Piller, brûler, saccager ce qui représente la loi et l'ordre ne sont pas des phénomènes propres à notre société contemporaine. Ce qui devient de plus en plus troublant ce sont les agressions directes non plus contre des représentations, des symboles, mais bien contre des personnes physiques qui incarnent l'autorité : policiers, professeurs, parents, juges etc…Cette facilité à transgresser les lois sans craindre les sanctions est-elle le signe d'une trop grande permissivité? Les actes de violence et d'incivilités sont perpétrés par des mineurs de plus en plus jeunes. L'institution scolaire a été de ce fait désignée pour prévenir, contenir, endiguer cette violence galopante. Ainsi est né "l'éducation à la citoyenneté" bientôt relookée en "L'éducation aux règles communes" faisant partie intégrante du "socle commun" des connaissances. Pour cela certains modules pédagogiques sont mis en place comme l'apprentissage de la langue française, des ateliers de remédiations, etc… L'aggravation des difficultés de l'école et de son idéal pédagogique de non-directivité, amène beaucoup à réclamer le retour de l'autorité. Cette revendication de plus en plus insistante signe-t-elle la fin de l'éducation "laissez-faire"?
Les professeurs ont peur de leurs élèves et des tentatives d'intimidation des parents. C'est à croire que les élèves ont plus de droits que les professeurs. Les policiers se font agresser dans certains quartiers, et les parents n'ont plus leur mot à dire dans la vie de leurs enfants. L'interprétation des droits de l'enfant s'est jouée contre tous les adultes pour mettre l'enfant au centre de tous les systèmes. La parole de l'enfant a plus de poids que celle de l'adulte. De la protection de l'enfant, on est passé à la persécution des adultes. Les parents n'ont pas démissionné, ils ne savent plus comment faire. Les professeurs ne sont pas incompétents, ils restent prudents. Les policiers ne sont pas inefficaces, ils ont peurs. Face à cette jeunesse qui se sent au dessus des lois, quelles solutions pourraient être envisagées? La prévention? La répression? La négociation?
L'autorité institutionnelle est en déroute. Pourtant d'autres formes d'autorité imposent leur diktat: la mode, la publicité, le gain facile, le plaisir immédiat, le moindre effort. On reconnaît volontiers l'autorité du chef de bande, du gourou, de la voyante, du quimboiseur .
La société de consommation a transformé l'école en "hypermarché", où le client -roi doit être satisfait et fidélisé. Tout est prévu pour que l'élève y reste le plus longtemps possible même s'il en ressort avec le minimum de savoir (être et faire). L'école a -t-elle perdu sa vocation de lieu des savoirs? Elle se noie sous un flot de missions qui n'ont plus rien à voir avec ses objectifs fondamentaux. Est-il nécessaire d'instaurer des modules pédagogiques pour apprendre aux uns et aux autres les règles du "savoir vivre ensembles" (comme ils disent). Où est passée l'autorité naturelle du "maître" qui était respecté, par sa seule attitude?. Pourquoi les enfants ne reconnaissent-ils plus la supériorité de l'adulte et ne trouvent plus en lui un modèle à suivre ?
Selon Jean Lombard, Docteur en Philosophie et Consultant international en éducation, " l’inégalité de savoir et de savoir-faire entre le maître et son élève fonde à elle seule l’autorité comme première condition de l’action pédagogique.". Or de nos jours l'idéologie de l'égalitarisme, amenuise la distance entre l'enseignant et ses élèves. Pire, il arrive à croire qu'il en sait moins. Avec l'avènement des nouvelles technologies, combien d'adultes se sont mis en retrait, perdant toute confiance, sous prétexte que c'était "affaire de jeunes" et que ceux-là détenaient toutes les compétences en la matière.? Un nouvel espace de liberté s'est ouvert , où les jeunes refusent de se laisser commander. Dans ce cas de figure, il n'y a pas eu de transmission de savoir. On ne peut penser que "l'élève a dépassé le maître", donc aucune obligation de reconnaissance, de respect, d'obéissance. Maîtriser la machine en se soumettant à des gourous virtuels devient le seul enjeu enviable. Certains adultes sont "out" quand d'autres essayent en vain d'imiter cette jeunesse (langage, style -se prononce staÏle en djeune-, loisirs etc…) afin de ne pas passer pour de vieux grincheux ou des despotes. Dans les deux cas, les plus jeunes opposent de la résistance en paroles et en actes.
Un autre aspect que souligne Jean Lombard est cette "hypertrophie de la fonction de socialisation de l’école". L'élaboration de médiations devient l'activité principale de l'Enseignant, non seulement pour instaurer des règles de vie de groupe mais également comme support pédagogique Il sait que les élèves s’intéressent à autre chose, il faut donc leur parler de ce qu’ils aiment. Sans doute. "Mais tous les savoirs ne sont pas d’égale vertu éducative. C’est ce qu’on apprend, ce à quoi on a été scolairement exposé, en quelque sorte, qui détermine non seulement ce qu’on sait mais ce qu’on devient. L’action éducative ne peut donc prendre appui sur ce qui n’a pas été choisi sur ce critère de valeur éducative."
L'autre catastrophe socio-humaine qui contrarie l'autorité est l'impact sur les enfants et les adolescents, des images et du multi-média. Pour certains experts de l'éducation "Le divertissement sonore et visuel permanent fait désapprendre l’effort, l’attention, la rigueur, l’accès laborieux au sens, c’est-à-dire presque tout ce qui fait le désir et le plaisir" d'apprendre. L'école ne devrait pas renoncer à la transmission de l’universel sous prétexte de modernisation.
De nos jours, les modèles de référence sont des célébrités mêmes éphémères et non-expertes mis en avant par les médias qui les consultent gravement sur les problèmes dit de société, sur le sens de la vie et autres sujets dont le contenu est légitimé par le simple fait "d'être entendu ou lu sur un média". Qu'en est-il de l'autorité que confère le savoir?
Pour reprendre la question de Jean Lombard :"L’école restera-t-elle un lieu d’instruction, où l’étude a pour but de « diriger l’esprit», comme disait Descartes, ou a-t-elle vocation à devenir peu à peu une sorte de parc d’attractions scolaires ?"