JUSTICE : LES PROCUREURS FRANCAIS RECLAMENT LEUR INDEPENDANCE

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Vers un nouveau statut des procureurs ?


 
PARIS (Reuters) - La plupart des procureurs français ont exhorté jeudi le pouvoir exécutif à promouvoir un nouveau statut garantissant leur indépendance et à sortir la justice de sa misère, une démarche sans précédent à cinq mois de l'élection présidentielle.


Une résolution signée par 126 des 163 procureurs a été rendue publique jeudi à Paris par ces magistrats chargés de déclencher ou non les poursuites et de soutenir l'accusation.

A la différences des juges, ils sont nommés par le chef de l'Etat après avis consultatif et sont hiérarchiquement soumis par leur statut actuel au ministère de la Justice.

 

"Magistrats à part entière, les procureurs de la République appellent à la mise à niveau de leur statut, par un renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, (...) afin de répondre aux nécessités d'une justice impartiale et de permettre d'établir la confiance des citoyens", dit le texte.

Les procureurs appellent également le pouvoir politique à renforcer les moyens et les effectifs de la justice.

Une étude européenne publiée en 2010 a montré que la France n'avait en effet que trois procureurs pour 100.000 habitants, le ratio le plus faible d'Europe, où la moyenne est de plus de dix.

 

"Les procureurs alertent solennellement le législateur, le gouvernement ainsi que l'ensemble de leurs concitoyens sur la gravité d'une situation qui ne leur permettra plus d'accomplir leurs missions s'il n'y est pas d'urgence remédié par une réforme de leur statut, une stabilisation normative et l'affectation de moyens", dit la résolution".

 

Dans une attaque directe, également sans précédent, contre le gouvernement en place, les procureurs signataires protestent aussi contre ce qu'ils voient comme une "inflation" législative, avec 27 lois pénales votées depuis 2002.

"Nous condamnons l'insécurité juridique dans laquelle se trouvent les parquets avec une avalanche de lois qui manquent de cohérence et sont parfois contradictoires", a dit à la presse Robert Gelli, procureur de Nîmes et président de la Conférence nationale des procureurs de la République.

 

LE PS SOUTIENT LE MOUVEMENT

 

Le Parti socialiste a déclaré soutenir le mouvement.

Le candidat PS François Hollande s'engage à réformer le statut des procureurs, à arrêter l'inflation des lois et à doter "progressivement et en fonction des marges de manoeuvre la justice des moyens nécessaires", dit dans un communiqué André Vallini, chargé de la justice dans son équipe.

 

Cette révolte des procureurs français couvait depuis les derniers mois en France, marqués par plusieurs mouvements de protestation du monde judiciaire, mis en cause par l'Elysée suite à plusieurs faits divers tragiques.

L'approche du pouvoir exécutif depuis 2007, selon laquelle le ministre de la Justice est le "chef des procureurs" selon l'expression de l'ex-ministre de la Justice Rachida Dati, suscite la réprobation dans l'univers de la justice.

Les syndicats de magistrats se sont ainsi unanimement indignés de la nomination début novembre comme procureur de Paris de François Molins, jusque-là directeur de cabinet du ministère de la Justice Michel Mercier.

 

Les poursuites judiciaires menaçant par ailleurs le procureur de Nanterre (Hauts-de-Seine) Philippe Courroye, proche de Nicolas Sarkozy mis en cause pour une enquête sur la presse déclarée illégale, ont alimenté le malaise.

Le procureur a un rôle clé en France, car il déclenche les poursuites, conduit plus de 90% des enquêtes pénales, représente l'accusation aux procès et assure l'exécution des peines.

 

Son statut semble de toute façon très menacé après plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, qui estime que le procureur français ne peut plus prétendre au titre d'autorité judiciaire, ce qui a été suivi par la Cour de cassation, plus haute juridiction française.

 

Il demeure une interrogation cependant sur la pertinence d'une réforme qui soumettrait, comme dans un projet avorté en 2000, leur nomination au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Ce dernier a été réformé dernièrement et il est désormais lié au pouvoir exécutif par diverses nominations.