PRESIDENTIELLE : L'ECRIVAIN PATRICK CHAMOISEAU LIVRE SON REGARD SUR L'ELECTION FRANCAISE.

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Patrick Chamoiseau :

"CONSOLIDER LA NOUVELLE FORCE"

 

L’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau livre son regard sur l’élection présidentielle française, le climat de la campagne et ses espoirs pour la gauche.

L'Humanité Dimanche : Quels ont été vos réactions après le premier tour ?

Patrick Chamoiseau : Le problème des élections présidentielles c'est qu'elles focalisent les énergies sur une personnalité, alors que nous sommes en face de la nécessité d'un changement radical de ce qui nous sert d'imaginaire économique 

. Si le capitalisme financier n'est pas soumis à l'autorité d'une autre économie, d'un autre imaginaire, aucun Etat, aucun gouvernement, et encore moins un « homme providentiel », ne seront en mesure de modifier la donne.

La métamorphose qui nous est nécessaire, et qui est nécessaire à tous les peuples du monde, est à la fois citoyenne et systémique. Dès lors, si on garde à l'esprit cette perspective-là, cette élection se révèle autrement. Quelque chose de pas banal s'est produit : l'émergence d'une nouvelle force politique, une nouvelle conscience, celle du Front de gauche.

Le discours porté par ce courant ne se trompe pas d'ennemi, ni de radicalité. Au nom de ce que l'humain a de plus précieux, de plus poétique, on fait face au capitalisme et à ses avatars sans s'accommoder du pseudo-réalisme qu'ils nous imposent. Cette émergence va à l'encontre de tout l'imaginaire économique, médiatique, technocratique, symbolique ou pseudo-philosophique du moment. Compte tenu de l'adversité, c'est un renversement presque herculéen qui a su s'imposer à plus de 11%, et même plus si on y ajoute les scores de Nathalie Arthaud et de Philippe Poutou.

Ceux qui ont adhéré à ce mouvement-là ont en quelque sorte accédé à un autre ordre de réalité : un rideau d'illusion commence à se défaire. Cela n'a rien à voir avec les agglutinations individuelles de peurs, de souffrances, de misères morales, de paupérisations, d'inquiétudes, effets de crise et autres destructions du capitalisme, qui constituent le vote Lepéniste.

HD : Vous aviez donné votre préférence à Jean-Luc Mélenchon, le plus radical selon vous, et qui fonde sa radicalité sur l'humain, êtes- vous déçu de son relatif faible score ?

Patrick Chamoiseau : Compte tenu de l'adversité totale, nous sommes en face d'un succès étonnant. Je suis content.

HD : Il est le seul qui avait répondu à votre lettre aux progressistes de France, quelles seront les conséquences pour les Antilles ?

Patrick Chamoiseau : Jean-Luc Mélenchon est attentif à ce qui pourrait constituer une vraie alternative, mais il n'a pas encore compris qu'il faut libérer les peuples que l'on noie dans le sigle DOM-TOM. Sa Sixième République ne prévoit pas d'inscrire dans la loi fondamentale des espaces de souveraineté ou des accès à une autonomie qui concilie égalité, solidarité, partages et différences. C'est nous-mêmes qui devrons penser et mettre en œuvre cette part de combat qui nous revient contre le capitalisme, donc il faut faire sauter tous ces archaïsmes de l'esprit colonial et considérer que la République Française peut être multi-trans-culturellement « unie », et non pas absurdement « une et indivisible ». C'est encore la zone aveugle de la lucidité du Front de gauche.

HD : Est-ce qu’un nouveau cycle politique et social peut s'ouvrir ?

Patrick Chamoiseau : Absolument. Il faut transformer l'émergence de cette nouvelle force en une force pérenne capable d'investir tous les lieux de pouvoir, tant nationaux que mondiaux. Une force capable de changer radicalement les imaginaires. C'est très difficile, car cette force doit se constituer à partir de nos individuations, lesquelles sont aujourd'hui incontournables. Elle doit aussi relever tout autant du poétique que du Tout-monde.

HD : Que vous inspire le score (très haut, 18,70%) de Marine Le Pen ? Vous qui déjà vous étiez inquiété des relents racistes de certains éditorialistes français ?

Patrick Chamoiseau : L'individuation transforme chaque individu en une complexité que rien ne peut réduire à une seule facette. Nous sommes faits désormais d'une multitude d'influences, d'affinités, d'appartenances, de peurs, d'ignorances, d'angoisses, de clairvoyances. Réduire un noir à sa peau, ou un musulman à sa religion, est une absurdité. Le vote le Pen est une agglutination erratique, qui n'a rien de collectif ni de systémique, c'est d'ailleurs pourquoi les instituts de sondages ont toujours du mal à le prophétiser. Il est fait de n'importe quoi, de refus informulables, de peurs et d'ignorances, de colère sans horizon et d'un résidu de vieilles ombres, et du coup il ne signifie rien de monolithique. Croire qu'il ne s'agit que de racisme comme le fait Sarkozy, et tenter de le capter comme cela, est une absurdité. C'est Jean-Luc Mélenchon qui a raison : ne rien céder sur les valeurs humaines, les réaffirmer avec encore plus d'exigence, aller vers la beauté, nommer la beauté, et montrer comment l'essentiel de l'humain se trouve en danger dans ce genre de vote.

HD : Que peut-il se passer pendant ces derniers jours avant le second tour ?

Patrick Chamoiseau : Attaque des marchés financiers, certainement. Xénophobie active, hélas. Alliances innommables, peut-être… mais Hollande devrait malgré tout gagner. Il faut qu'il gagne ! Mais le plus important, c'est que la France continue à construire la nouvelle force que Jean-Luc Mélenchon a réussi à cristalliser, l'inscrire dans les consciences et les imaginaires, puis la déployer dans l'appareil politique. Concourir à la victoire de Hollande est essentiel, consolider la nouvelle force est fondamental.

HD : Selon vous, Nicolas Sarkozy peut-il encore passer ?

Patrick Chamoiseau : Qu'il passe ou ne passe pas, l'ennemi reste le même : le capitalisme et ses hystéries financières, le dragon des marchés. A cela s'ajoutent les barbaries inhérentes à la nature humaine. On aurait tort de penser que le départ d'un homme, j'allais dire d'un « rouage », réglerait fondamentalement les choses, cela ne ferait que soulever un peu d'air frais pour cette grande inspiration et ce nouveau souffle que nous devons produire. Nous avons besoin de cet oxygène, travaillons à le déclencher, tout en considérant ses limites.