Nous ne doutons pas que chacun a effectivement conscience de la forte attente de notre société sur cette question précise, tellement les derniers mois ont été rythmés par une succession d’événements tragiques qu’il est superflu de rappeler ici. Autant que possible, ne décevons pas ces attentes et ces espérances ! Aussi, nous ne saurions nous cantonner au simple recyclage de dispositifs actuels. Il nous faut faire œuvre d’imagination pour tenter de trouver des alternatives adaptées à notre situation. En effet, l’efficacité des solutions retenues déterminera, pour partie en tout cas, l’avenir de notre pays.
La problématique de la jeunesse, telle qu’elle se pose aujourd’hui, fait partie des questions autour desquelles la Martinique doit faire peuple, se souder, faire front, sans exclusive. C’est dire que, dans ce débat, nous ne nous inscrivons pas dans une logique d’affrontements partisans, même si nous considérons, dans l’intérêt même de la jeunesse martiniquaise, que chacun doit, en conscience, exprimer clairement ses positions et propositions.
I. UNE VISION ET UNE METHODOLOGIE DEFAILLANTES
1. D’abord, nous regrettons profondément le contenu extrêmement sommaire de ce 1er volet du « plan ambition jeunes » qui se résume en tout et pour tout à 3 pages à peine.
2. Ne figure dans le document soumis à délibération aucune analyse de la situation des jeunes. Je ne parle pas de la présentation des chiffres récurrents dont nous disposons tous. Je parle d’une approche systémique qui nous aurait permis d’identifier, de manière précise, la nature des difficultés auxquelles nous sommes confrontés et, à partir de là, de dégager des axes pertinents d’actions, tant il demeure incontestable que des mesures techniques seules, aussi nombreuses soient-elles, ne sauraient suffire à redresser la situation. Face à la complexité des phénomènes qui nous assaillent, l’empirisme primaire et l’activisme politique ne constituent pas la bonne démarche, même s’ils peuvent, l’espace d’un cillement, donner l’illusion du mouvement. Il eût été souhaitable et pertinent d’honorer ce préalable méthodologique indispensable pour l’élaboration d’une stratégie mûrement élaborée. Cette étape nous aurait permis de gagner en qualité de vision, en crédibilité, en adhésion… et sans aucun doute de gagner du temps.
3. L’ambition globale de ce « plan ambition jeunes » n’est pas définie, ni les objectifs qu’on lui assigne. C’est incontestablement la conséquence de l’absence d’analyse en profondeur des phénomènes de violence dans notre pays. Quelle philosophie sous-tend ce plan ? De quels jeunes parle t-on ? Quelle place donnons-nous à la notion de responsabilité chez les publics que nous nous proposons d’accompagner ? A l’évidence, le risque induit par ce déficit d’analyse c’est la navigation à vue.
4. Enfin, n’apparaît aucune stratégie permettant de donner perspectives et cohérence aux différentes mesures techniques retenues.
II. UNE VENTILATION FINANCIERE HASARDEUSE
Ces mesures techniques, présentées de manière extrêmement lapidaire, en une demi page généreuse, ne permettent pas d’appréhender, avec suffisamment de précision, les contours des actions envisagées. De ce fait, la ventilation des 2 890 000 € sur les différents axes laisse pour le moins perplexe. En effet, quels projets précis justifient que telle ou telle somme soit consacrée à tel ou tel axe ?
A quoi vont servir les 200 000 euros prévus à l’axe 2 (« création de 3 grandes plates-formes culturelles et artistiques ») ? A la programmation de spectacles ? A encourager et développer des potentialités artistiques locales ? A autre chose ? L’opacité est totale pour le lecteur… Et sans doute pour le rédacteur du « plan » lui-même !
Dans le même ordre d’idées, peut-on rationnellement envisager que la création ou le financement d’un « internat socio-éducatif médicalisé » (mesure n° 163, axe 3) n’exige qu’une somme de 200 000 euros ?
La rigueur de la planification financière n’est malheureusement pas au rendez-vous d’un plan dont l’élaboration se trouve fortement handicapée par la précipitation (qui n’est pas la rapidité) et la légèreté de l’approche budgétaire.
Il faut raisonnablement craindre qu’un plan conçu avec une méthodologie aussi hasardeuse et empirique ne génère qu’un impact positif marginal… et de très sérieux effets pervers. Nous formulons le vœu que, dans l’intérêt même de la Martinique et de sa jeunesse, « le volet 2 » soit élaboré avec la rigueur et le sérieux qu’exige la gravité de la situation.
III. L’ANALYSE DES MESURES TECHNIQUES.
Ce plan est donc présenté en 4 axes qui totalisent une vingtaine de mesures. Certaines vont peut-être dans le bon sens. D’autres, reprises de dispositifs existants, sans esprit d’innovation, souffrent d’un manque d’évaluation des résultats sur le terrain.
Concernant l’axe 1 : Accès aux activités sportives et culturelles et renforcement du lien social
Il est proposé :
• « Un passeport expérimental pour l’accès aux sports et la culture pour tous : pour les 16-25 ans qui n’ont pas les moyens d’accéder à certaines pratiques sous conditions de ressources et justificatifs ».
Ce projet, déjà mis en place en partenariat avec la CAF et le centre national de développement du sport, a échoué pour des raisons de distribution et de lourdeurs administratives (vérification des conditions de ressources, enquêtes des travailleurs sociaux de la CAF, système de coupons envoyés aux clubs avec retour pour paiement comptable, guichet pour la remise aux jeunes concernés à la DDJS).
• « La création de 3 grandes plateformes culturelles et artistiques (ex. : Nord, Centre et Sud) dans un souci d’égalité territoriale ».
Dans un contexte de restrictions budgétaires, il faut fonctionner avec les équipements structurants existants (Fonds-St-Jacques, Atrium, Pagerie). Ces équipements appartiennent au Conseil Général mais l’installation prochaine de la collectivité unique va régler cette question. Le Millénium, au Morne-Rouge, pourrait être une de ces plates-formes retenues.
• « Le soutien aux initiatives : appels à projet pour l’animation culturelle et sportive à vocation citoyenne dans les quartiers les plus en difficultés ».
C’est une mesure identique au défi jeunes ou projets jeunes qui existent déjà : Système d’aide aux jeunes sous forme de bourses pour des projets ou actions encourageant l’expression de leurs talents, leur autonomie et leur insertion sociale et professionnelle par la voie de l’expérience. Rien donc d’innovant.
Axe 2 : Initiatives professionnelles et citoyennes
• « Recrutement de 5 300 CAE + 2 350 conventionnés ».
Les 8 000 contrats aidés équivalent à doubler le nombre. Les crédits prévus par l’Etat pour financer les contrats aidés ne sont pas extensibles, ce qui signifie que doubler le nombre de contrats aidés aura pour conséquence de diminuer le montant de la part de l’Etat. De ce fait, la part de l’employeur va augmenter. Risque d’effet pervers : la mesure peut se retourner contre l’emploi puisque les associations employeurs seront réticentes dans les recrutements pour ne pas augmenter leur masse salariale sur leurs fonds propres. Il s’agit d’un effet d’annonce dangereux car il va susciter beaucoup d’espoir dans la population, espoir que l’Etat, principal bailleur de fonds, ne sera pas en mesure de satisfaire.
Mais la question fondamentale est de ne pas cautionner la précarisation de l’emploi. En effet, plus de 20 ans de dispositif de contrats aidés n’ont pas fourni une réponse satisfaisante au problème du chômage car :
• les personnes concernées cumulent, au mieux, depuis plusieurs années ce type de contrat,
• dans la grande majorité des cas, pas de proposition durable au terme du (des) contrat (s) en cours : CDI ou CDD mieux rémunéré,
• après s’être investies plusieurs années durant dans la même collectivité ou association, croyant à une solution pérenne, ces personnes sont psychologiquement plus fragiles que les autres demandeurs d’emploi,
• au cours du contrat, la professionnalisation n’est pas garantie, par la mise en place de formation qualifiante, par exemple
• l’accompagnement en cours de contrat n’est pratiquement jamais assuré, pour permettre une sortie efficace en fin de contrat.
La meilleure solution serait d’accompagner les employeurs dans la pérennisation des contrats :
• par une aide à la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières : cas des collectivités communales,
• par une aide à la gestion financière : cas des associations
• par une meilleure appréciation de leurs besoins réels en main d’œuvre.
Ce dispositif d’accompagnement permettrait la consolidation d’un maximum de contrats et éviterait le « turn-over » constaté chaque année.
Axe 3 : Lutte et prévention des incivilités et des comportements à risque
• « Création d’un internat socio-éducatif médicalisé »
C’est une structure sociale s’adressant aux jeunes de 12 à 18 ans pour lesquels les projets de parcours antérieurs ont échoué. La loi de juillet 2009 n’autorise pas les Conseils Régionaux à ouvrir ce type d’établissement. Ce projet doit, par ailleurs, s’insérer dans un schéma départemental. Il relève de l’Etat pour la définition des besoins (ARS, Rectorat, Justice) et est financé par le Conseil Général pour l’hébergement. Cette mesure viendra t-elle compléter ou concurrencer l’existant ? L’expérience de l’ACAPSSE est, à ce titre, importante.
Axe 4 : Améliorer la performance du système d’éducation et de formation pour tous
• « Renforcement des dispositifs existants de soutien à la parentalité – école des parents ».
Ces dispositifs existent déjà (privés et Conseil Général) mais il faut reconnaître que leurs résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, en dépit des efforts des uns et des autres. Ce n’est pas seulement une question de moyens mais de conception des réponses à apporter (désaffection des parents, motivations des parents).
• « Renforcement des dispositifs existants d’accompagnement à la scolarité et de réussite éducative »
Il en existe plus d’une quinzaine, ce qui ne facilite pas la clarté. Lesquels va-t-on renforcer ? Ces dispositifs induisent un cloisonnement de cibles / public, de situations, d’aires géographiques qui diminuent leur efficacité, d’où la nécessité de rechercher une prise en charge globale et coordonnée du jeune en difficulté.
D’autre part, sur une question aussi sensible, on a tort de se priver d’une analyse d’un système éducatif martiniquais en crise aujourd’hui. Cette crise se voit d’ailleurs renforcée par les mesures gouvernementales qui ont réduit considérablement l’encadrement dans les établissements scolaires et diminuent, aujourd’hui, les postes d’enseignements. Le SMDE (Schéma Martiniquais de Développement Economique) prenait en considération cet aspect de la question et proposait un certain nombre d’alternatives.
• « Création d’un dispositif de tutorat dit « grand frère » ».
Ces expériences ont eu un impact limité. Elles ne correspondent pas aux besoins des familles et ne donnent pas les moyens d’expertise nécessaires pour répondre aux problématiques, compte tenu des publics concernés et de la nature de ces problématiques. Le recours à des professionnels s’impose en la matière. L’expérience des « grands frères » devrait être un accessoire dans une prise en charge mieux définie.
IV. QUELQUES PROPOSITIONS
Nous souhaiterions, à ce stade de notre intervention, partager avec vous, collègues, quelques pistes qui n’excluent pas nécessairement celles qui ont déjà été présentées dans le rapport soumis à notre analyse :
1. Un partenariat privilégié avec les associations, véritable seconde famille.
• Les associations présentent de nombreux avantages : proximité, implantation régionale, connaissance du terrain, développement de liens sociaux particuliers (famille, voisinage etc…).
• On pourrait envisager avec elles un partenariat organisé autour :
D’un cahier des charges D’outils de suivi et d’évaluation D’outils d’aide à la formation des encadrants.
Un principe fondamental devrait être retenu : la « désectoralisation » de l’aide aux associations. C’est la qualité du travail des associations auprès des publics qui doit retenir l’attention. Notre vision d’une véritable démocratie ne nous autorise pas à faire dépendre l’aide aux associations du degré d’inféodation à telle ou telle municipalité.
2. Etendre le dispositif école/famille/quartier aux écoles primaires et aux lycées.
Le dispositif école/famille/quartier, conçu en Martinique en 2005, vise à une prise en charge globale des élèves en difficulté. L’accompagnement se développe sur les différents aspects de la vie de l’élève concerné (l’école, la famille et le quartier).
Il a été expérimenté au niveau des collèges. Mais il faudrait l’étendre, notamment aux écoles, car plus la prise en charge se fait tôt, plus les chances de réussir augmentent.
3. Favoriser le développement de microprojets
L’appel à projet des jeunes sur des initiatives économiques, deux fois par an, à l’échelle de l’ensemble du pays, mais aussi par grandes zones géographiques, est porteur de dynamiques innovantes.
4. Développer une action innovante et expérimentale dans le domaine professionnel
Il s’agit de former et de mettre en activité des jeunes très éloignés de l’emploi, en assurant un suivi (tuteur ou référent unique) dans le secteur du photovoltaïque et des énergies renouvelables appelées à se développer.
5. Mettre en place des modules de développement personnel
La remobilisation et l’accompagnement de certains jeunes passent par la mise en place massive de modules de développement personnel, dans des stages et en dehors (actions spécifiques), notamment en collaboration avec les psychologues cliniciens ou du travail.
CONCLUSION
Mais, il ne faudrait pas faire comme si notre pays n’était pas ce qu’il est : une société coloniale caractérisée par l’exclusion, les discriminations, les inégalités et les injustices.
De ce point de vue, il faut mettre l’accent sur deux défis majeurs :
1. Le défi de la drogue. Il est évident que la drogue joue un rôle non négligeable dans le climat de violence général actuel et l’état de certains jeunes -et moins jeunes- Martiniquais. On ne saurait donc faire l’impasse sur cette question dans un « plan ambition jeunes ». Sauf à considérer qu’il ne nous reste plus qu’à baisser les bras !
Son traitement exige une intervention à trois niveaux :
• Un volet répression qui concerne le trafic mais aussi les aspects économiques liés au blanchiment de l’argent de la drogue. Tout le monde sait qu’en Martinique certaines fortunes bâties sur la drogue s’affichent dans l’impunité : Ce volet ressort de la responsabilité de l’Etat français.
• Un second volet porte sur la prévention : modernisation des approches en collaboration avec les associations, les professionnels et les nombreuses personnes engagées dans ce secteur.
• Le troisième volet est médical. Il concerne la prise en charge des personnes touchées par ce fléau.
Chacun connaît le désarroi des parents devant cette question. Un certain nombre de mesures doivent être envisagées dans les volets prévention et médicalisation si nous voulons aider certains jeunes Martiniquais à s’en sortir.
2. Défi de la drogue, mais aussi défi de la refondation sociétale et économique, dans un pays dont le chômage et l’exclusion constituent des volets structurels de l’organisation économique. Pourquoi les entreprises békés refusent-elles les cadres martiniquais ? Voici un exemple de questions structurelles, marque de l’organisation socio-raciale de notre pays.
Notre pays est ainsi sujet à la discrimination raciale à l’embauche et au développement d’un communautarisme dangereux, dont on sait les conséquences désastreuses dans certains pays de la caraïbe.
Ce plan, si l’on veut qu’il ait un sens, doit être inscrit dans une dynamique plus globale de développement national (martiniquais) durable et solidaire et de refondation sociétale. Il doit aussi reposer sur le principe de responsabilité :
• Responsabilité collective du corps social martiniquais (parents, adultes, collectivités, entreprises, institutions, associations, professionnels etc..).
• Mais aussi responsabilité personnelle du jeune lui-même dans son parcours de réussite.
Merci.
Francis CAROLE (Palima)
au nom du Groupe des Patriotes Martiniquais et Sympathisants