Cinquante ans après les premières explosions, une loi, adoptée le 5 janvier 2010, a reconnu que les tests nucléaires menés par la France pour construire sa force de dissuasion avaient causé des contaminations : 210 essais ont été menés entre 1960 et 1996, dans le Sahara algérien et en Polynésie. Civils ou militaires, près de 150 000 personnes ont travaillé sur ces sites. Des dizaines de milliers d'habitants de ces régions sont, en outre, potentiellement concernés. A ce jour, l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) et Mururoa e Tatou ont établi 837 dossiers.
"PRÉSOMPTION DE CAUSALITÉ"
Après d'interminables navettes interministérielles, et un blocage d'un mois à Bercy, un décret d'application a fixé, le 11 juin, les conditions d'indemnisation des victimes. Le texte détermine la carte des régions et la liste des maladies dites "radio-induites" – 18 cancers – ouvrant droit à réparation. Il précise la méthode d'instruction des dossiers. Après de dures batailles, le gouvernement a accepté d'appliquer le principe de "la présomption de causalité" : toute personne atteinte d'une des 18 maladies citées, si elle était présente aux dates et aux lieux fixés par la loi, pourra demander réparation. Les Algériens pourront déposer un dossier au service des anciens combattants de l'ambassade de France, à Alger. D'autres pays, comme les Etats-Unis, ont mis en place de telles procédures. En moyenne, les malades américains ont touché des indemnités de 50 000 à 75 000 dollars. Le ministère de la défense français a prévu un budget de 12,5 millions d'euros pour 2011.
M. Morin a annoncé que plusieurs études allaient être publiées : l'une sera mise en ligne "dans quelques jours" sur le site du ministère. Menée par un organisme civil, SEPIA-Santé, auprès de 32 000 personnes exposées aux essais, elle montre que les militaires, mieux suivis, auraient développé moins de risques morbides ou mortels que les populations (exploitants agricoles, etc.). D'autres études, menées par les académies des sciences et de médecine, permettront selon le ministre de "disposer d'ici à la fin de l'année de données précises sur chacun des essais".
CANCERS DU SYSTÈME SANGUIN
Les associations jugent la liste des 18 maladies retenues trop restrictive : "Le cancer de la thyroïde est limité aux personnes qui étaient enfants au moment de leur exposition", ont-elles rappelé dans un communiqué le 28 juin, et les cancers du système sanguin – myélome et lymphomes – n'y figurent pas. Les zones géographiques retenues sont aussi très limitées : par exemple, elles ne retiennent, pour l'atoll de Hao en Polynésie, "que trois installations où se manipulaient des matières nucléaires, simplement délimitées par des grillages ou des barbelés".
Plusieurs autres questions sans réponse les inquiètent encore : les membres du comité d'indemnisation seront-ils diligents ? Les conditions de réalisation des expertises, demandées par le ministère de la défense, seront-elles équitables ? L'exigence – parfois impossible à satisfaire – de présenter les résultats d'époque d'un dosimètre va-t-elle exclure des malades ? "Il faut que ça démarre. En marchant, on verra s’il faut des ajustements", défend le député UMP Patrice Calméjane, rapporteur de la loi.
ATTAQUER LE DÉCRET EN JUSTICE
L’Association des vétérans des essais nucléaires indique que 200 premiers dossiers, les plus urgents au regard de l’état de santé des personnes, seront déposés dans les jours qui viennent, "suivis de 500 autres". "Nous nous accrochons à l’espoir que les choses progressent en marchant, car si une application stricto sensu est faite du décret, une majorité des dossiers seront exclus", explique le vice-président de l’Aven, Jean-Pierre Masson. Au vu du traitement des premières demandes, les associations disent se réserver la possibilité d’attaquer le décret en justice.
"Les listes, des maladies et des zones géographiques, pourraient être réexaminées", est convenu le ministre de la défense. La France a arrêté de conduire des essais, et elle ratifié le traité d’interdiction, elle peut "désormais être en paix avec elle-même", assure M.Morin. Qui ajoute : "Je trouve qu’on me fait un mauvais procès. Pendant 30 ans, aucune majorité, de droite ou de gauche, n’a bougé le petit doigt. Or, nous disposons maintenant d’un régime comparable à celui des autres grandes démocraties".
Nathalie Guibert in LeMonde.fr