JAMAIQUE : RETOUR A LA NORMALE MAIS BILAN LOURD, 73 MORTS

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Relations douteuses entre chefs de gangs et leaders politiques
 
Les commerces rouvraient timidement jeudi à Kingston après la guerre lancée par le gouvernement contre les gangs de la capitale jamaïcaine, qui ont fait 73 morts selon un nouveau bilan communiqué par la police. 


signe de retour à la normale, l'ambassade des Etats-Unis, pays qui réclame l'extradition d'un parrain présumé de la drogue à l'origine des violences, a également rouvert ses portes pour la première fois depuis l'imposition de l'état d'urgence dimanche.


Mais le bilan des violences s'est brutalement alourdi, la police parlant désormais de 73 morts.



"Nous avons récupéré 73 corps", a déclaré le commissaire adjoint de la police, Glenroy Hinds, lors d'une conférence de presse. "Il y a des civils, mais il s'agit parfois de tireurs", a-t-il ajouté. 

 

M. Hinds a précisé avoir un doute sur le cas de six personnes décédées, ne sachant pas si elles avaient péri à Tivoli Gardens, le quartier de la capitale qui a été le théâtre des affrontements les plus violents entre les forces de l'ordre et les gangs.


Les autorités avaient dans un premier temps parlé de 27 morts, puis de 44 mercredi. Le "médiateur indépendant" nommé par les autorités pour enquêter sur la situation dans les bidonvilles de Kingston, Hero Blair, a dit avoir demandé au gouvernement un bilan complet des victimes.


Dès mardi, un bilan établi par l'AFP en se fondant notamment sur des sources hospitalières faisait état d'au moins 60 morts dans les affrontements qui ont opposé les forces de l'ordre aux gangs tentant d'empêcher l'arrestation du "parrain" présumé, Christopher "Dudus" Coke.


"Dudus" est considéré comme une sorte de Robin des Bois local par les défavorisés du quartier qui ont élevé des barricades dans Tivoli Gardens à l'annonce du mandat d'arrêt délivré par les autorités.


Jeudi, les écoles restaient fermées dans toute la ville et de la fumée continuait à s'élever de bâtiments incendiés au cours des violences.


Un habitant de Tivoli Gardens interrogé par la télévision a confié que les forces de l'ordre continuaient à perquisitionner dans les immeubles un par un à la recherche de gangsters. Les téléphones portables sont confisqués, a-t-il indiqué.


Mais "Dudus" reste introuvable. Le ministre de l'Information Daryl Vaz a reconnu que les autorités ne savaient pas où il se trouvait et n'a pas voulu dire s'il avait pu ou non quitter le pays.


En attendant, les habitants des secteurs touchés par la violence continuaient à se terrer chez eux, vivant dans des conditions pénibles, sans électricité, ni eau courante, ni vivres. La Croix-Rouge a prévu d'assurer des distributions de nourriture. Le ministère de la Santé a appelé la population à donner son sang aux hôpitaux.


Les Etats-Unis soutiennent la répression engagée contre les gangs par le Premier ministre Bruce Golding, après des années de laxisme à l'endroit des narcotrafiquants. M. Golding est lui-même élu de la circonscription de Tivoli Gardens et l'opposition le considère comme un ancien "client" de "Dudus".


A Washington, le porte-parole du département d'Etat a salué les "mesures courageuses" adoptées par le gouvernement jamaïcain. "Nous soutenons absolument les efforts du gouvernement jamaïcain pour faire respecter l'état de droit et arrêter Christopher Coke", a-t-il déclaré.

 

Source : Le Point. 

 

Jamaïque: la fin de la «politique du ghetto»


Les liens entre partis politiques et mafia n'ont jamais été un mystère en Jamaïque, mais les événements des derniers jours, qui ont vu les forces de l'ordre s'en prendre aux gangs, pourraient être le signe d'un changement, espèrent des observateurs.


Depuis que l'île des Caraïbes a obtenu son indépendance des Britanniques en 1962, les deux grands partis jamaïcains n'ont guère fait d'efforts pour cacher leurs liens avec les gangs, des liens qui leur permettent de faire le plein de voix aux élections et de contrôler des secteurs où la police ne met pas les pieds.


Mais, en déclarant dimanche l'état d'urgence pour permettre l'arrestation du narcotrafiquant présumé Christopher «Dudus» Coke, le premier ministre travailliste Bruce Golding s'en est pris au chef d'un gang qui soutient historiquement son parti. Depuis, les combats entre pègre et forces de l'ordre ont fait au moins 60 morts.


Bruce Golding a agi à la suite d'une demande d'extradition des États-Unis, qui accusent Coke de diriger un réseau fournissant plusieurs grandes villes de la côte Est, dont New York, en cocaïne et marijuana.


Malgré les colonnes de fumée qui obscurcissent le ciel de Kingston, beaucoup de Jamaïcains voient dans cette décision le début d'une nouvelle ère et la fin de la «politique du ghetto» («garrison politics»), qui veut que dans les bidonvilles de l'ouest de la capitale, ce soient les gangs qui fassent la loi.


Ricardo Thomas, 30 ans, qui travaille dans un café, estime que les relations entre la classe politique et un homme réclamé par la justice américaine n'ont que trop duré. «Quand il y a un rat qui commence à puer dans votre maison, il est temps de faire du nettoyage», dit-il.


Pour le révérend Earlmont Williams, pasteur d'une église locale, «ce qui est en train de se passer est incroyable et très triste, mais pourrait être l'aube d'une nouvelle ère».


Les chefs de gangs doivent leur popularité à l'incapacité du gouvernement d'améliorer le bien-être des habitants des quartiers pauvres de l'ouest de Kingston, explique-t-il.


Coke et ses semblables en ont profité pour imposer leur loi en s'appuyant sur le soutien fanatique des habitants à qui ils assurent protection, éducation et nourriture.


Dans cette relation de vassalité, le protecteur attend traditionnellement en échange toutes sortes de services, d'une couverture occasionnelle face à la police, à des faveurs sexuelles de la part des jeunes filles.


«Il est considéré comme Robin des Bois ou même Jésus, quelqu'un qui les défend et est prêt à mourir pour eux, même si c'est un messie du mal», résume Earlmont Williams.


Le parti d'opposition, le Nouveau parti populaire, qui n'est pas étranger lui-même à la politique du ghetto, a accusé Bruce Golding d'avoir tardé à agir contre Christopher Coke.


Mais la lutte contre les criminels est une affaire qui «transcende les lignes partisanes», répond le ministre de l'Information, Daryl Vaz. «Le moment est venu de nous y consacrer frontalement, sans nous trouver des excuses».


Pour certains, il n'est pourtant pas certain que les choses puissent changer si vite. «Je ne vois pas comment ils vont réussir à éliminer aussi rapidement une machine politique qui est au coeur de la vie jamaïcaine depuis 30 ou 40 ans», juge Michael C. Chettleburgh, expert des gangs et auteur d'un livre sur le sujet Young Thugs: Inside the Dangerous World of Canadian Street Gangs.


Shaun Tandon Agence France-Presse (source : cyberpresse.ca)