«Le lien numérique prend une place croissante en amour»
INTERVIEW - Pour Pascal Lardellier*, professeur à l'Université de Bourgogne, spécialiste des nouvelles technologies, les couples vivent aujourd'hui une «tyrannie du branchement».
Pourquoi Facebook est-il un réseau particulièrement adapté à la vie affective?
Pascal Lardellier - Alors que Twitter invite plus particulièrement à commenter sa vie professionnelle ou sociale, Facebook permet une réelle mise en scène de soi, avec plus de place, plus d'amplitude (on peut mettre des photos, des liens de nos livres ou films préférés, etc.), et surtout il offre une temporalité plus longue pour développer la présentation de ce qu'on aime. En ce sens, on dispose là d'une vraie «chambre d'ego».
D'autre part, tout le réseau est construit sur cet axe binaire «j'aime/j'aime pas», avec le côté manichéen que cela suppose. La nuance de la vie y disparaît. Cela crée le royaume numérique des bons sentiments, où c'est finalement l'esprit d'adolescence qui domine: on s'esclaffe, on met des LOL, des smileys… Facebook, c'est un peu «L'Île aux enfants» version 2.0. Heureusement, beaucoup d'adeptes en sont conscients et s'y adonnent au second degré.
Mais, officiellement, ce n'est pas un lieu de rencontres amoureuses?
Au départ, non. Toutefois, quand son créateur Mark Zuckerberg a fait rajouter le statut qui indique si l'on est «en couple», «marié», «célibataire» ou si dans sa vie affective, c'est «compliqué», il a clairement mis en concurrence Facebook avec les sites de rencontres traditionnels. Tous ces codes permettent de marivauder. En ce sens, oui, les réseaux sociaux sont, par détournement, de véritables outils de drague. D'ailleurs, en Grande-Bretagne, un divorce sur cinq mentionne une «problématique» Facebook.
Pour les couples installés, que provoque la fréquentation d'un tel réseau social?
Elle peut soit intensifier le lien amoureux, soit le dégrader. Aujourd'hui, de toute façon, tout couple vit une forme de «tyrannie du branchement»: nous sommes assignés à envoyer des SMS à notre conjoint, ils fonctionnent comme de petites caresses, et ainsi le lien numérique prend de plus en plus de place dans notre manière d'être avec l'autre. Il prolonge et renforce le lien amoureux. Combien s'inquiètent dès qu'ils n'ont pas reçu de réponse à leur texto? Sur Facebook, notre histoire d'amour est scénarisée. Tous les voyeurs y sont convoqués, et on peut montrer où nous en sommes affectivement comme dans une bonne série TV.
C'est donc plutôt positif?
Oui, même si par certains aspects les réseaux sociaux sont la téléréalité du pauvre, ils permettent de transformer sa vie en une sorte de roman. On voit certains couples s'ennuyer dans la «real life» et avoir une histoire torride, ensemble mais parallèlement, dans la réalité virtuelle, où les partenaires multiplient les connexions numériques. Autre point positif: le soutien communautaire produit par les amis numériques. Nos chagrins, nos engagements amoureux, nos malheurs sont commentés en ligne. Ils produisent des liens. C'est une nouvelle preuve que les réseaux sociaux font leur lit là où les structures traditionnelles de soutien (la famille, les collègues de bureau, etc.) sont défaillantes.
*Il vient de publier Les Réseaux du cœur. Sexe, amour et séduction sur Internet (François Bourin Éditeur).