SPIKE LEE : "DJANGO UNCHAINED... CE FILM EST IRRESPECTUEUX ENVERS MES ANCÊTRES"

Polémique : « Django Unchained », le dernier Tarantino, est-il raciste ?

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    PHOTO : Jamie Foxx dans « Django Unchained » (capture d’écran)

    Dire qu’un film de Quentin Tarantino est violent n’a rien d’un scoop. Chaque nouvelle sortie est accompagnée de son lot de polémiques sur la place de la violence dans l’œuvre du réalisateur américain et son plaisir manifeste à choquer les consciences. Logique donc que son western spaghetti « Django Unchained », qui sort aujourd’hui dans les salles françaises, n’échappe pas à la règle


    L’intrigue se déroule dans le sud des Etats-Unis, deux ans avant la guerre de Sécession qui mettra fin à l’esclavage. Django (Jamie Foxx), esclave noir, entre au service du chasseur de primes allemand King Schultz (Christoph Waltz) sans perdre de vue son objectif premier : retrouver Broomhilda (Kerry Washington), sa femme dont il a été séparé par des esclavagistes.

    Les deux compères retrouvent l’épouse disparue dans la plantation du terrible propriétaire Calvin Candie (Leonardo DiCaprio), qui flaire le coup fourré.

    Episode 1 : « The N word »

    De la violence, un déferlement d’action, un contexte historique centré sur l’esclavage et l’habituel vocabulaire tarantinesque décomplexé : il n’en fallait pas plus pour déclencher la traditionnelle polémique, mais qui a atteint cette fois des proportions inédites.

    C’est le blog conservateur américain The Drudge Report qui a lancé les hostilités. Le 12 décembre, les administrateurs du blog ont publié en première page une photo du réalisateur accompagnée du titre « N*GGER. N*GGER. N*GGER. N*GGER. N*GGER. N*GGER. N*GGER ». Le lien renvoie à une critique du site The Hollywood Reporter, dénonçant la violence omniprésente dans le film et « l’utilisation effrontée du mot qui commence par un N ».

    Le mot « nigger » signifie nègre, et se trouve être encore plus péjoratif en anglais qu’en français, bien que son usage soit relativement banalisé entre Afro-américains (voir cette interview de Samuel L. Jackson, qui met un journaliste très, très mal à l’aise). Le mot interdit est prononcé 110 fois dans le film (oui, certains se sont amusés à compter), mettant au placard « Jackie Brown » qui n’en avait récolté que 38.

    The Village Voice, Slate et Gawker s’en sont immédiatement pris au blog conservateur pour défendre le film et son réalisateur. Le premier a accusé le blog d’user d’arguments fallacieux et partisans, qu’il énumère :

    « 1- les libéraux sont au mieux hypocrites, au pire de véritables racistes ; 2- si les conservateurs blancs doivent faire attention à ce qu’ils disent, tout le monde doit alors en faire de même. Ce qui implique que le film de Tarantino est, mathématiquement, cent fois pire que, disons, les commentateurs de la Fox qui se contentent de cracher une fois pour toutes ce qu’ils ont à dire. »

    Slate et Gawker, quant à eux, ont accusé les conservateurs de vouloir jeter l’opprobre sur le film et créer le scandale pour se venger d’une œuvre soulignant un peu trop le racisme des Blancs.

    Episode 2 : Spike Lee entre en scène

    Le scandale est reparti de plus belle lorsque le réalisateur afro-américain Spike Lee a décidé d’y ajouter son grain de sel. Célèbre pour son engagement contre le racisme et pour l’égalité des droits (et pour ses films aussi), le réalisateur de « Malcom X », interrogé par la chaîne VibeTV le 21 décembre sur ce qu’il pensait du film de Tarantino, a répondu :

    « Je ne peux pas en parler parce que je n’irai pas le voir. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est irrespectueux envers mes ancêtres. C’est juste moi... Je ne parle pour personne d’autre. »

    Le lendemain, le réalisateur twittait un message assassin pour enfoncer le clou :

    « L’esclavage aux Etats-Unis n’est pas un western spaghetti à la Sergio Leone. C’était un Holocauste. Mes ancêtres étaient esclaves. Volés à l’Afrique. Je les honorerai. »

    Ce n’est pas la première fois que Spike Lee alpague Quentin Tarantino. L’inimitié entre les deux hommes remonte à décembre 1997 et la sortie de « Jackie Brown », également critiqué pour l’usage répété du mot « nigger ». Spike Lee avait alors déclaré ne pas être « contre le mot » dont il use également dans ses films, mais que Quentin Tarantino était « tombé amoureux du mot ».

    L’accusé avait alors répondu sèchement à la pique :

    « En tant qu’écrivain, je demande le droit d’inventer n’importe quel personnage. Et dire que je ne peux le faire parce que je suis blanc... c’est ça qui est raciste. »

    L’échange s’était finalement conclu par un célèbre « ce gars est juste stupide », envoyé par Lee à Tarantino, au moins aussi célèbre que le « Spike Lee devrait fermer sa gueule », lancé par Clint Eastwood en 2008 après que Lee a déploré l’absence de soldats noirs dans son film « Lettres d’Iwo Jima ».

    Episode 3 : les figurines de trop

    Dernier épisode en date : la commercialisation, en partenariat avec la Weinstein Company, d’une série de petites statuettes collectors à l’effigie des personnages principaux du film. Les produits dérivés, en vente sur Amazon, n’ont apparemment pas plu à tout le monde.

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    Les jouets collectors à l’origine de la polémique

    Najee Ali, directeur de l’organisation des droits civiques de Los Angeles Project Islamic Hope, a fait une déclaration cinglante à Associated Press :

    « Nous sommes indignés. Nous avons le sentiment que ça banalise les horreurs de l’esclavage et ce que les Afro-américains ont vécu. »

    Il est rejoint par le révérend Tulloss, qui a confié au New York Daily News son inquiétude de voir les statuettes utilisées à des fins ludiques :

    « Nous ne voulons pas que les gens les utilisent pour s’amuser, qu’ils se moquent de l’esclavage. »

    Des incidents en marge

    Pour parfaire le tout, Jamie Foxx a fait a une sortie remarquée au Saturday Night Live, le célèbre show américain :

    « Je suis affranchi. Je sauve ma femme et je tue tous les Blancs dans le film, c’est pas génial ? »

    De quoi faire entrer en ébullition la twittosphère, qui s’est déchirée entre défenseurs de l’humour de l’acteur et accusations de racisme.

    Autre pétage de plomb : celui du réalisateur lui-même, qui s’en est pris verbalement à Krishnan Guru-Murthy, le célèbre présentateur de la chaîne britannique Channel 4, après que celui-ci lui a demandé s’il n’y avait aucun lien entre aimer la violence à l’écran et l’aimer dans la vie réelle. Excédé, Tarantino a perdu son sang-froid en direct :

    « Je ne répondrai pas à votre question. Je ne suis pas votre esclave et vous n’êtes pas mon maître. […] Ce que je pense de ça ce n’est pas vos affaires. […] La raison pour laquelle je ne veux pas en parler est que je l’ai déjà fait. Je me suis expliqué de nombreuses fois au cours des vingt dernières années. Je refuse de me répéter encore et encore. »

     

    En attendant que vous nous disiez si « Django Unchained » est manifestement raciste, beaucoup trop violent, ou est tout simplement le meilleur des films de Tarantino, les amateurs de violence (au cinéma, on précise) pourront se détendre avec cette compilation des meilleures scènes de la filmographie d’un des réalisateurs les plus déjantés de sa génération

    SOURCE : Rue89