Parmi toutes les formes de mépris, affichées ou dissimulées, de la France métropolitaine à l'égard des derniers lambeaux de son Empire colonial, il a été assigné aux Antilles françaises une vocation touristique « naturelle » et ce pour diverses raisons. D'abord les Antilles, par leur situation géographique, offrent un climat tropical, qui peut être prisé par des Français chlorotiques en période hivernale et cherchant donc soleil, plages, eau à 28 degrés, activités nautiques et autres. Ensuite, ces îles de la Caraïbe sont prétendument « exotiques », ce qui peut attirer la curiosité du touriste désireux d'échapper à la grisaille d'une France morose. Enfin, très probablement, à défaut de pouvoir gérer et produire dans leurs îles, ces bourriques de nègres doivent être capables de préparer un colombo de poulet, faire frire des accras de morue ou un thazard et de servir des rafraîchissements et surtout leur breuvage national, le traditionnel Ti-punch. Un seul mot d'ordre donc, relayé par les hommes politiques locaux, et je pense à la Martinique, il faut faire dans le tourisme, à défaut de faire autre chose tant il est évident qu'il n'y a rien d'autre à faire.
Alors à la Région, au Département on s'empoigne sur « l'attractivité touristique de la Martinique ». Louis Boutrin parle de l'attractivité de la Pelée. Raphaël Confiant, qui assure que le tourisme est en panne depuis 30 ans, réfute l'excuse du Chlordécone. Des projets naissent, golfs et sans doute bien d'autres.
Arrêtez et arrêtons de rêver et soyons un peu sérieux ! Voici un tableau des arrivées de touristes, en 2005, dans la Caraïbe, assez éloquent. Ce tourisme ne concerne pas que les ressortissants Français, naturellement mais surtout intègre les touristes étasuniens pour l'essentiel.
Arrivées de touristes en 2005 |
|
Anguilla |
62 084 |
Antigua & Barbuda |
238 804 |
Aruba |
621 641 |
Bahamas |
1 514 532 |
Barbados |
547 534 |
Belize |
212 232 |
Bermuda |
269 581 |
Bonaire |
51 412 |
British Virgin Islands |
334 543 |
Cancun (Mexico) |
2 134 180 |
Cayman Islands |
16 801 |
Cozumel (Mexico) |
256 376 |
Cuba |
1 905 988 |
Curaçao |
22 207 |
Dominican Republic |
3 690 692 |
Grenada |
98 244 |
Guyana |
116 596 |
Jamaica |
1 478 663 |
Martinique |
444 441 |
Montserrat |
9 690 |
Puerto Rico |
1 210 766 |
Saba |
11 462 |
St. Eustatius |
8 498 |
St. Lucia |
317 939 |
St. Maarten |
467 861 |
St. Vincent & Grenadines |
71 187 |
Suriname |
73 236 |
Trinidad & Tobago |
348 451 |
U.S. Virgin Islands |
627 470
|
Analysons ce tableau, extrait du site de la géographie touristique en France et dans le monde. D'abord la Guadeloupe n'y figure pas, une omission sans doute, bienheureux guadeloupéens ! Haïti non plus malgré une histoire et une richesse culturelle prodigieuses. Mais bien d'autres îles sont aussi absentes parmi les Petites Antilles.
S'il l'on s'intéresse aux îles les plus visitées, dépassant le million de touristes caracole en tête la République Dominicaine, puis les Bahamas, Cuba, la Jamaïque, Porto Rico. Donc principalement les Grandes Antilles et probablement un tourisme nord-américain. Je ne sais si les yankees viennent goûter le charme suranné d'une des dernières citadelles du marxisme-léninisme à Cuba. Je pense plus sûrement que Cuba a développé énormément les infrastructures touristiques et possède paraît-il les meilleurs sites de plongée sous-marine, sans compter cet air de fête qui demeure, la salsa, les percussions et un pittoresque architectural conservé.
La République dominicaine ( 9 884 371 habitants, estimation 2010) est un cas à part. Loin devant Cuba, elle est proposée, mise en avant, par toutes les agences de tourisme françaises. Elle possède 5 aéroports, 600 km de plages et des complexes hôteliers de luxe. Les prix proposés par ces agences, pour une semaine, en hôtel 4 étoiles, vol et tous frais compris peuvent être inférieurs au prix d'un simple vol aller-retour vers la Martinique. De toute façon, en dépit de la « vocation touristique de la Martinique », je n'ai jamais vu dans une agence française des propositions touristiques à destination de la Martinique. Si elles existent c'est qu'elles sont bien dissimulées. Alors cessez de rêver ! Le tourisme est un « business ». Les agents de voyage ne sont pas des philanthropes accrochés au drapeau bleu-blanc-rouge.
La Barbade (279 912 habitants en 2006), petite île de 431 km² accueille beaucoup plus de tourisme que la Martinique. Sainte Lucie (172 884 habitants pour une superficie de 620 km²) possède un tourisme qui voisine celui de la Martinique. Aruba (102 695 habitants pour 193 km²) la dépasse largement. Il est vrai que cette île est très proche du Venezuela. Saint-Vincent et les Grenadines (118 432 habitants pour 389 km²) est paradoxalement peu visitées (71 187 entrées). Les Grenadines sont des îles magnifiques, aux plages d'un bleu turquoise unique, un sable blanc, farineux. Le chiffre avancé tient-il compte des voiliers et autres bateaux qui viennent mouiller près de ces îles. Car il faut infléchir les chiffres martiniquais. Allez voir au Marin. La Martinique n'est qu'une escale obligée si l'on souhaite partir en voilier vers les Grenadines. C'est le cas de bon nombre de touristes avertis. Saint-Martin, dans sa partie française compte 35 692 habitants pour une superficie de 53.2 km²) et un tourisme proche de celui de la Martinique 20 fois plus vaste et plus de 10 fois plus peuplée. Le drapeau français flotte là-bas. Ouf ! Mais c'est un TOM. Le prix du vol est plus élevé que pour la Martinique et pour un hôtel 4 étoiles, pour seulement une nuit la chambre avoisine les 250 euros. Pas vraiment dévolu à un tourisme de masse. Mais jet-set, snobinards et français fortunés n'en ont cure.
Le tourisme à la Martinique, les chiffres l'attestent, est un leurre. La France s'en fout de la Martinique. C'est un gadget de plus qui nourrit bien des querelles outre-mer. Les voyagistes français ont les pieds sur terre, eux.
Examinons les causes. Que peut chercher, à la Martinique, un touriste qui déjà possède les moyens de se payer l'avion pratiquement au prix du SMIC français, depuis que les monopoles ont gonflé les prix sur cette destination. En premier lieu la farniente, au chaud, au bord d'une plage où la température de l'eau est supérieure à celle de la mer Baltique. Ensuite l'exotisme, le dépaysement, un lieu où, par les traditions préservées, un certain pittoresque lui permet d'oublier, si loin de France, sa vie, ses problèmes, son travail, etc. D'autres exigent de l'esthétisme. Chaque Français, vis-à-vis de la Martinique, possède à l'esprit une idée des Antilles. En fait une carte postale. Précisément la plage de Sainte-Anne et son cocotier penché, la tradition du Ti-punch sous l'alizé qui souffle.
La première catégorie est la plus importante, celle des gogos français : venir s'avachir, deux semaines sur une plage, en lisant le dernier Paris-Match ou pire le dernier Houellebecq. Il existe bien des plages à la Martinique à Sainte-Anne, au Diamant et d'autres moins connues qu'un bon guide touristique peut vous faire découvrir comme l'Anse Dufour. Il en existe de plus secrètes encore. Mais le sable n'est pas franchement farineux surtout dans la Nord de l'île où le sable est volcanique donc noir. Il existe des plages payantes dont je tairai le nom et puis allez un dimanche après-midi à Sainte-Anne. Vous passerez plus de temps dans votre véhicule, à transpirer et à pester, que sur la plage des Salines à vous baigner. Mais nos touristes épuisés et chlorotiques comme des communiantes s'en accommodent. Je dois cependant et hélas dire que les plus belles plages des Antilles sont loin de se situer à la Martinique. En revanche les températures son bien là : environ 25 degrés à 5 heures du matin et 32 degrés vers 14 heures, toute l'année ce qui est bien différent de nos hivers rigoureux.
Passons à l'exotisme. Quand vous aurez visité le musée de la canne aux Trois-Îlets, l'Habitation Clément, le Jardin de Balata, la bibliothèque Schœlcher, l'ineffable sourire de la statue de Joséphine de Beauharnais sur la Savane (oui, un Robespierre est passé par là), les plantations florales de Morne-Rouge, aperçu le rocher du Diamant, ce qui peut-être réalisé en deux jours, et succombé au plaisir idiot d'aller boire un Ti-punch, le cul dans l'eau, au large du François, quand vous aurez assisté à un combat de coqs, à Ducos par exemple, en quête d'exotisme vous chercherez du pittoresque dans cette île de rêve, quelque architecture typique, des lieux inattendus, des indigènes déroutants. Là ça se gâte. Bien sûr le Nord de l'île, sauvage, avec sa forêt dense, luxuriante est un dépaysement certain, fougères arborescentes, splendides fleurs poussant au bord des routes, etc. Et puis tout le monde ne peut pas s'offrir la présence de Patrick Chamoiseau pour remonter avec lui la Trace des Jésuites. Il y a bien quelques randonnées à faire, dans le Nord surtout, et gravir la Pelée qui n'est qu'un volcan éteint. En matière de randonnée pédestre, nous avons tout de même bien mieux en France, surtout dans nos montagnes. Donc question exotisme, il vous restera les centres commerciaux, les concessions automobiles et les zones dites industrielles sans oublier les pittoresques abords de Fort-de-France, Trénelle, Sainte Thérèse et surtout Volga-plage en espérant d'en sortir vivant et pour les sensations fortes la mangrove du Lamentin, la nuit. Les martiniquais étant plus Français que les Français eux-mêmes, hormis leur parlure, laquelle disparaît, parait-il, je doute que notre touriste en quête d'exotisme n'ait la mauvaise impression d'être allé si loin pour se retrouver dans quelque département périphérique de Paris. Il lui faudra se lever de bonne heure pour trouver une case-à-rhum-épicerie, peuplée d'ancêtres aux visages parcheminés, une bouteille de la Mauny posée devant eux.
Quant aux malheureux qui viennent chercher l'esthétisme de la Martinique, je pense qu'ils en reviendront maussades. Je ferai appel pour cela à quelques notions d'analyse paysagère. Qu'est-ce qu'un paysage ? Un agencement de l'espace où la population qui l'occupe trouve les repères familiers auxquels se réfère son existence. Il ne faut pas être rigide et imposer des critères esthétiques personnels. On peut parfaitement se retrouver et vivre heureux dans les quartiers Nord de Paris, aux immeubles sans charme, dégradés, avec comme seule perspective ces barres construites dans les années 60, une grisaille sans fin où il faut chercher le ciel à tâtons. Mais on se fait toujours une idée idyllique de ces îles d'outre-mer et il vaudrait mieux en rester là. Sinon, c'est la chute.
Certes, en écrivant « Texaco », Patrick Chamoiseau a révélé l'esthétisme d'un bidonville qui m'a paru difficilement appréciable par le Français moyen et qui exigeait une connaissance et un certain amour de la Martinique de la part du lecteur. Raphaël Confiant n'a cessé, de son côté, de célébrer le quartier des Terres-Sainvilles.
Mais il faut tout de même admettre un certain sens du réalisme chez tout étranger se rendant à la Martinique. La ville de Fort-de-France, construite sur un mode colonial, n'est qu'une grosse verrue disgracieuse, sans le moindre charme pour le touriste. Elle est cernée par une ceinture de zones dites industrielles et de centres commerciaux et de vastes étendues pavillonnaires du Lamentin à Schœlcher. On ne fait pas 8000 km pour se délecter de l'ineffable charme de Volga-plage. Sauf si l'on est masochiste.
Pour le reste, l'aménagement du reste de l'île, en terme d'habitat, laisse un peu à désirer. Je n'ai jamais vu, concentré, autant de mauvais goût. Du béton, du béton et toujours du béton ! Du n'importe quoi surtout. Tous les styles ou aucun. Les plans d'occupation des sols ont sûrement été établis par des élus aveugles. La délivrance des permis de construire se fait comme des hosties à l'église. Et quel est le résultat ? La disparition des terres agricoles dont on se fout. La disparition de paysages ruraux dont on se fout. Peut-être les martiniquais y sont-ils insensibles, pas le touriste.
En un mot, et cela n'engage que moi, la Martinique … c'est moche, de plus en plus moche et elle ne mérite pas qu'on parle de développer le tourisme tant les décideurs en tous genres, élus et autres se sont appliqués à la dégrader, à faire disparaître la beauté qu'elle pu avoir au temps d'antan sur le seul projet d'une consommation à outrance, grâce aux lois de défiscalisations et autres 40 %, en stimulant le plus vil instinct de l'homme, l'attrait de l'argent.
Un seul exemple. J'ai été sollicité il y a 20 ans pour l'aménagement aux Anses d'Arlet, de cette partie qui va de Grande Anse au Bourg. Il y avait en friches, quelques hectares appartenant naturellement à la famille Hayot, plats donc facilement aménageables en savanes avec une mécanisation peu coûteuse. La demande émanait des services de l'équipement. Je demandai aussi que soient maintenues ces haies de gliricidia, très jolies lorsqu'elles sont en fleur. De retour en 2008, je constate la construction d'un immense rond-point, digne d'un échangeur d'autoroute donnant accès soit au le Bourg des Anses d'Arlet soit vers le Diamant, grandes métropoles. Pire ma savane, laissée à l'abandon, verra pousser un centre commercial ou un garage, enfin quelque chose de bâti. Par ailleurs, j'ai écrit à Eugène Larcher, éminent maire de la commune, pour qu'il fasse classer cet hémicycle de mornes couverts de gommiers au creux duquel se niche le bourg et dont l'axe de symétrie était figuré par l'église et en prolongement le ponton. Cet illustre élu ne m'a jamais répondu. J'ai hélas constaté qu'il n'y avait plus un seul gommier sur la plage et que la partie droite de l'hémicycle avait été attaquée par un lotissement.
Il y a cependant un tourisme à la Martinique et des infrastructures touristiques. Elles sont concentrées au Trois-Îlets dans cet interlope Pointe du Bout ou Anse Mitan. Pendant 5 ans, je n'y ai pas mis les pieds, bien que passant devant la croisée, matin et soir. Il y a quelques grands hôtels, dont feu le Méridien mais aussi le Bakoua et quelques autres. Tout cela n'a rien d'un complexe touristique susceptible de mobiliser les voyagistes.
Pour trouver du charme et une réelle qualité, il faut aller ailleurs et je me dois de citer l'Habitation Lagrange à Marigot, donc dans le Nord. Cette Habitation, transformée en hôtel de luxe est perdue dans la forêt, un cadre intime. Tout y est parfait, l'accueil, le cadre, le calme, la nourriture, une autre Martinique, celle d'antan. J'y ai passé un week-end avec un vieil ami. Nous étions les seuls clients. Toutefois, j'ai réglé 4 000 francs, il y a 15 ans, à la sortie mais je me suis senti, l'espace de deux jours, à une autre époque.
Il y a une autre mutation observée en 2008. Finis ces lieux festifs tenus par des martiniquais où le rhum et la musique coulaient à flots. Non une enfilade de restaurants comme à Grande Anse d'Arlet, tenus souvent par des métropolitains. Ils viennent chercher fortune en tentant leur chance dans la restauration et ce de plus en plus. La qualité est souvent moyenne. Mais on peut trouver chez eux de la cuisine locale, d'excellents sandwiches américains. Quant aux restaurants tenus par des martiniquais, tout laisse un peu à désirer, le service, l'accueil. Et pour ce qui est des prix, je ne dirai qu'une chose : le martiniquais n'a aucune notion de l'argent et « l'octroi de mer » a bon dos. L'un s'improvise dans la location de voiture, l'autre dans le pressing. De nombreux logements, défiscalisés probablement, sont proposés à des prix prohibitifs. Mais il faut être honnête, tout cela est médiocre, du bricolage. Tout comme ces quelques heures que passaient les croisiéristes en escale à Fort-de-France, un petit tour en taxi et retour à bord, bricolage.
Et puis le temps a passé. Finis ces dimanches matin, où tous se retrouvaient, où l'on s'esclaffait en créole, devant quelques bouteilles de rhum et un macadam de morue. Le rire a disparu. Ce pays m'a semblé triste.
Je ne sais qui a eu la riche idée de placer le tourisme comme un enjeu majeur de la Martinique. Je n'y ai vu que du bas de gamme onéreux. S'il émane des pouvoirs publics français ou d'une volonté politique des élus martiniquais, il s'agit là d'une escroquerie flagrante, d'une illusion aberrante, d'un mensonge savant. Construisez autant de golfs que vous voulez, une station de ski alpin, une piste de bobsleigh. Après tout, vous avez été tant manipulés que l'on peut vous bercer d'illusions avec facilité, vous faire tout gober. Si un touriste intelligent s'égare à venir à la Martinique, sachez qu'il n'y viendra qu'une seule fois.
Il faut pour la Martinique soit cultiver des ignames, des choux-caraïbes soit, beaucoup mieux, cultiver l'intelligence, éveiller les consciences, former la jeunesse à l'esprit critique … à la philosophie.
Et, peut-être l'envoyer voir ce qui se passe ailleurs... Mais faire en sorte qu'elle revienne, à la Martinique, dans son pays … pour le servir !
Thierry Caille in Montray Kreyol
Photo du logo : La plage des Salines à la Martinique, une île, un paradis bien plus artificiel que ceux de Baudelaire