Si personne ne s’y oppose in extremis, le paysage universitaire parisien sera profondément restructuré dans un mois.
Depuis 1969, année de l’éclatement de la vieille Sorbonne, un tel bouleversement ne s’était pas produit. À l’époque, on avait démembré le corps vénérable de l’université de Paris en six parties, correspondant à des ensembles de disciplines proches, mais aussi à des orientations politiques.
Les six universités de Paris centre sont depuis cette date des universités incomplètes du point de vue des disciplines : Paris 2, par exemple, est une université aux trois quarts juridique, Paris 6 une université scientifique, Paris 3 une université de lettres et langues. En 1971, une université entièrement nouvelle a été fondée, Paris 7 : elle est la seule multidisciplinaire dans Paris centre. En même temps, autour de Paris, déjà à la fin des années soixante, s’étaient créées des universités importantes, comme Nanterre ou Vincennes (puis Saint-Denis) : d’autres s’y sont installées par la suite.
Qu’allons-nous avoir dans le proche avenir, à la suite de la restructuration actuelle ? Selon quels critères ces entités diverses seront-elles regroupées ? A-t-on réuni les universités en tenant compte de la proximité géographique ? Non, puisque Nanterre s’unit à Saint-Denis, Villetaneuse à trois universités parisiennes, alors que Cergy-Pontoise reste seule. A-t-on veillé à rééquilibrer les dimensions, en constituant des ensembles de taille comparable ? Non, puisqu’on assemble une communauté de 120 000 étudiants avec Sorbonne Paris Cité, alors que trois universités de Paris centre gardent des effectifs entre et 10 000 et 40 000 étudiants. A-t-on donné la priorité à la constitution d’ensembles où toutes les disciplines seraient présentes ? Encore moins, puisque Paris I, Paris II, Dauphine restent des universités exclusivement de droit, économie, sciences humaines et sociales, alors que les regroupements en cours font apparaître des doublons.
Comment comprendre la logique d’un tel remembrement, comment justifier ou expliquer une telle absence de critères ? Force est de constater que les alliances se sont constituées (parfois à travers des conflits, des ruptures, des renversements soudains) sur le fondement exclusif des rapports personnels entre les présidents d’université. La loi LRU avait donné un pouvoir énorme aux présidents, et l’autonomie étant venue avant la restructuration, la personnalisation du pouvoir a eu ses effets. Si les gouvernements avaient d’abord procédé à une politique de remembrement, selon un plan raisonnable et discuté avec les intéressés, les choses auraient pu se passer autrement, et nous aurions à Paris, aujourd’hui, plusieurs universités pluridisciplinaires de taille moyenne. La plus grande université du Royaume-Uni a 40000 étudiants (Manchester).
Pourquoi Paris a-t-il choisi de se doter de géants ?
La seule réponse se trouve dans le véritable choc que le classement de Shanghai a produit dans les milieux politiques français. Les ministres ont souvent déclaré que la réunion des universités servait à faire la somme des publications scientifiques pour monter dans les classements internationaux. Il est inutile d’insister sur le caractère puéril de ce stratagème.
Un mélange de hasard et de nécessité, de caprice et de despotisme, a donc régi la dynamique de cette reconfiguration : l’espoir de faire des économies grâce aux fusions, le réflexe jacobin des appareils, mélangés aux éléments d’autonomie octroyés par la LRU, ont donné la confusion actuelle, que le cabinet du ministère impose d’une main de fer.
Mais un autre élément est entré en jeu. Au lieu de choisir l’une des deux solutions judicieuses pour Paris, la constitution par fusion de plusieurs universités pluridisciplinaires de taille raisonnable, ou bien la simple coordination de toutes les universités parisiennes par une structure confédérale sur le modèle de Londres, on a décidé de créer des communautés d’universités qui seront une couche bureaucratique nouvelle, insérée entre le cabinet ministériel et les présidences des universités.
La communauté a été imposée : par qui ?
Par ceux-là mêmes qui auront le plaisir de la diriger, de s’y assurer les postes auxquels ils aspirent. Lorsque Mme Fioraso a nommé son cabinet en 2012, en prenant ses fonctions de ministre, les observateurs ont remarqué qu’elle avait choisi des personnes déjà aux affaires depuis longtemps, et tous des soutiens de la loi LRU. On n’a plus douté, dès lors, que la continuité serait garantie. Une caste s’est constituée, formée d’anciens et actuels présidents d’université, présidents de la CPU, membres du cabinet, conseillers à l’Élysée, énarques et hauts fonctionnaires aux parcours sans faille. Cette caste gouverne bien plus que les ministres ou secrétaires d’État, et pense à son avenir, lorsqu’elle choisit d’inventer une structure nouvelle en pleine époque de restrictions budgétaires. La sécurité de l’emploi, avant tout.
Paolo Tortonese, professeur de littérature française, Sorbonne Nouvelle Paris 3.