Il explore son sujet dans toutes ses dimensions : la psychologie, le poids d'Internet, évidemment, qui accélère la circulation de la rumeur et de l'information. Mais aussi la stigmatisation du doute par le discours dominant, les manipulations d'officines « barbuzzardes » (des barbouzes lançant des buzz) ou le mensonge des hommes politiques, qui alimente la méfiance. Secrets d'Etat ou propagande politique.
Un mensonge de Sarkozy, copié sur celui de Reagan
Avant d'explorer la stigmatisation du doute et des secrets d'Etat, deux rapides exemples.
Un mensonge de l'actuel président de la République, « construit de main de maître », même si « ce n'est malheureusement pas l'apanage du quinquennat de Nicolas Sarkozy ».
Le 16 mai 2008, il visite un Pôle emploi à Melun. Dans son discours, il cite un exemple concret de chômeur ayant refusé 67 offres d'emploi en un an, exemple venu de « l'un de vous », parmi les gens qui l'écoutent.
Un journaliste a vérifié : c'était totalement faux. « Une pure invention destinée à frapper les esprits », écrit Fay. Copiée sur un mensonge similaire imaginé par le candidat républicain Ronald Reagan pour justifier la fin de l'Etat-providence.
A la fin de son livre, Bruno Fay aborde la surveillance (caméras, téléphones, puces électroniques) et son pendant psychologique, une pathologie nouvelle : le syndrome de Truman. En anglais, « Truman Show Delusion », du nom de ce film de 1998 où Jim Carrey vit filmé et regardé par des millions de téléspectateurs depuis sa naissance.
Un syndrome du « Truman Show »
Dix ans plus tard, des scientifiques rapportent « le nombre croissant de patients convaincus que chacun de leurs gestes est filmé secrètement ».
Même si des pathologies existent, le grand intérêt du livre de Bruno Fay est de montrer que le discours dominant présente l'ensemble des adeptes de théories conspirationnistes comme dérangés.
L'auteur passe en revue les études scientifiques sur les complots. Parmi les tendances gênantes par rapport à la neutralité de la recherche, l'une consiste, pour beaucoup de « chercheurs en vue », à évacuer d'emblée la véracité de certaines théories. « 100% des illuminés seraient fous », ironise Bruno Fay.
C'est le cas aussi de la plupart des médias et de certains journalistes, comme Daniel Leconte. Fay se demande avec malice ce qu'il se passerait si, dans les reportages de celui qui est aussi un producteur influent, il usait de la même rhétorique pour les juifs, les chrétiens ou les musulmans que pour les conspirationnistes :
« Daniel Leconte serait renvoyé sur-le-champ. »
Amalgame conspirationnisme = antisémitisme
Un « autre travers », écrit-il, « qui caractérise la plupart des ouvrages consacrés au conspirationnisme consiste […] à tout voir à travers le prisme de l'antisémitisme ». Parmi ces chercheurs spécialistes de l'amalgame, Pierre-André Taguieff :
« Laisser entendre que les mouvements conspirationnistes post-11-Septembre sont essentiellement animés par l'antisémitisme, c'est une fois encore confondre la partie et le tout.
C'est procéder à un amalgame entre une minorité d'extrémistes, obsédés depuis longtemps par la haine des juifs, et des centaines de millions de personnes, aux Etats-Unis et en Europe, troublées par l'attitude du gouvernement américain et les liens avérés entre la famille Bush, l'Arabie Saoudite et le clan Ben Laden. […]
Au cours de mes entretiens, j'ai même entendu l'un des adeptes de Pierre-André Taguieff me dire que, si les militants de ReOpen911 n'évoquent jamais la thèse du complot juif, c'est qu'ils avancent masqués pour mieux dissimuler leur antisémitisme profond. C'est le complot dans le complot. »
Les services secrets alimentent la paranoïa
Relevant notamment que de nombreux Terriens pensent que les Américains ont eux-mêmes piloté les attentats du 11-Septembre (11% des Français), Fay s'interroge :
« Des centaines de millions de personnes dans le monde entier auraient-elles perdu la tête ?
En défendant la thèse d'un complot mondial politico-scientifique destiné à surestimer le réchauffement climatique, qui serait selon lui une imposture, Claude Allègre a-t-il lui aussi perdu la boule ?
En doutant de la version officielle sur le 11-Septembre, Mathieu Kassovitz, que l'on peut difficilement qualifier d'antisémite, mérite-t-il d'être placé d'office en hôpital psychiatrique ?
En 2009, 55 millions de Français ont refusé de se faire vacciner contre la grippe A, malgré les recommandations explicites de l'Organisation mondiale de la santé et de la ministre de la Santé Roselyne Bachelot qui exhortait nos concitoyens à se protéger de toute urgence. Ils n'ont pas cru la parole officielle.
Imaginer que l'on nous ment sur les attentats de New York ou sur la réalité de l'épidémie de grippe A relève d'un même schéma de pensée. Le terreau psychologique de chaque individu ne suffisant pas à l'expliquer, cela révèle, dans les deux cas, une profonde crise des autorités.
Au lieu de partir de théories fantaisistes pour analyser les racines du conspirationnisme, intéressons-nous plutôt à l'impact produit sur l'opinion publique par la révélation de complots avérés. »
A ce propos, Bruno Fay pointe « le cynisme et le double jeu des agences de renseignement qui alimentent la paranoïa ».
Les faux et les vrais complots
Concernant le 11-Septembre, que l'auteur décrypte sur soixante pages, renvoyons vers le blog de Rue89 ou à cette citation du chercheur Eric Denécé :
« La version officielle n'est pas vraie, mais celle de Thierry Meyssan non plus. »
Bruno Fay évoque beaucoup de faux complots. Des vrais aussi, comme l'entrée en guerre des Etats-Unis en Irak en 2003, l'affaire Clearstream 2 ou le projet secret Mkultra mené pendant trente ans par la CIA pour expérimenter « des techniques de contrôle du comportement sur des citoyens américains », à leur insu, bien sûr.
Ou encore des complots très probablement vrais, comme l'assassinat, en 1961, du secrétaire général de l'ONU Dag Hammarskjöld, dans un « accident » d'avion commandité par la CIA américaine, le MI5 britannique et les services secrets sud-africains (dont des documents révélés par Desmond Tutu étayent fortement cette thèse).
En rencontrant l'ancien Premier ministre Michel Rocard, Bruno Fay a obtenu deux scoops : la confirmation que le mercenaire Bob Denard était bien missionné par la DGSE lors de ses coups d'Etat aux Comores (on s'en doutait depuis 1999). Et l'aveu qu'avant l'affaire du Rainbow Warrior, la France avait déjà saboté des bateaux de Greenpeace, en 1973.
C'est un des deux extraits que propose Rue89. L'autre est un entretien avec Etienne Davignon, le président du groupe Bilderberg. Autrement dit, « le chef des maîtres du monde », selon les conspirationnistes, que Bruno Fay est le premier journaliste à avoir interviewé.