Rude concurrence avec les telenovelas !
A la nuit tombée, dans les capitales africaines, bien souvent les telenolevas ou les feuilletons indiens, captent l’attention des téléspectateurs. Mais depuis quelques jours, les sitcoms subissent une concurrence très sévère, celle de l’équipe de France. Les aventures des Bleus font rire le continent.
De longue date, les Bleus fascinent sur le continent noir. «C’est la plus africaine des grandes équipes. Quand la sélection nationale n’est plus en lice, nous avons l’habitude de soutenir l’équipe de France» souligne l’écrivain Marcus Boni Teiga. Sauf que cette fois-ci, la France ne fait plus recette que par ses frasques. Le coup de tête de Zidane en finale de la coupe du monde lui avait déjà faire perdre nombre de fans. La main de Thierry Henry lors du match de barrage contre l’Irlande avait aussi eu raison de bien des ardeurs. Mais cette fois-ci, la coupe est pleine. Les derniers supporters désertent.
Mais le public continue à suivre le sitcom. Dernier épisode en date: des joueurs qui ne veulent pas entrer sur le terrain pour affronter l’Afrique du Sud. La défaite face à la nation réputée la plus faible du «groupe le plus facile». Et surtout nouveau rebondissement: Domenech qui refuse de serrer la main de Parreira, l’entraîneur de l’Afrique du Sud, le pays hôte.
Sujet de plaisanterie
Les Bleus sont juste devenus un sujet de plaisanterie. Ainsi au Sénégal, une nouvelle blague fait florès: à l’heure du divorce de ses parents, l’on demande à un enfant s’il veut vivre avec sa mère.
Il répond: «Non parce qu’elle me bat!» A la question, veux-tu vivre avec ton père, même réponse: «Non, il me bat aussi». L’enfant conclut: «Je veux être adopté par l’équipe de France, parce qu’elle ne bat jamais personne». Cette plaisanterie a vu le jour à grande vitesse, car les Sénégalais sont sidérés de l’allure à laquelle la Grande France footballistique s’est effondrée.
Le quotidien Kotch s’étonne du spectacle offert: «Un langage fleuri signé Nicolas Anelka à l’endroit de son coach Raymond Domenech a fait exploser la maison bleue. Et depuis, comme dans Loft Story, on en apprend des vertes et des pas mûres sur l’intimité de l’équipe de France. Patrice Evra, en bon chef de bande, cherche à éliminer un traître. Ajoutez à cela Franck «Scarface» Ribéry qui joue les caïds de bac à sable en inhibant complètement ce pauvre Yoann Gourcuff, trop lisse sans doute dans ce monde de brutes. Avec tout cela, difficile de croire qu’on est encore dans le football, mais plutôt dans la série Prison Break».
Indignes Français
Ce journal sénégalais ajoute: «Tout cela est pathétique et gonflant. Vivement que la Coupe du monde soit débarrassée de cette équipe de France, qui est une véritable insulte à ce Mondial». Beaucoup d’observateurs africains ont le sentiment que le «spectacle de chaos» offert est digne d’une équipe… africaine.»
«Patrice Evra et ses camarades avaient touché le fond, affirme le quotidien burkinabé Le Pays, mais à l’allure où les choses ont évolué, on constate qu’ils cherchent eux-mêmes à atteindre le tréfonds de l’abîme. Ainsi, par solidarité, disent-ils, avec leur coéquipier exclu du groupe, ils refusent de s’entraîner. On était habitué à ce genre de situation avec les équipes africaines qui menacent ou procèdent au chantage lorsque des problèmes de primes se posent. Mais cette fois, il s’agit de l’équipe de France, championne du monde 1998, vice-championne 2006, et championne d’Europe 1984 et 2000. Une nation de football!».
Le Pays ajoute un commentaire féroce: «On est même tenté de se demander s’ils méritent encore de porter ce maillot. Où ces joueurs mettent-ils le patriotisme, l’honneur du Coq gaulois? On a l’impression d’être dans une république bananière.»
L’Observateur Paalga, autre journal burkinabé, croit voir dans ce comportement l’expression d’une «indiscipline bien gauloise»… «Réflexion faite, un tel bordel est peut-être caractéristique de ce pays où il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’une grève se déclenche… Rien d’étonnant donc si ce caractère frondeur, grincheux et jamais content, bien français, en est venu à déteindre sur les sportifs».
Au Cameroun aussi, la presse s’enflamme. Si Le Guen, l’entraîneur des Lions indomptables, n’a pas réussi à qualifier le Cameroun pour les huitièmes de finale, c’est parce qu’il est… Français. Donc trop rigide et qu’il ne veut pas adapter son schéma tactique à l’adversaire. Les déboires de l’équipe de France et des entraîneurs français sont prétextes à régler quelques vieux comptes avec le colonisateur. Et aussi avec un pays souvent jugé arrogant. En football comme en d’autres matières.
Inquiétudes
Mais les déboires du Coq ne font pas seulement sourire. Ils inquiètent aussi. Certains craignent que ce soit du pain béni pour l’extrême-droite. «Ces joueurs ne donnent-ils pas raison au leader du Front national, Jean Marie Le Pen, qui disait il y a quelques années que l’équipe nationale n’est pas le reflet de la France?» se demande L’Observateur Paalga.
Kotch s’inquiète: «Ce n’est pas seulement pour les divas de l’équipe de France que l’hallali va sonner, mais sur les pauvres petits jeunes des cités françaises. Déjà les identitaires irascibles commencent à sortir le microscope, pour nous dire que tout ceci est la parfaite illustration d’une France coupée en deux. D’un côté, le blanc Gourcuff élevé dans l’austérité et le sens du sacrifice tout à fait Breton, et de l’autre Anelka, la racaille de Trappes, qui ne connaît aucune soumission à l’autorité.»
Le quotidien sénégalais ajoute: «Si Ribéry joue les petites frappes, ce n’est pas parce qu’il s’est converti à l’islam. Si Anelka refuse de donner le ballon à Gourcuff, ce n’est pas parce que sa couleur de peau ne lui revient pas. Si ces footeux se comportent de façon aussi lamentable, c’est simplement parce que c’est dans l’air du temps. Il est de bon ton d’être provoc ou trash dans un monde où l’anti-intellectualisme est la valeur la mieux partagée, surtout dans ces quartiers difficiles ».
Un autre édiorialiste de Kotch ajoute: «C’est peut-être la faute la plus grave d’Anelka et compagnie que d’avoir réussi la prouesse de décomplexer la France des petits blancs réactionnaires et épouvantés par le métissage qui ont toujours estimé, mezza voce, que les valeurs de la France foutaient le camp avec la «surreprésentation» des Noirs dans son équipe nationale.»
Face au fiasco des Bleus, l’Afrique francophile ne sait plus trop si elle doit rire ou pleurer.
Pierre Malet