Le dialogue ne se résume pas à l’échange d’un message factuel entre deux interlocuteurs neutres.
Quand on communique, on est deux ! Et quand on se lâche sous le prétexte que ‘l’on n’y va pas par quatre chemins’ (…) ! On confond affirmation de soi et irrespect de l’autre. Pour que le message passe, il faut avoir conscience de soi, sans oublier que l’autre existe. « Mais, aujourd’hui, c’est le règne du MOI, MOI, MOI », tempête le psychologue Didier Pleux ! « L’Autre n’est qu’un gêneur. »
Certains absolutistes restent mûs en dépit de leurs qualités intellectuelles par des injonctions irrationnelles : « l’autoroute doit être libre quand je circule ou encore elle ne doit pas écrire tel article sur tel sujet d’actualité… » Et quand ça ne marche pas, ceux-là même s’énervent, explosent quand ils sentent que des gens qui pourraient leur rendre service n’abondent pas dans leur sens. Petite paranoïa ordinaire qu’accompagne un insupportable sentiment d’impuissance.
« C’est de l’immaturité émotionnelle », poursuit Didier Pleux. « On élève la voix quand on obtient pas ce que l’on veut, comme le nourrisson hurle pour avoir son biberon. L’agressivité, c’est de la colère à son niveau le plus primaire. Elle est exprimée sans avoir été digérée. » Bestiale, elle nous fait remonter à la nuit des temps quand l’homme était un loup pour l’homme. « Au niveau de la société toute entière, cela s’appelle de la régression sociale, affirme Fabrice Lacombe. Tout le monde se crie dessus parce que plus personne ne supporte d’attendre. »
Il faudra donc apprendre à différer cette agressivité. Prendre le temps de comprendre ce qui se joue pour nous dans cet échange, dans cette demande qui est le nôtre. Est-ce que cela vaut vraiment la peine d’entrer en conflit ? « Sortez de la pièce, quittez les lieux, soufflez, conseille Sylvie Tenenbaum. De même si c’est vous qui êtes agressé : reparlez en plus tard. Surtout, n’oubliez pas : la personne qui crie est en souffrance, ce n’est pas vous qui êtes visé. » Tous les spécialistes interrogés le disent : il faut à tout prix éviter l’escalade. Parce qu’après les insultes viennent le passage à l’acte. Après la violence verbale, la violence physique...Un peu de sagesse, voyons!
L’art de bien s’engueuler selon le psychiatre et psychanaliste Jean-Pierre Lebrun et Alain Bentolila, linguiste.
Quelques principes pour s’affronter par la parole de manière constructive, sans débordements ou minimisations que l’on regretterait plus tard…
Les signes que l’on y est parvenu ? « Lorsque deux personnes sortent d’une engueulade réussie, elles se reconnaissent mutuellement de nouvelles places symboliques », affirme Jean-Pierre Lebrun. Un effet de soulagement doit s’ensuivre immédiatement.
À lire :
LEBRUN (Jean-Pierre), La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Denoël, 2007.
BENTOLILA (Alain), Verbe contre la barbarie, apprendre à nos enfants à vivre ensemble, Odile Jacob, 2007.
TENENBAUM (Sylvie), C’est encore loin le bonheur ?, InterÉditions, 2007).
PICARD (Dominique), Traité des conflits ordinaires, Seuil, 2006.
LACOMBE (Fabrice), Arriver à le dire…même quand c’est difficile, InterÉditions, 2002.
PLEUX (Didier), Exprimer sa colère sans perdre le contrôle, Odile Jacob, 2003
TRUSS (Lyne), Y’a plus de respect ! Payot, 2008.