et décentralisation) ne suffisent pas à doter la Martinique d’institutions lui permettant de s‘adapter à l‘évolution de l‘économie mondiale. Depuis des décennies l’Etat utilise l’outil fiscal comme moyen essentiel pour placer la Martinique sur les rails du développement. L’outil fiscal ne peut constituer à lui tout seul de stratégie de développement. 


Le développement de la Martinique doit s’appuyer sur un projet de développement pour tout d’abord lui permettre de s’insérer dans son environnement régional et faire face aux défis de la mondialisation. Le monde est en pleine mutation avec les pays émergents et la Martinique ne peut rester en marge de cette dynamique. 


Seules des institutions autonomes  peuvent lui permettre d’entrer dans cette nouvelle ère, c’est-à-dire, diversifier ses partenaires commerciaux avec tous les avantages qui s’y rattachent,  jeter de nouvelles bases de coopération avec ses voisins caribéens, améliorer l’attractivité du territoire pour les investisseurs potentiels, encourager l’investissement dans le capital humain et les technologies performantes, moderniser les rapports entre l’Etat Français et ce système de région monodépartementale bloquée, s’ouvrir au monde et participer à la dynamique internationale.


L’autonomie exercée en partenariat avec l’Etat doit permettre au pouvoir local  de cibler les actions pouvant exercer un effet significatif sur les résultats macro-économiques et sociaux. L’Etat reste l’organe de contrôle majeur dans ce processus de responsabilité partagée, pour garantir de la qualité des institutions.


Les réformes institutionnelles incluent des mouvements pour redimensionner l’Etat à la bonne taille (Khan, 2003). Des institutions endogènes   permettent de gagner en efficacité pour mieux identifier les problèmes à résoudre en vue d’un véritable développement économique endogène. L’adhésion et la mobilisation des martiniquais en faveur de ce projet est fondamentale pour garantir le succès de cette réforme institutionnelle.

 


Mme Elisa PAULIN


Maître de Conférences


De Sciences Economiques


UAG - Campus de Schoelcher