ANALYSE La règle de non-cumul des mandats défendue par le candidat Hollande a du mal à passer auprès des parlementaires socialistes. Qui tentent de la repousser.
Pas besoin de remonter trop loin dans le temps - après tout, la campagne présidentielle n’est terminée que depuis sept semaines : le non-cumul des mandats et la loi à venir ont figuré en bonne place dans tous les discours de François Hollande. Et à chaque coup, du Bourget à Périgueux, un tonnerre d’applaudissements tel que le candidat socialiste était obligé de s’interrompre. Mais les parlementaires socialistes, qui étaient priés de se montrer exemplaires avant même le vote de la loi, ne semblent aujourd’hui plus trop pressés de s’exécuter. D’autant que dans la nouvelle Assemblée, 339 députés détiennent aussi un mandat exécutif local.
À quoi le PS s’était-il engagé ?
Sur les trente dernières années, c’est la gauche qui a systématiquement fait progresser le non-cumul. D’abord par une loi portée en 1985 par le ministre de l’Intérieur d’alors, Pierre Joxe, limitant les mandats électifs à deux maximum, combinables avec une fonction exécutive. Un dispositif complété en 2000 par le gouvernement Jospin. Au PS, avant que Hollande ne reprenne le principe à son compte, le non-cumul d’un mandat de parlementaire avec un exécutif local et la limitation des mandats dans le temps (trois consécutifs) ont été approuvés à une écrasante majorité par les militants lors d’un référendum sur la rénovation du parti lancé par Martine Aubry, en 2009. Sans attendre une loi, le document évoquait la date de septembre 2012 pour appliquer le principe. La direction du PS a donc réclamé à tous les candidats aux élections sénatoriales ou législatives de s’engager, par écrit, à préciser à quel mandat ils renonceraient en cas de victoire. La règle était simple : pas de d’engagement écrit, pas d’investiture. Ces lettres qui dorment aujourd’hui rue de Solférino. Pendant la primaire, Martine Aubry a fait de la rénovation politique son principal argument de campagne face à un Hollande dont nombre de soutiens au Sénat étaient réticents (lire page ci-contre). «Cela fait partie de l’arsenal contre le rejet de l’action politique exprimé par une partie de nos concitoyens» , plaide aujourd’hui le ministre délégué à la Ville, François Lamy, ex-bras droit d’Aubry au PS. Un outil de «déverrouillage démocratique et un vrai appel d’air pour le renouvellement», renchérit le député Pouria Amirshahi.
POURQUOI ÇA BLOQUE ?
Depuis que la nouvelle Assemblée est installée, des voix réclament, chez les socialistes, de «prendre le temps». Si le principe d’une loi ne semble faire aucun doute, même si le calendrier parlementaire reste flou, l’échéance de septembre 2012 est passée aux oubliettes. «Ces choses-là, ça se prépare, ce n’est pas quelque chose qu’on fait en juillet-août. Septembre est un délai techniquement difficile», défend Thierry Mandon, député et maire de Ris-Orangis (Essonne). Ceux qui veulent un rab de cumul avancent surtout l’argument des prochaines élections locales, dans deux ans. La gauche, aujourd’hui ultramajoritaire dans les collectivités locales, craint un retour de balancier sur fond de crise économique. «Le risque, c’est de se rétamer en 2014», estime un député parisien.
A la croisée de toutes les récriminations, Bruno Le Roux, nouveau patron des députés socialistes, dément vouloir ralentir le tempo… parlementaire. «Mon rôle, c’est de faire que la réforme soit adoptée sans difficulté, le plus rapidement possible. J’attends que le gouvernement communique son calendrier» , explique-t-il à Libération.
Quid de l’engagement de septembre ? Le Roux renvoie vers le PS : «S’il faut une application anticipée de ce principe, c’est une décision du parti.» Mais pour l’instant, à la direction du PS, on «laisse s’exprimer les petites voix qui veulent aller contre un engagement militant fort» . Pour le député de la Nièvre Christian Paul, qui s’apprête à renoncer à son mandat de conseiller général de Bourgogne, «tous les responsables socialistes devraient avoir à cœur qu’il n’y ait pas de grand écart entre les engagements de campagne et la production législative». Selon une nouvelle députée, «on piétine des réformes qui ne coûtent pas un rond budgétairement». Mais qui, au contraire, peuvent rapporter gros politiquement.
LES MINISTRES poussés À L’EXEMPLARITÉ
Eux, le non-cumul, ils ont été priés de s’y conformer. Et vite. Tous les ministres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault ont dû, dès le premier Conseil des ministres, le 17 mai, signer une «charte de déontologie». L’article 4, intitulé «Disponibilité», les engage à «consacr[er] tout leur temps à l’exercice de leurs fonctions ministérielles. Ils doivent, de ce fait, renoncer aux mandats exécutifs locaux qu’ils peuvent détenir.» Et pas question, comme au temps du gouvernement de Lionel Jospin, de devenir premier adjoint, en gardant le même bureau… La majorité des membres du gouvernement a déjà organisé sa succession. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a passé formellement le relais dès le 3 juin dans sa mairie d’Evry. Son collègue François Lamy, délégué à la Ville et voisin essonnien de Valls, l’avait fait la veille à Palaiseau. Grand pourfendeur de ses camarades «cumulards» avant d’être député et président de Saône-et-Loire, Arnaud Montebourg a, lui, démissionné de sa fonction le 21 juin. Le 27 mai, lors d’une fête organisée dans son canton de Montret, l’ex-candidat à la primaire avait lancé à l’assistance : «J’ai essayé de cumuler pendant quatre ans. On n’y arrive pas. Ce n’est pas raisonnable.»
Quelle issue possible pour le PS ?
Par un rappel à l’ordre de Martine Aubry ou une décision définitive adoptée par le Bureau national du PS, «sans précipitation ni trop de retard», plaident plusieurs députés. Mais tous les socialistes ont surtout les yeux braqués sur l’Assemblée nationale où Jean-Marc Ayrault doit prononcer mardi prochain son discours de politique générale. Espérant une feuille de route claire du Premier ministre.
SOURCE : Par LILIAN ALEMAGNA, LAURE BRETTON in Libération