Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous exprimer toute ma satisfaction de représenter aujourd'hui le Gouvernement pour le deuxième examen, devant vous, de la proposition de loi relative aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, après son vote en première lecture par votre assemblée le 26 janvier 2011 et par le Sénat le 4 mai dernier.
Nous sommes proches de l'aboutissement de la démarche que le Gouvernement a engagée en avril 2009 avec la mission confiée à M. Serge Letchimy, député de la Martinique.
L’objectif du Gouvernement, partagé avec l'ensemble des élus ultramarins, est de relancer la lutte contre l'habitat insalubre outre-mer et de la doter de nouveaux outils opérationnels. Cet objectif s'inscrit plus globalement dans l'engagement pour le logement outre-mer, conformément aux orientations définies par le Président de la République, pour relancer le logement social outre-mer et la reconstitution des tissus urbains dégradés.
Dans ce cadre, j'ai eu, depuis ma prise de fonction, la volonté d'aider nos bailleurs sociaux, de développer l'offre de logements avec de nouveaux moyens opérationnels et législatifs.
Depuis deux ans, nous avons mis en place une politique de relance du logement social à partir de deux volets complémentaires : une politique volontariste de développement de l'offre nouvelle de logements et une intervention forte sur l'habitat informel, dégradé et insalubre.
Concernant le développement de l'offre nouvelle de logements, nous disposons aujourd'hui des deux instruments fondamentaux que sont la défiscalisation et la ligne budgétaire unique.
Je relève que cette nouvelle ressource nous donne un véritable effet de levier sur la production neuve puisque, grâce à la défiscalisation, la production de logements nouveaux a pu connaître un bond de 15 % entre 2009 et 2010, avec plus de 7 000 logements engagés l'année dernière.
La loi de finances pour 2011 a maintenu la capacité d'engagement de la ligne budgétaire unique, dont les crédits en autorisations d'engagement sont restés à 275 millions d’euros. Par ailleurs, l'article 169 de la loi de finances permet désormais à l'État de céder gratuitement ses terrains dès lors qu'ils sont destinés à accueillir des programmes de logements sociaux ou des équipements collectifs. Il s'agit d'une mesure importante et très attendue qui, souvenez-vous, avait été décidée par le conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009. Je rappelle en outre que le décret du 9 novembre 2010 ouvre la possibilité pour l'État d'intervenir seul dans la compensation de la surcharge foncière dès lors que la situation financière des collectivités ne leur permet pas de le faire. Des mesures sont dédiées à l'habitat social, mais la mobilisation du Gouvernement pour développer l'offre de logements sociaux outre-mer ne doit pas occulter l'autre enjeu fondamental qu'est l'amélioration de l'habitat privé. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient les interventions qui visent à réparer également les tissus urbains dégradés, qu'il s'agisse de la réhabilitation du logement social ou de l'intervention sur le logement privé.
Dans le cadre de cette politique globale, le Gouvernement a souhaité donner un nouveau souffle volontariste à la politique de lutte contre l'habitat indigne et informel. En effet, devant le développement phénoménal de constructions informelles et insalubres qui touchait et continue de toucher les départements d'outre-mer – presque une construction sur deux –, il s'agissait de relancer la lutte contre toutes ces formes d'habitat sur des bases qui devaient être adaptées au contexte institutionnel et social des outre-mer. Il en est résulté un rapport commandé par le Gouvernement, remis en septembre 2009 par le député Serge Letchimy, comportant quatorze recommandations dont la plupart sont contenues dans cette proposition de loi, et d'autres mesures que nous avons mises en application sans attendre. Des pôles départementaux de lutte contre l'habitat insalubre ont été installés. Un soutien a été apporté pour lancer des plans communaux de lutte contre l'habitat indigne. Des formations au bénéfice des agents de l'État ont été organisées en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion. Ces premières actions ont fait l'objet d'instructions très précises transmises aux préfets dès l'année dernière.
Aujourd'hui, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que vous examinez en deuxième lecture est donc l'aboutissement d'une démarche ambitieuse que le Gouvernement continue de soutenir avec le Parlement depuis le début de l'examen de ce texte au mois de janvier. Nous voulons en effet donner à l'État, aux communes, aux aménageurs, les outils nécessaires pour agir efficacement et plus durablement contre l'habitat insalubre et informel. Il s'agit incontestablement d'un phénomène dont le caractère massif est sans comparaison dans l'ensemble national. Ce constat a d'ailleurs conduit le Sénat à réduire le champ d’application de la section 1 aux départements d'outre-mer et à Saint Martin.
Ce texte me semble désormais clair et adapté aux objectifs souhaités par les pouvoirs publics. Il présente des avancées fondamentales. Je placerai au premier rang d’entre elles l'institution d'une aide financière compensatoire pour les occupants dont le domicile devra être démoli ou exproprié. Cette aide financière a une finalité importante : faciliter l'intégration de la lutte contre l'habitat insalubre et indigne dans le cadre des opérations d'aménagement. Elle permettra, j’en suis convaincue, de compenser la perte de domicile résultant des démolitions ou des expropriations rendues nécessaires lors du déroulement de ces opérations. Cette mesure permet de tenir compte de la réalité des constructions érigées sur le terrain d'autrui qui caractérisent l'insalubrité outre-mer. La compensation qu'elle institue représente une incitation à la transition des personnes occupantes vers une situation normalisée. Il s'agit d'une disposition équilibrée dans la mesure où les droits du propriétaire foncier sont préservés et où elle est assortie de conditions d'exécution strictes définies dès l'article 1er de la proposition de loi.
Le Parlement a fourni un travail important en première lecture pour apporter des précisions sur les conditions de versement de cette aide et veiller à ce que la loi prévoie sans ambiguïté des modalités adaptées de calcul et de versement. Par ailleurs, l'exclusion des marchands de sommeil du bénéfice de cette aide financière est clairement soulignée dans un parfait accord entre le Gouvernement et tous les parlementaires pour combattre cette pratique inacceptable.
Je précise que, si le Gouvernement a accepté le bénéfice d'une aide financière pour des bailleurs dans l'esprit des dispositions de l'article 3, c'est pour permettre la prise en compte d'une situation réelle dans nombre de quartiers d'habitat informel où une proportion significative d'environ 35 % des occupations locatives ne sont ni précaires, ni abusives, ni indignes. Majoritairement, cette occupation locative se déroule dans un cadre de mutations professionnelles ou familiales. Il s'agit de bailleurs de bonne foi, notion reconnue dans notre droit et soumise à l'appréciation des tribunaux en cas de contestation des conditions de la location.
La deuxième avancée réside dans la flexibilité et la souplesse notables apportées aux conditions d'intervention du préfet et du maire. À cet effet, je relève la définition par arrêté du préfet d'un périmètre insalubre à contenu adapté. Ce périmètre permettra au préfet d'instituer une zone d'insalubrité adaptée à l'état des diverses constructions dans les secteurs d'habitat informel. Ce nouveau dispositif sera moins rigide dans son contenu et ses effets que le périmètre d'insalubrité actuellement en vigueur dans le code de la santé publique, qui s'avère décalé par rapport aux réalités de l’outre-mer. La définition de ce périmètre sera subordonnée à un travail de repérage que nous avons tous souhaité mieux encadrer en termes de délais et de mesures de police administrative. Pour ce faire, l'établissement d'un périmètre d'insalubrité et la prise des arrêtés de même nature par le préfet ainsi que les arrêtés de péril du maire comporteront des règles précises relatives a la procédure, aux droits des occupants, au relogement de ces derniers ou encore à la nature des travaux prescrits dans le cadre du respect des droits de la propriété et du domicile.
Je souhaite également souligner les possibilités ouvertes par l'article 16, qui permet de doter les maires, sur l'ensemble du territoire national, du support législatif nécessaire pour mieux gérer les situations d'abandon manifeste des parcelles. Le problème de l'abandon manifeste, sans être un phénomène propre aux départements d'outre-mer, y est assez massif dans nombre de centres de villes et de bourgs, alors même que le foncier est rare dans ces territoires. Il était donc nécessaire de simplifier la phase administrative de l'expropriation en respectant bien évidemment les principes de base que sont l'information du public sur la destination du bien exproprié et l'indemnisation des propriétaires dans les conditions de droit commun.
Enfin, s'agissant de la possibilité de recourir au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit Fonds Barnier, cela se fera sous certaines conditions, et notamment en direction des occupants sans titre, installés dans les zones exposées à des risques naturels prévisibles menaçant gravement des vies humaines. À cet égard, les montants affectés à ce dispositif seront identifiés au sein du Fonds Barnier. Il faut qu'ils soient inscrits dans le cadre d'une prochaine loi de finances.
Une fois encore, j'affirme l'attachement du Gouvernement à la rénovation des procédures que permet la proposition de loi sur l'habitat indigne en outre-mer. Nous soutenons cette proposition de loi qui est très attendue dans nos territoires et c'est pourquoi, je vous invite à un vote conforme au texte de la Haute assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Serge Letchimy, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je tiens à vous dire, dans les dix ou quinze minutes qui me sont imparties, combien cette proposition de loi est fondamentale pour les départements et régions d’outre-mer, certes, mais combien elle est également essentielle sur le plan global. Je me permets de le faire, dans cet hémicycle, parce que se limiter à l’aspect purement opérationnel, technique et financier de ce texte serait quelque peu réducteur. Cela justifie ma position sur son application ou non à la France tout entière, et je m’en expliquerai tout en m’en remettant, bien entendu, à la rédaction du Sénat.
Cette proposition de loi est une avancée conceptuelle fondamentale, une reconnaissance éthique sur le plan de l’urbain et de l’humain, et c’est, enfin, une vision nouvelle de la solidarité dans le monde. Un milliard de personnes environ vivent dans ce que l’on appelle l’habitat informel ou insalubre. Selon les prévisions des Nations unies, trois milliards de personnes vivront, d’ici à 2050, et notamment dans le Sud, dans ce que l’on appelle l’habitat populaire, l’habitat informel ou insalubre. Le taux de croissance de cet habitat sera d’environ 4 à 5 % par an. Des villes – comme au Brésil – compteront 500 000, 800 000, voire un million d’habitants de ce type d’habitat. Cela signifie que la place de l’informel dans la production de l’habitat est essentielle. La procédure que nous engageons aujourd’hui est un exemple, un modèle, une technique, une reconnaissance d’une forme de « loger », d’une forme d’exister, d’une forme d’habitat, donc de mon point de vue d’un droit de propriété, puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler, minimaliste.
Mais nous n’avons pas associé droit de propriété et versement d’une indemnité. Nous avons franchi un premier pas : celui d’accorder un droit en cas de perte de jouissance de domicile. Reconnaître une perte de jouissance de domicile, c’est admettre que la maison existe depuis longtemps, que quelqu’un l’a construite et qu’elle n’est pas tombée du ciel. Si telle famille a construit une maison au Brésil, à Djakarta, en Afrique du Sud, à Nanterre comme il y a quelque temps, en Martinique ou en Guadeloupe, c’est parce qu’il y a un schéma de survie dans l’urbain qu’il convient absolument de reconnaître. Le processus d’appropriation de l’habitat résidentiel n’est pas le même pour tout le monde. Je le dis parce que cela concerne, dans nos pays, environ 70 000 maisons ou familles, donc près de 10 % de la population, soit 200 000 personnes. Je suis donc d’accord avec M. Torre qui considère que cette situation est indigne de la République et que la loi Besson – la loi MOLLE – et le caractère inaliénable et imprescriptible d’habiter dans un lieu décent n’ont aucun sens dans une telle République, si l’on n’apporte pas une solution adéquate.
Autre constat terrible : la lenteur avec laquelle sont menées ces opérations est insupportable. Je tiens à vous remercier, madame la ministre, ainsi que l’État, d’avoir accepté cette mission permettant de trouver des perspectives afin de sortir d’une telle situation. En effet, une opération de résorption de l’habitat insalubre de 200 logements dure dix, quinze, voire vingt ans. Cela n’a aucun sens. Maintenir un tel rythme serait s’engager pour des milliers d’années. Les familles concernées risquent donc de disparaître sans bénéficier d’une politique de l’habitat et du logement.
Je vous le dis clairement : cette proposition de loi est bienvenue. Elle est très technique. Je souhaite vraiment que vous mettiez toute la puissance nécessaire pour que les circulaires, notamment celle de 2004, soient modifiées. Je suis d’accord avec le Sénat, qui considère que ce texte est excellent mais que, sans une politique du logement et de l’habitat déterminée, sans une politique de financement du logement appropriée, cela n’aura pas de sens. Il en ira de même si nous ne conduisons pas une politique foncière localement appropriée et si nous ne menons pas une politique de gouvernance locale.
C’est pourquoi j’invite mes collègues à ne pas amender ce texte et donc à le voter conforme, même si nous ne sommes pas totalement d’accord sur quelques points. Ainsi, le Sénat a choisi de limiter le champ d’application aux départements et régions d’outre-mer. Je sais que, tout comme moi, vous n’êtes pas sur cette ligne. Le rapport qui m’a été demandé devait porter sur les départements et régions d’outre-mer. J’aurais pu égoïstement m’en tenir à nos pays. Je ne l’ai pas fait parce que je considère, en toute intégrité intellectuelle, que le droit au logement et à la dignité n’appartient pas qu’à une partie du peuple dans le monde, mais à tout le monde, que l’on soit ici, en France, ou ailleurs. En profiter, à la limite, pour reconnaître des droits à ceux qui vivent ici depuis plus de dix ans dans des conditions acceptables aurait été une bonne chose. Cependant, je considère qu’aujourd’hui un pas est franchi. Nous veillerons demain, comme vous je le suppose, à faire appliquer cette mesure sur l’ensemble du territoire national en utilisant tous les espaces nécessaires. Seules les procédures d’abandon manifeste s’appliquent sur l’ensemble du territoire national. Cela permettra peut-être d’accélérer et de reconquérir des espaces.
Le Sénat a également modifié les mesures de clarification sur les modalités de versement de l’aide. Nous y souscrivons. Nous ne pouvons pas verser une aide forfaitaire sans relogement. Les personnes qui ont construit sur les terrains d’autrui ne doivent pas bénéficier d’une aide si elles ne procèdent pas au relogement effectif des locataires. Enfin, le Sénat a décidé de faire passer de trois à six mois la contribution forfaitaire, ce qui me semble être une bonne chose.
S’agissant des conditions d’éligibilité au Fonds Barnier dans le cas de terrains soumis aux risques naturels, nous nous sommes tous accordés pour dire qu’il fallait conserver ce dispositif. Je demande à l’Assemblée de maintenir cette aide. En effet, il serait terriblement incohérent, alors que l’on sait qu’il existe des zones à risques, de ne pas prendre des dispositions pour que les familles puissent quitter ces lieux.
Bien entendu, il faudra configurer un budget et établir un cadre budgétaire précis, au titre du projet de loi de finances de l’année prochaine. Nous proposons que ces dispositions soient maintenues, comme l’a souhaité le Sénat, du reste.
J’en viens au quatrième point important : la suppression par le Sénat de l’article 13 relatif à la création de groupements d’intérêt public, laquelle nous paraissait indispensable. Le Sénat, quant à lui, a voulu faire du juridisme – tant pis ou tant mieux – en se réfugiant derrière les articles 98 à 102 de la loi Warsmann qui vise à établir un cadre législatif général pour les GIP. Il n’en demeure pas moins que notre objectif était de fédérer les moyens pour mieux accélérer les procédures, sachant que les fonds proviennent du département, de la région, de l’État et de divers ministères. Nous ferons avec : nous créerons dans chaque département ces groupements, même si la loi ne le prévoit pas.
Cinquième point : des garanties de procédure ont été données en matière de procédures de carence. Le Sénat a modifié le texte de façon à rapprocher la procédure de déclaration en état d’abandon manifeste de la procédure existant en matière d'état de carence. Il me semble utile que les procédures d’abandon manifeste soient rapidement mises en œuvre de manière à éviter la situation que l’on trouve dans la plupart des villes d’outre-mer où la multiplication des dents creuses, des maisons et des terrains abandonnés empêche de créer les conditions d’une esthétique urbaine remarquable.
Le sixième point concerne le repérage. Christiane Taubira avait proposé qu’obligation soit faite, dans un délai donné, de repérer les habitats indignes ou insalubres ; le Sénat a prévu une rédaction autre, qui vise à ce que le travail de repérage débute dans un délai d’un an. Je le dis à mes amis guyanais, il existait un risque d’interprétation possible, compte tenu du niveau d’immigration à Mayotte et en Guyane. Je le dis très clairement, cette loi n’est pas faite pour cautionner des squattérisations ou des occupations illicites. Les possibilités de soutien et d’aide ne sont prévues que dans le cadre d’un aménagement urbain d’initiative publique. C’est uniquement dans ce cadre-là que l’aide visant à compenser la perte de domicile est reconnue. L’encadrement du dispositif ne peut donc en aucune façon faire obstacle aux politiques mises en œuvre en matière d’immigration. Une personne occupant un terrain, que ce soit en métropole, en Martinique ou en Guyane ne se verrait pas appliquer ce dispositif, sauf dans le cas où le maire, le préfet ou un EPCI décideraient de mener des opérations d’aménagement.
J’aimerais conclure, monsieur le président, en disant clairement que si ce texte est voté aujourd’hui – ce que je souhaite profondément –, il n’y aura pas de décret ministériel particulier, mis à part l’arrêté interministériel relatif au barème de l’aide financière de la section 1. Pour tous les dispositifs pour lesquels l’État s’est engagé, je propose que des circulaires de simplification soient publiées, car le texte est compliqué, et que des conventions soient mises en place pour ce qui est des nouveaux dispositifs opérationnels.
Tout cela renvoie à un triptyque : le premier volet, législatif, reposant sur les quatorze propositions de mon rapport, est acquis ; le deuxième volet, le dispositif de réforme de la circulaire, est en cours et nécessite une accélération ; le troisième volet, enfin, est constitué par la mise en place locale d’un programme de résorption de l’habitat insalubre et par un renforcement du pilotage et de la gouvernance des politiques de résorption de l’habitat insalubre.
Deux romans m’ont particulièrement marqué : Bahia de tous les saints du Brésilien Jorge Amado et Texaco de Patrick Chamoiseau, sur un quartier de Fort-de-France. Ces romans, qui ont tous deux remporté des prix littéraires, sont des symboles d’une conception nouvelle. En ce troisième millénaire, nous serons confrontés à de grands enjeux mondiaux : guerres, changement climatique, reconnaissance de la diversité comme élément fondamental. Mais si, dans le monde, en France, dans nos départements d’outre-mer, nous ne savons pas reconnaître ce qui fait partie de notre patrimoine et de notre culture, nous nous abandonnerons nous-mêmes. En ce sens, cette loi est le point de départ d’une nouvelle ère en matière de reconnaissance de l’urbain populaire, des petits peuples ayant investi les territoires de la ville pour survivre. À partir de ces pratiques, gageons que nous pourrons construire d’autres formes de solidarités, au-delà des seuls mécanismes du rendement et du profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Frédérique Massat, pour le groupe SRC.
Mme Frédérique Massat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de vous dire l’honneur qui est le mien d’être la seule élue de métropole à m’exprimer ce soir à la tribune. Je remercie mes collègues du groupe SRC de m’avoir permis de le faire car il faut savoir que les places dans la discussion générale étaient très chères, puisque seuls trois orateurs de notre groupe pouvaient intervenir.
Nous terminons en beauté ce marathon législatif qui a vu commencer la discussion des propositions du groupe SRC à neuf heures trente ce matin. Comme vient de l’indiquer le rapporteur, cette proposition de loi sera sans doute votée dans des termes conformes, ce qui permettra à ce texte d’être adopté dans des délais presque record dans notre législature.
Avec l’ensemble de mes collègues du groupe SRC, je salue le travail effectué par Serge Letchimy. Le caractère exemplaire de sa démarche est le fruit d’un travail de fond, relayé par les parlementaires de l’Assemblée et du Sénat et accompagné par le Gouvernement.
Je ne résiste pas au plaisir de rappeler que le 26 janvier dernier, c’est à l’occasion d’une niche du groupe SRC que cette proposition de loi a été votée à l’unanimité. Trois mois plus tard, au Sénat, à l’occasion d’une niche de nos collègues socialistes, le texte a été examiné dans des conditions qui ont permis d’assurer dans les meilleurs délais la navette parlementaire. Aujourd’hui, avant-dernière étape, une niche socialiste verra la finalisation de ce processus avec l’adoption définitive du texte. Ensuite, madame la ministre, c’est à vous et à M. le président de la République qu’il reviendra d’en assurer la promulgation dans des délais, espérons-le, rapides – dans les quinze jours suivant son adoption nous a-t-on dit en commission.
L'originalité et la particularité de ce texte et de sa démarche découlent du constat que les dispositifs érigés par nos législations afin de lutter contre l'habitat insalubre sont inadaptés à la réalité ultramarine. En effet, les opérations de résorption de l'habitat insalubre, caractérisées par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti, sont partiellement inefficaces dans ces territoires. Les outils de police administrative en matière de péril ou d'insalubrité sont également inadaptés car ils s'adressent aux propriétaires de constructions légales.
Ce texte procède à l'adaptation des outils législatifs aux réalités locales, ce qui va permettre aux acteurs publics et privés de s'attaquer au chantier de l'éradication de l'habitat indigne en débloquant des situations inextricables dans les conditions actuelles du droit.
L'accès à la maîtrise foncière, l'ouverture de nouveaux droits à indemnisation pour les occupants, la prévention en cas de risque naturel avéré visant à reloger les populations situées dans des zones répertoriées à risque, seront à même de transformer l'habitat outre-mer, de sécuriser les populations dans des logements répondant aux conditions de respect de la dignité humaine.
Dans son rapport de septembre 2009, Serge Letchimy indiquait qu’« une proportion significative d'habitants des DOM est en dehors de la loi républicaine », ajoutant : « le droit constitutionnel à un logement décent n'existe pas dans les DOM ; comment le droit au logement opposable peut-il n'être pas considéré comme virtuel ou fictif ? ».
Peut-on tolérer dans notre pays que certains de nos concitoyens ne soient pas protégés par les lois de la République ? La lutte contre l'habitat indigne en France, en métropole et outre-mer doit être érigée en priorité nationale, en enjeu majeur de la politique du logement. Elle répond non seulement à un devoir humanitaire de premier ordre, mais aussi à un devoir de solidarité envers nos concitoyens les plus défavorisés.
Le vote de ce texte par les deux assemblées de façon unanime signe la volonté des parlementaires et du Gouvernement de répondre à l'attente de ces territoires et de les doter d'outils pertinents pour débloquer des situations aujourd’hui dans une impasse.
Cependant, on ne peut que regretter, comme a pu le faire l'auteur de cette proposition de loi, que le Sénat ait amendé le texte pour restreindre le champ d'application de sa section 1. Le texte initial visait à prendre en compte une situation particulière aux DOM, mais qui pouvait trouver un écho sur l'ensemble du territoire. Les dispositions retenues ne stigmatisaient personne et permettaient une amélioration largement partagée, de dimension universelle.
Le Sénat a décidé de modifier le titre de la section 1, de même que l'article 6 bis. Cette modification ne correspond pas à l'esprit initial de Serge Letchimy et du groupe SRC. Nous aurions souhaité que ce texte conserve sa portée nationale, car en métropole nous avons aussi des situations douloureuses et difficiles à régler.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très juste !
Mme Frédérique Massat. Cependant, compte tenu de l'enjeu que représente ce texte pour l'ensemble de nos compatriotes ultramarins, compte tenu de l'incontestable avancée que constituent ces nouveaux dispositifs qui vont pouvoir être mis en œuvre sur ces territoires, compte tenu enfin de l'urgence qu’il y à agir, nous voterons ce texte dans les mêmes termes que le Sénat afin que le travail de son auteur, la bonne volonté manifestée par les deux assemblées et par le Gouvernement ne soient pas remis en cause.
Nous pouvons tous nous féliciter de ce travail collectif et constructif. N’oublions pas toutefois que ce texte seul ne réglera pas tous les problèmes, comme par un coup de baguette magique. Des moyens financiers de l'État et des collectivités seront nécessaires pour accompagner ces dispositifs législatifs, faute de quoi l'éradication de l'habitat insalubre, de l'habitat indigne, restera lettre morte et n'aura été qu 'un doux rêve le temps d'une lecture au Sénat et de deux passages à l'Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Madame Massat, vous avez exprimé votre satisfaction de pouvoir vous exprimer à cette tribune. Permettez-moi d’exprimer la frustration qui est la mienne de ne pouvoir faire de même car le calendrier a voulu que je sois de permanence pour présider cette séance.
La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe GDR.
M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout citoyen aspire à accéder à un logement décent. C'est pour moi la colonne vertébrale de la vie en société.
Ce besoin légitime a été reconnu par la loi comme un droit fondamental. Vivre dans un logement précaire peut être un facteur d'humiliation, de frustration, mais aussi de révolte. L'humain peut se détruire. Les rapports entre les humains peuvent s'altérer. La vie en société court le risque de se détériorer.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion sont concernées à des degrés divers par ce problème.
Aussi le Gouvernement a-t-il jugé utile et opportun – on ne le dit peut-être pas suffisamment – de donner mission à notre collègue Serge Letchimy de dresser un état des lieux. À la suite à cette mission, les députés ont adopté à l'unanimité, le 26 janvier 2011, la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, intitulé qui montre bien que cette mission était expressément circonscrite à ces territoires où plus de 150 000 personnes sont en attente d'un logement social.
À leur tour, le 4 mai 2011, les sénateurs ont voté à l'unanimité le texte présenté, après l'avoir recadré et remanié. Tout ceci en un temps record.
Une fois achevés les travaux de notre commission des affaires économiques, on constate qu’un consensus s’est dégagé pour entériner en l’état le texte issu du Sénat. Qu’à cela ne tienne : ce qui importe ici et maintenant, c’est bel et bien une mise en route concrète, selon le même tempo, des mesures arrêtées d’un commun accord.
Là est le vrai défi. Car quand on sait l’impasse dans laquelle se trouvent les finances de l’État ; quand on sait la quasi-insolvabilité des collectivités communales, dont certaines ne verront leurs dettes apurées que dans trente à quarante ans au moins – dixit la chambre régionale des comptes ; quand on sait que la demande de logements sociaux en Martinique est de 12 000 logements alors que le niveau de production est tombé à environ 300 logements par an ; quand on sait enfin que, en 2010, l’État n’a dépensé outre-mer que 20 des 110 millions d’euros qu’il avait prévus de consacrer au logement social, ce qui représente 80 millions d’investissements en moins ; quand on sait tout cela, il faut avoir l’honnêteté de dire que le contexte est particulièrement contraint.
Cela étant, ce n’est pas avec la proposition de loi que tout commence : de nombreuses opérations de résorption de l’habitat insalubre, informel et indigne ont été menées dans le passé. Cette démarche apparaît plutôt comme un aboutissement, comme un parachèvement, qui permettra de faire plus vite afin de rattraper le temps précieux que l’on a perdu par endroits.
J’en prends à témoin le rapporteur, qui a lui-même déclaré que « certaines opérations de traitement de l’habitat durent depuis vingt-cinq ans et qu’il faut en moyenne une dizaine d’années pour traiter quatre cents logements ». Cela prouve que bien d’autres opérations ont été réalisées, grâce à l’implication de l’État, bien sûr, mais aussi – on oublie souvent de le dire – avec le concours des municipalités, toutes orientations politiques confondues. Leur contribution concernait le plus souvent la prise en charge du foncier et des travaux de voirie et réseaux divers.
Je concède volontiers qu’il existe des cas épineux, des véritables kafé léfan, comme on dit en langue créole. C’est le cas de Trénelle Citron, à Fort-de-France, où vivent agglomérés pas moins de 8 000 habitants. Rendez-vous compte que, dans la seule ville de Fort-de-France, capitale de la Martinique, 20 % de l’habitat est informel, selon le rapporteur lui-même !
De même, l’île de La Réunion avait déjà appliqué le principe du périmètre insalubre à contenu adapté.
Les avancées juridiques retenues aujourd’hui ne sont donc pas apparues ex nihilo, loin s’en faut. L’aide financière était de mise dans toutes les opérations de résorption de l’habitat insalubre. La proposition de loi vient à point nommé pour conforter ces usages ; elle est le reflet d’une pratique pertinente. Mais rappeler ce qui a été accompli n’enlève rien à sa valeur intrinsèque, bien au contraire : le de facto devient de jure.
Pour faire face à l’urgence, pour parer au plus pressé, on a ainsi conclu des accords tacites à profusion, dans l’espoir d’un renvoi d’ascenseur sous forme de votes favorables. Et, pour donner au tout l’apparence de la légalité, les bénéficiaires ont été élevés au rang de contribuables à part entière, redevables de l’impôt, de la taxe d’habitation, de la taxe foncière. Mais, qu’on le veuille ou non, c’était déjà une manière de conférer à ces personnes, considérées comme contrevenant à la loi, un certificat de reconnaissance et un titre de propriété.
De fil en aiguille, la situation est devenue pratiquement ingérable, d’autant que chaque particulier était le plus souvent son propre aménageur, ce qui envenimait parfois les rapports de bon voisinage. On ne pouvait plus tarder davantage à trouver une solution adaptée à ces situations complexes, voire inextricables.
Il est important de signaler, d’abord, que le foncier est une denrée très rare en Martinique, où les prix sont prohibitifs et contribuent à l’exclusion ; ensuite, que certaines zones à réhabiliter sont surexposées aux risques naturels majeurs.
De fait, la Martinique est un concentré de risques, risques auxquels s’ajoute celui de la pollution des terres. Ce dernier élément ne doit pas être négligé, car des personnes indélicates y ont vu une aubaine spéculative pour des opérations de construction.
Ces deux derniers paramètres doivent également être pris en considération, ce qui implique deux obligations supplémentaires auxquelles on ne saurait se soustraire : la construction en hauteur, d’une part ; la construction parasismique et anticyclonique, d’autre part.
En faisant la somme de ces exigences légitimes, on comprend aisément que le montant des fonds alloués doit être élevé si l’on veut rendre l’habitat salubre, mais aussi sécurisé.
En conclusion, la mission a été accomplie : la proposition de loi va être adoptée aujourd’hui même. Mais il reste tout le reste : le marathon de son application, sans prétention excessive. Car, aux risques naturels majeurs que je viens d’évoquer, l’État et les collectivités ne doivent pas ajouter un autre risque majeur : celui d’un financement qui ne serait pas à la mesure des véritables besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Alfred Almont.
M. Alfred Almont. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne, insalubre et précaire dans les départements et régions d’outre-mer. Déposé par notre collègue Serge Letchimy – que nous savons parfaitement qualifié sur le sujet –, ce texte a été adopté à l’unanimité par notre assemblée le 26 janvier 2011 et par le Sénat le 4 mai 2011.
La proposition de loi fait suite aux conclusions du rapport rédigé par M. Letchimy dans le cadre de la mission que lui a confiée le Gouvernement. Remis en septembre 2009, ce rapport visait à accélérer l’entreprise de résorption des formes d’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, objectif que nous partageons et que, bien entendu, nous soutenons avec énergie.
Mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les propos des orateurs qui m’ont précédé, propos auxquels je m’associe, ni sur les arguments que j’ai développés en première lecture pour souligner la nécessité d’instaurer sans délai des dispositifs adaptés. Mais, j’y insiste, c’est bien par des mesures législatives que nous devons relever ce défi : faire en sorte que l’action publique en matière de logement tienne davantage compte de l’habitat insalubre.
Serge Letchimy nous l’a rappelé, bien que les collectivités aient dégagé ces dernières années d’importants crédits pour lutter contre l’habitat indigne et assurer des opérations de résorption de l’habitat insalubre, le phénomène de l’habitat informel et indigne persiste à un degré critique dans les territoires concernés, générant une précarité insupportable. Il ne concerne pas moins de 70 000 maisons, soit plus de 200 000 personnes. L’enjeu est donc moins le financement proprement dit que la gouvernance : il faut agir sur le foncier, sur la construction.
La proposition de loi qui nous est soumise correspond à nos attentes. Mais il faut maintenant faire vite. Je me contenterai d’insister sur deux séries de mesures urgentes proposées par le texte.
Il s’agit, d’une part, de l’aide financière octroyée aux occupants sans droit ni titre afin de les inciter à quitter les lieux et de permettre ainsi la réalisation d’opérations d’aménagement urbain.
C’est un point important du texte, que nous avions précisé par voie d’amendement en première lecture, avec le rapporteur et plusieurs collègues de mon groupe. Pour rendre les dispositions proposées conformes au principe du droit de propriété, nous avions ainsi remplacé l’indemnité pour perte de jouissance par une aide financière destinée à compenser la perte de domicile pour les occupants sans droit ni titre, s’agissant d’habitations qui doivent être démolies dans le cadre d’une opération d’aménagement public.
D’autre part, le texte prévoit d’adapter les procédures de police en matière d’insalubrité et de péril, afin d’imposer aux édificateurs de locaux sans droit ni titre la réalisation des travaux nécessaires.
Il s’agit, nous l’avons tous compris, d’un texte fondateur pour les régions et départements d’outre-mer, et dont l’intérêt principal est d’inscrire dans la loi le patrimoine immobilier informel.
Une fois le texte adopté par notre assemblée, le Sénat lui a apporté plusieurs modifications afin de le rendre plus efficace.
Il a par exemple clarifié les conditions d’éligibilité aux aides financières applicables aux occupants sans titre de terrains publics ou privés, lorsque la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’équipement public rend nécessaire la démolition de locaux à usage d’habitation ou de locaux affectés à l’exploitation d’établissements à usage professionnel.
Il a également clarifié les conditions d’éligibilité des bailleurs sans titre à l’aide financière et ramené de dix-huit à douze mois le délai de repérage de l’habitat informel dans le cadre du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées.
Le périmètre d’insalubrité dans les secteurs d’habitat informel a par ailleurs été associé à un projet d’aménagement et d’assainissement porté par une commune ou par un établissement de coopération intercommunale.
En outre, la saisine du juge n’est plus requise lorsque le propriétaire du terrain a donné son accord à la démolition des locaux en cause.
Enfin, le Sénat a porté de trois à six mois de loyer la participation du bailleur défaillant au coût du relogement ou de l’hébergement d’urgence des occupants.
Mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté conforme et à l’unanimité le texte issu des délibérations du Sénat, notamment afin que les mesures proposées soient appliquées dans les meilleurs délais.
Réjouissons-nous donc qu’un consensus soit possible sur un enjeu aussi fondamental pour les territoires concernés. Mais comment les mesures incluses dans la loi ne nous rassembleraient-elles pas, elles qui adressent aux collectivités concernées un message fort en matière d’aménagement et d’équipement, secteurs dont nous savons qu’ils conditionnent l’expansion du territoire comme l’épanouissement des populations ?
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.
M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me dois tout d’abord de saluer la belle unanimité qu’a suscitée, tant à l’Assemblée nationale, en première lecture, qu’au Sénat, la proposition de loi présentée par Serge Letchimy et le groupe SRC.
Ce sera du reste la première proposition de loi émanant d’un ultramarin à être adoptée depuis la loi Taubira tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
Cela montre également que nous reconnaissons aux ultramarins le droit, déjà inscrit dans la Constitution, de bénéficier d’un logement digne de ce nom.
Le moment est d’autant plus important que cette proposition de loi porte sur un sujet particulièrement sensible : le logement et l’habitat et, plus spécifiquement, l’habitat insalubre et indigne dans les départements et régions d’outre-mer.
Certes présents dans l’hexagone, ces problèmes se posent de manière beaucoup plus aiguë dans nos territoires ultramarins. Certains les jugent critiques à l’heure où nous sommes confrontés à de grandes difficultés de toute nature, notamment les catastrophes naturelles, en particulier les séismes.
Les territoires d’outre-mer sont en effet confrontés à une grave crise du logement. Les besoins non satisfaits sont considérables, en particulier en matière de logements sociaux. De plus, l’habitat insalubre – qui représente près du quart du parc immobilier ultramarin – et l’habitat informel, c’est-à-dire auto-construit, sans permis, y sont malheureusement des phénomènes récurrents.
Mes chers collègues, malgré les différentes lois relatives au logement et à l’habitat, et notamment la loi Besson, la situation ne s’est pas améliorée outre-mer. Elle s’est même dégradée.
Faut-il rappeler, comme l’indique l’excellent rapport de notre collègue Serge Letchimy, que l’on dénombre 70 000 maisons relevant de ce type d’habitat dans les quatre départements ultramarins, ainsi qu’à Mayotte et à Saint-Martin, soit 200 000 personnes vivant dans des conditions de précarité absolue ? Et je ne reviendrai pas ici sur les conséquences de cette insalubrité, tant en termes de santé que d’éducation. Nous constatons que ce sont toujours les familles les plus fragilisées et les plus démunies qui sont pénalisées – ce qui, vous en conviendrez, est cruel et injuste.
Cette proposition de loi constitue donc une avancée significative et un enjeu majeur pour nos territoires ultramarins. Elle contient un certain nombre de mesures qui permettront, je l’espère, d’apporter des réponses concrètes et pérennes au problème de l’insalubrité de l’habitat dans les DOM, problème qui perdure depuis des décennies.
Ce texte propose un ensemble de mesures législatives qui visent à simplifier les procédures en vigueur, souvent mal adaptées aux réalités de nos territoires, caractérisés, comme le dit notre collègue Serge Letchimy dans son rapport, « par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti ». Cette proposition de loi renforce également les mesures de police administrative.
Depuis des années, les procédures en vigueur ralentissent, voire bloquent les opérations de résorption de l’habitat insalubre dans nos territoires ; en tant que maire, je le sais bien. C’est ainsi qu’en Martinique aucune opération de ce genre n’a pu être engagée au cours des cinq dernières années, et de nombreuses familles déjà en difficulté attendent un logement décent depuis parfois dix ans.
En reconnaissant par exemple un droit à l’occupant qui se trouve sur le terrain d’autrui et en lui versant une aide financière, le texte permet de surmonter ces blocages et de faciliter la réalisation d’opérations d’aménagement telles que celles de résorption de l’habitat insalubre.
De surcroît, le texte vise à mieux prendre en compte la notion d’habitat informel, en l’incluant dans la définition d’habitat indigne, permettant ainsi son repérage.
Je l’avais dit lors de mon intervention en première lecture, et je le répète avec force : cette proposition de loi aura une portée majeure. Elle constitue le fondement d’une nouvelle politique de l’habitat précaire pour les départements d’outre-mer. C’est très bien ; cependant, les différentes dispositions prévues par le texte ne seront applicables que si des moyens financiers conséquents sont accordés par l’État pour accompagner la mise en œuvre de cette loi. Sans cela, madame la ministre, elle ne pourra atteindre son véritable objectif.
Le Président de la République, pendant la campagne présidentielle de 2007, avait affirmé vouloir faire de la France un pays de propriétaires. On en est bien loin aujourd’hui : la recherche d’un logement ressemble toujours à un vrai parcours du combattant.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !
M. Louis-Joseph Manscour. Si la majorité gouvernementale pouvait permettre à chaque citoyen vivant sur le territoire national, et notamment outre-mer, de bénéficier d’un logement décent, elle aurait déjà fait un grand pas pour redonner plus de dignité à nos populations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Abdoulatifou Aly.
M. Abdoulatifou Aly. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les quartiers d’habitat informel et l’habitat indigne sont des phénomènes qui ont pris dans les départements d’outre-mer des proportions importantes rendant nécessaires des solutions spécifiques et urgentes.
Je tiens donc à adresser mes vives félicitations à M. le rapporteur pour la qualité de son rapport, qui a suscité un indéniable consensus sur tous les bancs de l’Assemblée, tant et si bien que des voix s’élèvent – une fois n’est pas coutume – pour suggérer la généralisation du champ d’application de la présente proposition de loi à l’ensemble du territoire national. C’est dire que le texte a au moins le mérite de mettre en exergue la réalité du problème et sa terrible ampleur, qui menace gravement la cohésion sociale.
Ce texte ne constitue pas la panacée, mais apporte bien une première réponse concrète et adaptée à cette double préoccupation. À ce titre, il me paraît nécessaire, d’une part, de revenir sur l’opportunité de restreindre le champ d’application de ce texte pour Mayotte et, d’autre part, d’envisager un dispositif de relogement favorisant l’accession à la propriété pour les personnes bénéficiaires des opérations concernées.
De par son intitulé, la proposition de loi est appelée à s’appliquer aux départements et régions d’outre-mer. Comme Mayotte vient d’accéder à la dignité de département d’outre-mer, vous pouvez imaginer aisément l’espoir que suscite ce texte dans cette collectivité unique selon l’article 73 de la Constitution.
Or l’article 7 du texte prévoit une restriction spécifique à Mayotte, au seul motif que la loi Besson relative au droit au logement et à l’habitat n’y est pas applicable. Permettez-moi d’avoir la faiblesse de croire que cet argument est peu pertinent : le principe d’identité législative, désormais en vigueur à Mayotte, plaide justement pour que ce texte voie son domaine d’application non pas restreint, mais au contraire étendu jusques et y compris dans ce nouveau département, quitte à ce que les mesures d’application rendues ainsi nécessaires soient élaborées par la suite. D’ailleurs, la loi Besson est déjà modifiée et ses nouvelles dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2012. En 2012, nous dira-t-on encore qu’il faut attendre ? Il faut au contraire, je crois, remédier au plus vite à cette situation.
En tout état de cause, il importe de relever que, si l’article 7 est maintenu dans sa rédaction actuelle, c’est la spécialité législative qui sera ainsi artificiellement perpétuée, alors même que le processus de départementalisation engagé à Mayotte implique le déploiement d’un mécanisme de rattrapage juridique, notamment par le biais des ordonnances de l’article 38 de la Constitution.
Je ne peux donc que me retourner vers le Gouvernement, madame la ministre, et vers vous, monsieur le rapporteur, pour solliciter un amendement salutaire sur ce point. Si cela n’est pas possible, pourquoi ne pas prévoir un complément par la suite ?
Ma seconde remarque porte sur l’article 15, qui ouvre à Mayotte la possibilité d’engager des opérations d’habitat insalubre dans la zone des pas géométriques. Cette disposition arrive à son heure, car elle permettra d’avaliser une pratique ancienne des administrations locales, qui agissent de concert dans cette partie du domaine public maritime, puisque la plupart des villes et villages mahorais se trouvent sur le littoral.
Il reste cependant que cette coutume place les bénéficiaires des opérations de « décasement-recasement » ou de résorption de l’habitat insalubre dans un imbroglio juridique inextricable, dans la mesure où le logement leur appartient, mais la propriété du sol leur échappe.
Comme le présent texte instaure la possibilité d’indemniser, sous certaines conditions, les personnes délogées par les pouvoirs publics, il convient de souligner que la combinaison de cette nouvelle disposition avec en particulier les deux décrets Fillon du 9 septembre 2009 relatifs au code général de la propriété des personnes publiques à Mayotte facilitera considérablement leur accession à la propriété du terrain d’assiette de leur logement. C’est pourquoi j’appelle le Gouvernement à étendre rapidement à notre nouveau département l’ensemble des dispositifs d’aide au logement, et spécialement le prêt à taux zéro, pour réaliser les objectifs clairs et précis que le Président de la République a fixés le 18 janvier 2010 devant les Mahorais.
C’est sous le bénéfice de ces observations que je voterai sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Lebreton, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.
M. Patrick Lebreton. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en préambule de mon intervention, je souhaite féliciter chaleureusement et remercier notre estimé collègue Serge Letchimy, pour le travail de fond qu’il a accompli.
Au-delà de la qualité technique de ce texte, mais aussi de son caractère fondateur, il convient de saluer, comme d’autres l’ont déjà fait, la performance politique que constituent l’adoption de cette proposition de loi à l’unanimité à l’Assemblée nationale puis son maintien pour l’essentiel par le Sénat.
Une fois n’est pas coutume, madame la ministre, je veux saluer l’effort que vous avez consenti pour faire aboutir ce texte. Si le débat politique entre nous est parfois âpre, il est aussi important, je crois, de reconnaître lorsque votre action est positive.
Je viens d’évoquer le caractère fondateur de ce texte : en effet, la reconnaissance du droit au domicile est un élément fondamental ; sans être excessif, placer ce droit sur l’orbite du droit à la propriété, qui est, rappelons-le, une composante essentielle de notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est assurément annonciateur d’une évolution majeure de notre législation.
Si je ne comprends pas, j’entends que nos collègues sénateurs ont souhaité temporiser sur ce point, en limitant le champ d’application de la première section du texte à l’outre-mer. Il ne faut pas pour autant bouder notre satisfaction : il est heureux que l’outre-mer puisse servir de territoire précurseur pour l’affirmation d’une avancée juridique fondamentale, mais aussi d’un progrès social indéniable.
Voir l’outre-mer dépasser ses problèmes sociaux récurrents, ses difficultés économiques, ses indicateurs statistiques effrayants et ses handicaps en tout genre est pour nous un sujet de profonde fierté. Ce texte démontre, s’il en était besoin, que les ultramarins sont debout, que l’action de leurs représentants ne se borne pas à réclamer des subsides à l’État central.
M. Serge Letchimy, rapporteur. Bravo !
M. Patrick Lebreton. Plus en profondeur, ce texte consacre des usages en matière de réhabilitation de l’habitat insalubre qui ont fait leurs preuves. En témoigne, pour l’île de La Réunion, la réduction importante du nombre de logements insalubres liée aux politiques menées dès les années 80 et 90. L’Agence pour l’observation de la Réunion, l’aménagement et l’habitat, l’AGORAH, constate ainsi que le nombre de logements insalubres serait passé en une dizaine d’années de 22 500 à 16 235. C’est un progrès que les outils législatifs offerts par ce texte permettront assurément d’accentuer.
Cette avancée est donc une nécessité : la démographie très dynamique des collectivités d’outre-mer rend cruciaux les problèmes d’infrastructures, qui constituent de véritables défis. Dès maintenant, il nous incombe d’adapter les centres villes à une inéluctable densification, tout en développant dans nos écarts les infrastructures de base qui font souvent défaut, qu’il s’agisse de l’accès à l’eau potable ou à l’assainissement.
Aussi, ce texte, par l’indemnisation des propriétaires et l’aide financière qu’il offre aux occupants de constructions en bois sous tôle, facilitera assurément la mise en œuvre de nécessaires grandes opérations d’aménagement.
Toutefois, si la compensation financière et la simplification de la procédure de récupération du foncier constituent d’indéniables progrès, on ne peut les dissocier du problème du relogement des familles concernées. En la matière, on ne peut que constater que les carences et les perspectives à très court terme ne sont pas encourageantes. Plus de 25 000 familles réunionnaises sont maintenant en attente d’un logement social, et la construction demeure atone. Entre 1990 et 2000, 21 900 logements furent livrés – ce qui était déjà juste –, mais dans la décennie suivante ce nombre a diminué de moitié.
D’aucuns pointent la responsabilité des collectivités dans la non-mise en œuvre de programmes ou la non-mise à disposition de foncier que cette loi favorisera. Pour ma part, j’ajouterai le manque de volonté politique de certains.
Le cœur du problème, c’est le choix politique de l’État d’abandonner les politiques d’intervention et d’accompagnement. Depuis quelques années, les dispositifs permettant de conduire les programmes d’aménagement et les politiques sociales du logement ont littéralement fondu. Le FRAFU est devenu, sinon un mythe, du moins une rareté. Les crédits de paiement de la LBU, qui devaient être le cœur du financement du logement social, s’érodent loi de finances après loi de finances.
Le choix politique et idéologique de faire reposer le financement du logement social essentiellement sur la défiscalisation est, à mon sens, un risque. En effet, la défiscalisation est, par nature, un mécanisme fluctuant et instable. Le défiscalisateur ne cherche pas à œuvrer pour la politique du logement social outre-mer. Ce qu’il souhaite, c’est tout simplement un placement lui permettant de s’exonérer du paiement de l’impôt. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC.) Il ira donc vers la solution la plus performante au regard de ses objectifs, et ce ne sera pas nécessairement le logement social outre-mer.
Face aux enjeux, à La Réunion comme ailleurs outre-mer, je ne pense pas que la défiscalisation doive devenir le socle unique du financement du logement social. Au contraire, l’intervention directe de l’État, via une réhabilitation de la LBU, doit être privilégiée.
Madame la ministre, à chaque jour suffit sa peine, mais aussi sa joie, monsieur le rapporteur. Ces choix sur lesquels il est crucial de revenir ne doivent pas nous faire oublier l’avancée importante que le logement social, notamment outre-mer, va vivre avec cette proposition de loi de notre collègue Serge Letchimy, que, pour ma part, je voterai avec espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Letchimy, rapporteur. Il me semble utile de répondre aux remarques et aux interrogations de nos collègues, car le texte est compliqué, difficile. Non pas que je doute des qualités intellectuelles de chacun, mais il était déjà prévu d’établir des circulaires et un document de vulgarisation pour éclairer tous ceux, en particulier les professionnels, qui sont aujourd’hui dans l’attente.
Je remercie Mme Massat pour son soutien.
Alfred Marie-Jeanne a abordé beaucoup de sujets et je voudrais lui fournir quelques précisions. Concernant le budget de l’État et des collectivités, il y a effectivement un enjeu terrible, pour les communes notamment. L’aménagement urbain constitue une sollicitation extrêmement forte en matière de voirie et réseaux divers, et cela coûte très cher. Même si l’État finance à 100 % le bilan des opérations de résorption de l'habitat insalubre, l’autre bilan, dit hors RHI, peut être aussi élevé que le bilan RHI et la commune peut être sollicitée à ce titre. Il nous appartient donc, localement, d’apporter toutes les contributions des collectivités et de mesurer la capacité d’investissement.
Notre collègue Marie-Jeanne a également soulevé la question de la durée des opérations en cours. Je suis bien placé pour le savoir car, en tant que professionnel de la question, j’ai conduit beaucoup d’opérations RHI. Lorsqu’une opération dure vingt-cinq ans, ce n’est pas un succès, c’est un échec. Lorsqu’une opération portant sur 300 ou 400 logements s’étend sur dix ans, ce n’est pas un succès, c’est un recul. Un enfant qui aura vu commencer une telle opération à dix ans peut, vingt-cinq ans plus tard, être marié et, ayant lui-même des enfants, retrouver sa maison pratiquement dans le même état !
D’une manière générale, c’est le problème de ce type d’opérations, tant dans le quartier de Boissard en Guadeloupe, qu’à La Réunion, Cayenne la Mirande, Texaco ou Volga plage à Fort-de-France : Boissard a commencé il y a trente ans, Volga plage en 1986, Alaric en 1986 aussi et en est à un tiers de l’opérationnel. C’est donc un véritable enjeu, et cette loi veut accélérer les processus, surtout pas décourager les professionnels.
La participation des collectivités, notamment sur le plan foncier, est essentielle. On peut demander à l’État et on peut faire aussi sur place. Personnellement, je pense que la politique foncière locale n’appartient pas à l’État. C’est une question de décentralisation, de responsabilité, et il serait fort utile, pour les départements qui n’en sont pas encore dotés, d’avoir un établissement public foncier régional, qui permette de réaliser des réserves foncières et de ne pas attendre après l’État.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà ce qu’il faut faire !
M. Serge Letchimy, rapporteur. Cette responsabilité est donc totalement locale.
Madame la ministre, Alfred Marie-Jeanne l’a souligné avec raison, des personnes qui vivent depuis des années dans des quartiers dits populaires paient l’impôt foncier sur la propriété bâtie. De mon point de vue, l’État a commis une injustice en faisant payer cet impôt. Ce n’est pas que l’on refuse de payer l’impôt, mais payer alors que c’est l’État qui est propriétaire sur les cinquante pas géométriques, c’est plutôt difficile ! Ce n’est pas pour justifier que l’État délivre un semblant de titre de propriété, mais simplement pour relever une injustice : qui paie l’impôt foncier devrait bénéficier d’un titre de propriété, pouvoir hypothéquer son bien, le transmettre à ses enfants en pleine propriété. Ce n’est le cas que depuis la loi de cession des cinquante pas géométriques du 30 décembre 1996.
La loi que nous allons voter aujourd’hui ne concerne pas la cession de la parcelle, qui est liée aux cinquante pas géométriques. Quant à la loi rendant propriétaires les occupants sans titre dans les quartiers informels, elle est à faire bientôt, ici dans cette assemblée ou dans les collectivités locales, de manière à compléter le dispositif.
Alfred Almont a parlé de l’aide sociale. Je lui précise que l’indemnité versée n’est pas une aide au sens purement social du terme. Ce n’est pas une aide pour consacrer une inégalité. Dans le cadre d’une opération d’aménagement, on verse une indemnité reconnaissant le droit de domicile, appelée « aide ». Cette aide ne permet de décaser que les personnes concernées par l’aménagement. Dans un quartier quelconque, comme Trenel, sur les 8 000 personnes concernées, soit environ 2 300 familles, aujourd’hui une centaine de familles seulement sont décasées pour l’aménagement en réseaux et voirie. Il ne faut donc pas laisser croire que cette loi va provoquer un décasement massif des familles.
Cette loi ne confère pas non plus à quiconque le droit de squatter n’importe où. Elle ne se résume d’ailleurs pas à ce seul aspect, elle s’intéresse aussi aux mesures de police administrative : arrêtés d’insalubrité, arrêtés de péril et problèmes de terrains vacants.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Contre les marchands de sommeil !
M. Serge Letchimy, rapporteur. Le périmètre dit insalubre avait déjà été créé par la loi. Ce périmètre a été mis en place, courageusement, par la seule Réunion, dans l’illégalité la plus complète. Je rends ici hommage à tous les préfets qui ont quelque peu marronné à La Réunion face aux carences de l’État dans le domaine de la politique de résorption de l’habitat insalubre et des collectivités qui n’ont pas pris la question à bras-le-corps. Le problème qui se pose lorsqu’on décase une personne dans un périmètre illégal, c’est qu’on l’entraîne dans des contentieux très lourds. Cette proposition de loi permettra d’y remédier très rapidement en recourant à une procédure adaptée du code de la santé pour définir un périmètre d’insalubrité et pouvoir intervenir en toute sécurité.
M. Aly a soulevé plusieurs problèmes concernant Mayotte. Ainsi, il est bien évident qu’il faudra adapter l’article 7, mais la loi Besson ne s’appliquant pas à Mayotte, on ne pouvait pas l’intégrer. Cela viendra avec la départementalisation. Pour ce qui est de l’article 15, je pense qu’il s’est trompé. Cet article, au contraire, permet de faire des opérations de résorption de l’habitat insalubre dans la bande des cinquante pas géométriques, ce qui n’était pas possible.
Je partage l’avis de Patrick Lebreton sur la défiscalisation du logement social. L’État doit respecter la sacralisation de la LBU, la défiscalisation ne pouvant venir qu’en complément. Sortir de ce mécanisme qui garantit la production d’un minimum de logements sociaux, c’est s’exposer à des surprises demain. Une opération de réaménagement de quartier ne consiste pas seulement à mettre en œuvre une politique de logement, mais à restructurer des années d’investissements populaires de façon à maintenir en place le plus de personnes possible, à ne pas décaser les familles, à utiliser le patrimoine populaire immobilier comme parc de logement locatif et à permettre aux familles d’hypothéquer, de louer et de vendre dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Discussion des articles
M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas pu parvenir à un texte identique.
Article 1er
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, inscrit sur l’article.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur le président, je vous propose une négociation : si vous m’accordez une minute de plus, je n’interviendrai pas sur les autres articles.
M. le président. Marché conclu, monsieur Le Bouillonnec ! Plutôt qu’une négociation, considérons cela comme une meilleure organisation de la séance.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je savais pouvoir bénéficier de votre compréhension, monsieur le président.
Les explications de Serge Letchimy me facilitent la tâche. D’abord, il a affirmé que cette loi ne créait pas une situation à la marge de la légalité républicaine et constitutionnelle, ce qu’il fallait rappeler et faire figurer au Journal officiel. Nous n’avons pas cherché à consacrer des situations illégales. Le texte ne fait que reconnaître une réalité qui n’existe que dans certains territoires, pas seulement outre-mer, et qui se situe en dehors du droit de la propriété, de la location ou de la sous-location. Sans cette proposition de loi, la République ne répondrait pas à la diversité des situations de toutes les composantes de son territoire.
Ensuite, il s’agit véritablement d’un texte de combat contre l’habitat indigne et insalubre et pour la restructuration de nos territoires. Nous y avons travaillé avec volonté, dans des conditions tout à fait remarquables auxquelles, madame la ministre, nous vous sommes reconnaissants de vous être associée.
Enfin, le Sénat a apporté des corrections rédactionnelles. Notre rédaction n’était, il est vrai, pas tout à fait pertinente en termes de droit, mais nous avions cherché à explorer une difficulté qu’il a manifestement balayée d’un revers de main. Hantés par l’enjeu constitutionnel, nous avions pris des précautions oratoires pour expliquer et rédactionnelles pour écrire la loi, afin d’éviter tout risque. Le Sénat a balayé le tout en invoquant l’article 73 qui, à mes yeux, ne s’applique pas. Il faudrait d’ailleurs l’inscrire dans le texte. Toutefois, d’une certaine manière, on peut accepter cette rédaction parce qu’elle force, dans un premier temps, à une stratégie que nous cherchions à mettre en place dans les DOM-TOM.
À mes yeux, ce texte consacre en effet une stratégie particulière dans les territoires. Mais elle n’aura d’efficacité que si l’État reste totalement engagé, donc mieux qu’il ne l’est actuellement, dans la lutte essentielle pour la construction de logements sociaux et contre l’insalubrité. Comme l’a indiqué Frédérique Massat au nom de notre groupe, nous sommes fiers de voter ce texte avec vous tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(L'article 1er est adopté.)
M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.
Article 2
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, je ne m’étais pas inscrit dans la discussion générale ni sur les articles, mais il me paraît important de rappeler qu’il ne s’agit en aucun cas de mettre en cause le droit constitutionnel de propriété. Comme l’a indiqué le rapporteur, il s’agit d’accorder une aide financière aux occupants sans titre de terrains publics ou privés.
Il est rare d’assister dans cet hémicycle à un exercice bipartisan, comme disent les Américains, c’est-à-dire de voir que ce sujet est compris ici et là et qu’il fait l’unanimité – peut-être est-ce même pourquoi certains collègues sont absents. De cela, il faut féliciter le rapporteur, mais aussi le Gouvernement et la ministre chargée de l’outre-mer, Mme Penchard.
Il s’agit d’un bon texte et ce sera peut-être un grand texte si l’on a les moyens de son application. Serge Letchimy vient de dire qu’il n’a pas l’habitude, contrairement à ce que certains peuvent croire, de quémander des aides à l’État puisque des compétences nous sont dévolues et qu’elles sont financées, même si on se plaint souvent. Par exemple, en Guadeloupe, nous avons pris l’initiative de créer un établissement public foncier local afin que les élus locaux disposent de la maîtrise foncière, le directeur n’étant pas ordonnateur, c’est-à-dire qu’il n’est pas au service de la politique décidée par l’État. Il ne s’agit pas de concurrencer l’État ni de s’en défier, mais de mieux maîtriser les armes et les outils qui nous sont donnés.
J’aimerais insister sur les moyens qui devront être octroyés pour accompagner cette loi car, on le sait, les communes, elles, n’ont pas les moyens de la mettre en œuvre. C’est le cas en Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion.
Demain matin, ici même, aura lieu, à partir de neuf heures trente, la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2011. Le Gouvernement proposera un amendement visant à revenir sur une disposition qui avait raboté de 10 % le plafond des avantages fiscaux résultant des réductions d’impôt pour les investissements dans le logement social outre-mer, et à le relever à 40 000 euros, contre 36 000 euros actuellement. Mais lorsque vous bénéficiez d’une défiscalisation au titre de l’article 199 undecies A, de l’article 199 undecies B dit « Girardin industriel », et de l’article 199 undecies C, c’est-à-dire sur le logement social, c’est toujours le plafond de 36 000 euros qui s’applique. Demain, nous essaierons de corriger cette erreur, en plus de ce que le Gouvernement a prévu. Je demande donc à mes collègues d’être présents.
Par ailleurs, M. Marie-Jeanne a indiqué, à juste titre, que l’État n’avait dépensé, en 2010, pour l’outre-mer, que 20 millions d’euros sur les 110 millions d’euros prévus pour le logement social. Dans le même temps, comme l’a rappelé Patrick Lebreton lors du débat sur le suivi des mesures du CIOM, on a vu la LBU, censée être sanctuarisée, perdre 21 millions d’euros. En matière d’exécution du budget, c’est donc la catastrophe : on perd en LBU, en enveloppe fiscale, et parallèlement la lutte contre le logement indigne, insalubre, informel n’est pas financée.
Il manque donc une ambition politique armée de moyens pour que cette belle loi soit une très grande loi, même si nous sommes fiers de la voter de façon bipartisane. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
(L'article 2 est adopté.)
M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité.
Articles 3 à 10
(Les articles 3 à 10, successivement mis aux voix, sont adoptés à l’unanimité.)
Articles 12 à 16 bis
(Les articles 12 à 16 bis, successivement mis aux voix, sont adoptés à l’unanimité.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(L'ensemble de la proposition de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité. (Applaudissements sur tous les bancs.)