Deux profs réclament le droit à l'amour
Nicolas et Anne-Laure, sont tombés amoureux à Gennes (Loire Atlantique), se sont mariés l'an dernier à Sainte-Colombe (Rhône) et voulaient vivre ensemble du côté de Nantes (Loire Atlantique). Mais ils sont profs. Nicolas a été nommé à la rentrée aux Ulis (Essonne) et Anne-Laure à Chaumont (Haute Marne). Alors ils se sont installés entre les deux, à Troyes (Aube). Et depuis ils mènent bataille pour que deux enseignants qui s'aiment puissent vivre ensemble sans que ce soit la galère.
Cela n'a rien d'exceptionnel, direz-vous. C'est vrai. Régulièrement, on entend des cas de couples de profs séparés par des centaines de kilomètres, parfois même avec enfants. Selon le ministère, en 2011, dans le secondaire 78,9% des demandes de mutation pour rapprochement de conjoints ont été acceptées - ce qui fait tout de même 21% de refus -, et dans le primaire, seulement 53,19% ont abouti (voir le blog du collectif MutezNous).
Ce n'est pas non plus une tragédie, objecterez-vous encore, à l'heure où la crise frappe, où des usines ferment du jour au lendemain, où les employés se retrouvent sur le carreau ...
Malgré tout, l'histoire est édifiante de la façon dont l'Education nationale traite ses profs, et ce, après tout le foin que le précédent ministre Luc Chatel avait fait autour de la gestion des ressources humaines. Ancien DRH chez L'Oreal, il s'était fait fort de les moderniser et avait recruté pour cela l'ancienne DRH de la RATP Josette Théophile.
L'histoire n'est en outre pas très encourageante pour les aspirants profs à un moment où le métier attire de moins en moins et où on commence à manquer de candidats dans certaines disciplines.
En 2010-2011, Nicolas Py fait son année de prof stagiaire, après avoir décroché son Capes de lettres modernes, dans un collège de Gennes. Il y rencontre Anne-Laure qui fait un stage de terrain dans le cadre de son Master 1 de documentation. Ce qui devait arriver arriva: les voilà amoureux.
Ils se marient le 29 octobre 2011. Anne-Laure, originaire de la région, reste à Angers pour passer son Capes. Nicolas est nommé dans un collège de Cergy Le Haut (Val d'Oise). Ils arrivent à se voir toutes les 2-3 semaines. "On avait chacun des chefs d'établissement très compréhensifs, souligne Nicolas, je n'avais pas cours le vendredi après-midi et pouvais prendre le train assez tôt".
Tous deux prennent leur mal en patience, convaincus que ça ne va pas durer. En décembre 2011, Nicolas fait une demande de mutation en 2012 pour l'académie de Nantes:"Anne-Laure passait son concours dans cette académie, on pensait avoir des chances".
C'est niet. Motif: ils se sont mariés le 29 octobre 2011. Or les demandes de rapprochement de conjoints fonctionnent si on se marie avant le 1er septembre. "Est-il acceptable que l'employeur détermine la date de mariage de ses employés ?", proteste Nicolas.
Mais pas question de lâcher. Nicolas dépose un recours gracieux auprès du Recteur de Versailles. Nouveau niet: cette fois, parce qu' Anne-Laure n'était pas prof mais encore étudiante en 2011. Les textes sont les textes, mais pour la touche humaine, on repassera...
"La loi de mutation des fonctionnaire est claire, réplique Nicolas, elle restreint le droit au rapprochement de conjoints seulement dans le cas où cela gêne le service. Or jamais le Rectorat de Versailles n'a motivé son refus sur cette contrainte".
Nicolas adresse alors un recours hiérarchique à Luc Chatel, puis à son successeur Vincent Peillon. Il le relance - mais il n'a eu aucune réponse - lorsque le 13 juillet, Anne-Laure apprend son affectation comme prof-documentaliste stagiaire. Elle avait demandé Nantes, Orléans-Tours, Rouen, Rennes et Caen. Elle se retrouve dans celle de Reims, à Chaumont (la ville dont Luc Chatel est maire).
Nicolas se tourne vers le médiateur académique. En vain. Puis en avril, il dépose un recours pour excès de pouvoir auprès du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin de faire annuler la décision du Rectorat - l'avis n'a pas encore été rendu.
Dans son commentaire au Tribunal, le Rectorat semble trouver tout ça un peu exagéré: "Ce jeune professeur titulaire se trouve dans la situation de bon nombre de couples séparés et à ce titre, conformément aux textes, il convient de donner une priorité à ceux qui ont des enfants ou qui sont séparés depuis une longue période".
Sans enfants, il faudrait compter au moins 3 ans... En attendant, Nicolas et Anne-Laure ont calculé qu'ils auraient à deux, sept heures de transports en commun par jour - elle une heure et demie jusqu'à Chaumont, lui deux heures jusqu'aux Ulis, voire plus car il est TZR (titulaire sur zone de remplacement) et devra remplacer des profs sur toute une zone géographique.
"Nous sommes tout à fait prêts à être regroupés dans l'académie de Reims afin de vivre ensemble dans des conditions personnelles et professionnelles plus sereines", explique le couple.
Il faut dire qu'en plus, ils sont tombés dans deux académies relevant l'un de la zone B, l'autre de la C, où cette année, les petites vacances ne se chevauchent pas.
"Si c'était à refaire je ne sais pas si je le referais, confie Nicolas, j'ai un bon contact avec les élèves et je crois que ça marche bien, mais dans les rapports avec la hiérarchie, je suis vraiment déçu".
SOURCE : Libération