Obama en visite sur le continent aux 44 pays « en déliquescence »
Barack Obama au Sénégal, le 27 juin 2013
Barack Obama est en Afrique jusqu’au 3 juillet. Hasard du calendrier, c’est la période choisie par le think thank américain The Fund for Peace pour publier le Failed States Index 2013, un classement des Etats « défaillants » ou « en déliquescence », basé sur douze indicateurs différents.
L’indicateur « Failed States » est cependant controversé, pour ses implications politiques, sa définition et sa traduction imprécises (« failed » peut vouloir dire « fragiles », « défaillants », « faillis », « déstabilisés », « effondrés » etc.). Comme l’explique [PDF], Lionel Gallet, auxiliaire de recherche au programme paix et sécurité internationales (PSI).
« S’il existe un relatif consensus théorique sur la notion de fragilité étatique, il y a de nombreuses controverses au sujet des origines de la fragilité des Etats, des remèdes à celle-ci, et surtout à propos des processus d’indexation des Etats “défaillants”. »
10 pays ne sont pas dans un « état critique »
Selon The Fund for Peace, l’instabilité en Afrique s’est accentuée au cours des dernières années : parmi les vingt Etats les plus « défaillants » du monde, quinze sont africains.
Surtout, parmi les cinquante-quatre pays du continent, seuls dix ne sont pas dans un état « critique ».
Trois pays sont au programme de la tournée africaine de Barack Obama : le Sénégal et la Tanzanie – considérés comme « Etats défaillants à un niveau critique » par le Failed States Index 2013 – et l’Afrique du Sud – quant à elle qualifiée de « borderline » (« limite » en français).
La « défaillance », prétexte à l’ingérence
La notion d’« Etat défaillant » est apparue au début des années 90. Elle désigne un Etat incapable d’assurer sa mission essentielle de développement, de sécurité et de maintien de la paix à l’intérieur de ses frontières.
Depuis 2005, The Fund for Peace et le site Foreign Policy publient conjointement un classement annuel des Etats « défaillants ». On dénombre douze indicateurs, qui se divisent eux-mêmes en une centaine de sous-éléments.
Le think thank récolte des millions de sondages, d’analyses et de rapports, qu’un logiciel trie alors, suivant leur importance. Les pièces importantes sont ensuite réparties par indicateur. Chacun des douze indicateurs est noté sur dix : plus un Etat est « défaillant » sur l’un de ces critères, plus la note est proche de dix.
Ainsi, plus un Etat s’approche de l’indice 120 – la somme de la note sur dix obtenue dans chaque critère – plus il est « défaillant ». Le premier Etat est la Somalie, avec un indice de 113.9/120 (114.9 en 2012).
Les douze indicateurs se répartissent comme suit :
4 indicateurs sociaux :
2 indicateurs économiques :
6 indicateurs politiques/militaires :
La notion d’Etat « défaillant » reste très controversée en sciences politiques, parfois considérée comme un outil pouvant légitimer interventions et ingérence.
La carte des Etats « défaillants » change peu
Les cinq Etats les plus « défaillants » sont africains : Somalie (113.9), République Démocratique du Congo (111.9), Soudan (111), Sud-Soudan (110.6), Tchad (109). Le Zimbabwe est dixième, la Côte d’Ivoire douzième, le Nigéria seizième…
L’Afrique selon le « Failed States Index 2011 »Le Sénégal est 64e, la Tanzanie 65e. Selon The Fund for Peace, Obama se rend donc dans deux Etats « défaillants » en une semaine. Les Etats atteignent respectivement une note de 81,4 et 81,1 (le seuil critique étant à 80).
L’Afrique selon le « Failed States Index 2013 »
Malgré un relatif bon fonctionnement démocratique, le Sénégal et la Tanzanie souffrent de pressions démographiques et de services publics insuffisants, à en croire le think thank américain.
Pourquoi tant d’Etats défaillants en Afrique ? La situation n’est pas nouvelle : on retrouve majoritairement les mêmes noms qu’en 2010, 2011... Dès 1992, G. B. Helman et S. R. Ratner affirment dans un article :
« L’effondrement actuel a ses origines dans la vaste prolifération d’Etat-nations en Afrique et en Asie, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. […] Les Etats ont alors accordé plus d’importance à la liberté de détermination et à l’indépendance, qu’à la survie sur le long terme. »
Les auteurs expliquent aussi qu’après la guerre froide, ces jeunes Etats se sont retrouvés sans soutien de la part des Etats-Unis ou de l’URSS : les régimes nationaux ont progressivement été discrédités par des insurrections, des groupes rebelles… Et malgré la croissance économique du continent, la carte des Etats défaillants a peu changé.
« Je suis venu parce que l’Afrique monte »
« L’Amérique sera à vos côtés à chaque étape du chemin », déclare Obama au Ghana en 2009 à l’encontre du continent africain, tout en vantant l’Etat de droit ghanéen.
Le Ghana est l’un des rares pays africains à ne pas être considéré dans un état « critique » par le Failed States Index 2013. Coïncidence ? Le New York Times affirmait cette semaine qu’Obama n’était pas allé au Kenya pour ne pas ternir son image en serrant la main d’Uhuru Kenyatta, président kényan qui sera auditionné par la Cour Pénale Internationale le 9 juillet prochain.
Pour Obama, il y a bien sûr l’aspect économique. Le président américain a déclaré au Sénégal jeudi 27 juin :
« Je suis venu en Afrique parce que l’Afrique monte. Les Etats-Unis ne doivent pas rater cette opportunité. »
Mais le but est aussi de « renforcer les institutions démocratiques, et investir dans une nouvelle génération de dirigeants africains ».
Plus qu’un terrain économique, l’Afrique pourrait être le continent du futur lorsque son autonomie sera effective. Ce qui n’est pas encore le cas, selon le président sénégalais Macky Sall : à la question « L’Afrique peut-elle résoudre elle-même ses propres problèmes désormais ? », le non est catégorique.
« L’Afrique ne peut résoudre ses propres problèmes, car logistiquement nous ne sommes pas encore au point, pour déployer des troupes en cas d’urgence par exemple. »
SOURCE : Rue89