Cette colonie de la Couronne britannique est l'un des plus gros centres financiers offshore de la planète. A quelques lieux de la célèbre plage de sable fin de Seven Mile est nichée la cinquième place financière au monde, derrière New York, Londres, Tokyo et Hongkong : George Town, chef-lieu de ce sanctuaire de l'argent baladeur que sont les Caïmans, qui accueillent les plus prestigieuses enseignes bancaires ainsi que plusieurs milliers de comptables, d'avocats d'affaires et de fiscalistes spécialistes des montages financiers les plus sophistiqués.
Des centaines de compagnies d'assurance établies par des multinationales, des sociétés écrans par dizaines de milliers et des hedge funds (fonds spéculatifs) à la pelle sont immatriculés dans l'île aux crocodiles découverte par Christophe Colomb en 1503. Eaux transparentes et fonds opaques : les Caïmans sentent l'économie de l'ombre à plein nez. Profitant sans fausse honte d'avantages fiscaux massifs, le secteur financier, grâce auquel le revenu par tête est le plus élevé de la région Caraïbe, représente la moitié du PIB.
"LES VALISES DE CASH, C'EST FINI"
"Les valises de cash qu'on venait déposer ici, c'est fini. Les Caïmans ne vivent pas de la gestion des patrimoines privés louches qui veulent échapper aux autorités, mais de sociétés internationales qui ont besoin d'une juridiction neutre sur le plan fiscal", se défend le régulateur de cette place financière bâtie de toutes pièces en 1962 pour attirer les capitaux, surtout américains, fuyant l'instabilité des Bahamas.
Le réseau de recherche anti-évasion fiscale Tax Justice Network accuse les Caïmans d'être une "lessiveuse" qui, comme la caque, sent toujours le hareng. Les professionnels du placement extraterritorial, comme leurs clients, peuvent tirer profit en toute impunité du désintérêt de la puissance tutélaire comme de la corruption des élites locales ou de l'absence d'autorité de régulation digne de ce nom pour faire prospérer leurs affaires en toute quiétude. Les régulateurs, en nombre insuffisant, sont incapables de pister l'argent trouble au milieu de la masse des capitaux qui transitent quotidiennement. Et bien malin qui arrive à en déceler l'origine. Les délais de transmission des informations réclamées par l'étranger sont souvent scandaleusement longs.
C'est sur ce bout de terre que Jean-Jacques Augier, trésorier de la campagne de François Hollande en 2012, a investi : les documents analysés par Le Monde issus de la base de fichiers du consortium d'investigation ICIJ montrent qu'il y est actionnaire de deux sociétés offshore, par le biais de sa holding financière Eurane.
REPAIRE DE FONDS SPÉCULATIFS ET DE TRUSTS
A quoi servent les îles Caïmans ? Tout d'abord, de rabatteur de capitaux approvisionnant les grands centres mondiaux en liquidités. L'argent collecté à George Town n'est pas détenu dans les coffres forts des établissements financiers du cru, mais transféré dans les banques de la City, Wall Street, Singapour ou Paris.
L'évasion fiscale, désignée pudiquement par l'expression "optimisation fiscale", au profit des multinationales et des grosses fortunes privées, est une autre raison d'être de ce coin de paradis. Afin de faciliter les opérations d'alchimie comptable, les banques, les cabinets d'avocats ou les commissaires aux comptes montent en un tournemain des entités ad hoc appelées "special purpose vehicule", ou SPV.
Les Caïmans sont en outre le repaire des hedge funds du monde entier : un bon tiers d'entre eux est immatriculé aux îles Caïmans. Ces fonds, très peu taxés, jouissent en toute liberté d'importants effets de levier. Mais il s'agit de firmes fantômes hébergées par un bureau d'avocats ou d'experts comptables. Le siège et les salles de marchés sont basés à Londres, New York ou Singapour.
Autre spécialité locale, la création de trusts permettant à un détenteur de biens de les confier à un tiers, le trustee, au profit de bénéficiaires. Ces structures de préservation du patrimoine, propres aux pays anglo-saxons totalement opaques, permettent de fuir le fisc dans la mesure où le bénéficiaire ultime n'est pas connu. Joli petit monde...
SOURCE : LeMonde.fr