PALIMA Hebdo n°2. : Préserver nos terres agricoles contre la spéculation du photovoltaïque
Le mouvement mené par des organisations d’agriculteurs et l’ASSAUPAMAR, le 19 octobre dernier, contre l’installation de « fermes » photovoltaïques au sol (en réalité des centrales) a contribué à rappeler l’importance des mesures à prendre quant aux conditions d’exploitation de l’énergie solaire dans notre pays.
Une montée en puissance mondiale
La fin annoncée des réserves de charbon, de gaz et de pétrole dans les 50 prochaines années, l’effet de serre et ses incidences sur le climat ont contraint les Etats à impulser des politiques alternatives à l’énergie fossile.
Dans la panoplie des solutions les moins polluantes, le solaire occupe désormais une place importante. Ainsi, 1998 et 2009, la croissance des centrales dans le monde était, en moyenne, de 35 %. En 2007, ce marché se voyait estimé à 13 milliards d’euros. On considère que le solaire représentera 14 % de la consommation d’électricité en 2030 et couvrira les besoins d’environ 4,5 milliards d’êtres humains dont un peu plus de 3,2 milliards dans les pays en, développement. Précisons que la planète –si elle tient le coup d’ici là et ne s’offre pas un divertissement nucléaire- comptera alors 8,3 milliards d’individus.
D’ores et déjà, l’Allemagne, premier parc mondial solaire, ou encore les Etats-Unis investissent massivement dans ce secteur. Le Japon, pour sa part, avait entamé sa mutation dès les années 70. Il reste que ces trois pays, à eux seuls, représenteraient aujourd’hui 80 % du marché mondial.
Ce contexte suscite une compétition qui sera de plus en plus aiguë entre multinationales pour contrôler un marché considérable. D’ailleurs, devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale française, le 5 octobre dernier, Jean-François CARENCO, directeur de cabinet de Jean-Louis Borlo, révélait comment la France tente de résister à la concurrence de la Chine, un des leaders mondiaux, avec l’Allemagne, de la vente de capteurs : « Il s’agit aussi de préserver l’industrie photovoltaïque française. Entre parenthèses, si les 700 emplois de la société Photowatt, par exemple, sont préservés, c’est grâce aux prescriptions techniques que nous avons imposées par voie d’arrêtés. Sans elles, c’est du matériel chinois que se trouverait sur nos toits ! »
Foncier et parcs photovoltaïques
En Martinique, l’énergie renouvelable est estimée à environ 3 % de la production totale d’électricité, toutes sources confondues : usines d’incinération de Fort-de-France, installations photovoltaïques, parc éolien du Vauclin.
La directive européenne sur l’énergie renouvelable et surtout le Grenelle de l’environnement, qui fixait l’autonomie énergétique pour « l’outre-mer », dans la perspective de 2030, ont été à l’origine d’une véritable fièvre solaire. En effet, les mesures du Grenelle, qui combinaient défiscalisation des investissements, crédits d’impôt et obligation de rachat par EDF -à des
tarifs alléchants- de l’électricité produite ont contribué à créer une véritable bulle spéculative.
S’y sont engouffrés tous ceux qui sont en quête de profits immédiats, au détriment des intérêts à long terme du pays. Ainsi, le ministre français de l’environnement, Jean-Louis Borlo, rappelait que depuis le Grenelle de l’environnement, le photovoltaïque avait enregistré « une croissance de 1 200 % dans les départements d’outre-mer »… Surtout au profit de la Réunion, devrions-nous ajouter.
L’effet pervers le plus notable de cette spéculation est la multiplication des « fermes » photovoltaïques (terme impropre et concept cynique puisque ces prétendues fermes n’abriteront ni animaux ni végétaux) au sol, sur des terres agricoles. Il en va ainsi des projets de Basse-Pointe, Grand-Rivière, Macouba, Trinité, Lorrain, Rivière-Salée, François, Morne-Rouge etc… le plus souvent portés par des filiales de multinationales comme Energie Nouvelle ou Powéo Outre-Mer.
Ces dérives, qui hypothèquent notre avenir, se développent sur le terrain fertile de l’endettement des communes qui voient dans ces centrales comme une manière d’aubaine financière et « d’opportunité d’emplois ». Pour certains propriétaires, il s’agit d’une manne inespérée puisque la location de l’hectare de terre, à l’année, pour ces installations, se situe entre 15 000 et 30 000 euros.
Le revers de la médaille, c’est l’immobilisation, pour au moins 20 ans, de terres agricoles qui, utilisées correctement, auraient pu commencer à donner un sens à un projet volontariste de recherche de souveraineté alimentaire… Ce qui, bien entendu, n’est pas autarcie.
Dans ses activités de parlementaire, Alfred MARIE-JEANNE avait très tôt dénoncé « ce qui à terme pose déjà le problème de la surface Agricole Utile ». Le SAR (Schéma d’Aménagement Régional) fixait, en 1996, à 40 000 ha la surface nécessaire à une véritable politique agricole. Nous sommes largement déficitaires par rapport à cette exigence puisque nous n’en disposons que de 25 000 aujourd’hui et que, chaque année, nous en perdons 1 000.
Le processus ne semble pas sur le point d’être inversé, d’autant que sur la question précise des centrales photovoltaïques c’est le préfet qui a le pouvoir de délivrer les autorisations de construction. Ces parcs, sur des terres agricoles, sont d’autant plus inacceptables que le potentiel des toits suffirait à produire les 80 Mw, soit 30 % de l’énergie demandée par les usagers que la société EDF est dans l’obligation de racheter.
Enfin, outre les aspects paysagers auxquels il faut accorder une attention soutenue, dans un pays ayant l’immensité de ses 1 100 km2, l’entretien de ces parcs et leur traitement en bout de course mériteraient réflexion. Les friches photovoltaïques sont à envisager.
La question de l’énergie représente donc un enjeu essentiel de développement, en particulier pour des économies insulaires totalement dépendantes de l’approvisionnement extérieur. La Martinique doit tirer tout le profit possible des sources d’énergie propre et durable dont elle dispose : le photovoltaïque, l’éolienne, l’énergie des marées, la géothermie etc…
Mais nous devons absolument trouver les équilibres pertinents nous permettant de mettre en cohérence les exigences de développement,, de souveraineté alimentaire optimale, de production énergétique et de maîtrise de notre environnement. Parallèlement, il nous faut déployer un puissant effort de gestion de la demande d’énergie, de formation et de recherche-développement.
Il est par conséquent possible, si nous nous hissons au-dessus de la frénésie spéculative, de promouvoir une filière photovoltaïque dynamique qui ne sacrifie pas les terres agricoles et, d’une manière générale, un foncier qui, jour après jour, échappe au Martiniquais.
Peut-être, enfin, y-a-t’il quelque chose de profondément pathétique à voir ceux qui ont lutté contre toute domiciliation en Martinique d’un pouvoir pouvant nous aider à mieux maîtriser nos politiques foncières et énergétiques se donner aujourd’hui des allures de chef d’Etat, d’aspirant au statut de « père de la nation »… à la botte d’un préfet qui a tout pouvoir dans ce domaine.
Francis CAROLE
Clément CHARPENTIER-TITY