NOËL MAMÈRE : "UNE DÉMOCRATIE SANS PARTIS POLITIQUES PEUT-ELLE FONCTIONNER ?"

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"Un sentiment de défiance envers les partis traditionnels".         Le 25 mai 2014 n’est-il finalement que le résultat de la lente agonie des partis politiques ? A droite comme à gauche, le sentiment de défiance envers les partis traditionnels est tel qu’on peut légitimement se poser la question. L’affaire Bygmalion, comme la déchéance annoncée de la présidence Hollande, en sont les derniers symptômes. Mais la crise des partis vient de loin. PHOTO : Noël Mamère, Député de Gironde.
 

 

Les partis sont nés de la révolution industrielle, vers 1850, où leur fonction était identifiée clairement. Ils représentaient des classes sociales ou des groupes sociaux déterminés. Le parti radical a, par exemple, longtemps représenté les commerçants, artisans et paysans ; les divers partis de droite, la bourgeoisie industrielle ou financière ; le Parti socialiste et le parti communiste, les ouvriers…

Cette situation a perduré jusqu’aux années 80 : les partis étaient l’expression de sensibilités sociales et jouaient le rôle d’intermédiaire par lequel transitaient les revendications et les aspirations de la population. Certains les exprimaient dans l’opposition par une fonction tribunitienne, d’autres dans l’alternance au pouvoir qui imposait à un moment donné la force de tel ou tel groupe social.

L’obsolescence des partis

Les élites issues des partis avaient une légitimité. Les classes populaires avaient leurs représentants. Ce système « partitocratique » fonctionnait d’autant mieux que la redistribution des richesses s’opérait dans le cadre de l’Etat-nation, garant d’un équilibre dans cette répartition. Avec la mondialisation financière, son rôle a été balayé, notamment par la volonté d’une partie de la classe politique, au point qu’aujourd’hui les partis politiques, comme les rois jadis, se retrouvent tous nus.

Ils ne représentent plus qu’eux-mêmes, c’est-à-dire une petite oligarchie ne se reproduisant que dans l’entre-soi, coupée du réel, hors-sol, moulinant dans le vide, mimant des combats et des idéologies du passé, avec une langue de bois incompréhensible pour le commun des mortels.

Il y a toujours eu des scandales et des « affaires » en politique, mais ils apparaissaient comme des transgressions. Aujourd’hui, ils sont perçus comme une finalité permettant aux clans de délimiter leur territoire.

Ce qui vient de se passer à l’UMP ne regarde finalement personne d’autre que les quelques hiérarques et leurs écuries qui ne pensent qu’à la prochaine présidentielle. Et ce, même si le hold-up de Bygmalion se fait en dernière instance sur le dos du contribuable. Quand à l’effondrement du Parti socialiste, il n’intéresse que ses députés qui ont peur pour leur réélection.

La thèse que je soutiens est que l’obsolescence des partis politiques de l’ère industrielle étant arrivée près de son terme, il faut d’urgence réinventer la forme parti si nous voulons sauver la démocratie.

Les partis deviennent liquides, transparents

Nous voyons bien qu’avec les primaires généralisées, l’armature des partis est en train de s’effondrer. Ils reviennent à ce qu’ils étaient à leur origine, des comités électoraux. Leurs fonctions d’écoles de formation, de pensée, de renouvellement des élites, disparaît. Les partis deviennent liquides, transparents, vides de sens, désertés par les forces vives.

Pour autant, une démocratie sans partis politiques peut-elle fonctionner ? L’illusion d’une démocratie directe, sans représentants, est une utopie dangereuse. La démocratie repose sur trois acteurs essentiels :

  • les partis ;
  • les médias qui mettent en scène les élections ;
  • et l’Etat qui organise cette confrontation.

La question est donc de réinventer des partis permettant à la population de formuler ses choix, de renouveler ses élites, de décider de son destin, indépendamment des lobbies. Cela passe par une refondation de la politique qui suppose de profondes transformations.

  • La sortie du système présidentiel qui, en France plus qu’ailleurs, mine la politique en la réduisant à la conquête de la magistrature suprême : l’élection du roi dont il s’agit ensuite de couper la tête, comme on le voit aujourd’hui avec François Hollande. Le quinquennat a accéléré ce processus. Le corps du roi devient l’alpha et l’omega de la démocratie. Redonner du pouvoir aux citoyens passe par un Parlement représentatif, l’exigence de la proportionnelle, des moyens d’investigation et de sanction de l’exécutif par le législatif.
  • L’invention de nouvelles procédures (vote obligatoire, reconnaissance du vote blanc, tirage au sort, conférence de consensus, budget participatif, procédures référendaires …) associant le citoyen non seulement à la désignation de ses représentants mais aussi à la coproduction des décisions et, à tout le moins, à la délibération.
  • L’adaptation des partis à la structure de la société contemporaine. Le développement du phénomène Grillo en Italie ou dans une moindre mesure, celui des « Pirates » ou de « Podemos » en Espagne, exprime un désir d’en finir avec le verticalisme et la centralisation des partis, avec la séparation dirigeants/dirigés.
  • Le rôle des réseaux sociaux, d’Internet, implique la construction de partis-réseaux où l’élaboration des décisions, des désignations, des programmes, ne se décidera plus dans les cénacles parisiens mais par l’association du plus grand nombre. Les partis seront à l’avenir coopératifs et collaboratifs… C’est la mise en question de la professionnalisation à outrance des partis politiques qui enlève tout pouvoir au militant.
  • Le « pluralisme monde » des partis. Comme Ulrich Beck l’a écrit dans son ouvrage, « Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation » (Ed. Flammarion, 2009), il s’agit de créer des partis nationaux de citoyens du monde. Les élections européennes ont démontré la lacune des partis actuels. Cantonnés à l’Etat-nation, ils ne sont plus adaptés à la société et à l’économie-monde d’aujourd’hui et n’ont pas d’emprise sur les décisions qui sont prises en dehors de leur périmètre national. La construction de formations continentales, voire mondiales, est donc à l’ordre du jour car le climat, la finance, les nouvelles menaces géopolitiques, la question des ressources et des matières premières, se posent à une échelle qui met hors-jeu le parti politique tel que nous le concevons encore aujourd’hui. Le pluralisme ne peut plus se concevoir à l’échelle nationale : la gauche néolibérale est la même en Italie, en France, en Angleterre ou aux USA. Elle doit s’assumer comme telle. La droite conservatrice ou ethnique, également. L’écologie politique a déjà fait cette mue mais reste trop confinée à l’espace européen et ne prend pas en compte le développement de l’écologie populaire au Sud.

Après le 21 avril 2002, la peur engendrée par l’arrivée de Le Pen au deuxième tour a certes suscité une mobilisation massive, mais elle a en même temps empêché de penser la transformation de la politique. L’effondrement de la droite et de la gauche actuelles nous en donne l’occasion. Ce chantier n’apportera pas la solution à la crise mais il est le préalable pour que le changement ne soit pas sans lendemain.

source  : Noël Toute l'année, blog de Noël Mamère.