CHLORDECONE : QUE FAUT-IL RETENIR DE LA
VISITE D’EMMANUEL MACRON ?
par Louis BOUTRIN
La visite du Président de la République en Martinique était particulièrement attendue par la population notamment par le monde agricole. Au menu de son séjour, l’épineuse question du Chlordécone. Un scandale écologique, sanitaire, économique et social sans précédent qui ne peut laisser place ni aux tentatives de récupération médiatique ni aux approximations opportunistes.
Au Morne Rouge, en plein mitan d’une exploitation agricole fortement contaminée, Emmanuel MACRON a fait cinq annonces qu’il convient donc d’analyser de plus près à quelques heures de l’ouverture du Colloque international sur le Chlordécone.
1. Sur « La reconnaissance d’un scandale environnemental » aux Antilles françaises.
Dans la foulée de cette reconnaissance du scandale environnemental, le Président de la République affirme que « Tout ça, c’est le fruit d’une époque qui est désormais résolue il faut bien le dire, la conscience environnementale était moindre qu’aujourd’hui. Ce fut le fruit d’un aveuglement collectif ».
Aveuglement collectif ? Très probablement ! Pour autant, cela n’évacue pas la question des responsabilités. Force est de constater que le Chlordécone a fait l’objet d’une interdiction par les autorités américaines depuis 1976. Sa dangerosité avait déjà été établie par la communauté scientifique internationale. Plusieurs chercheurs français dont Snégaroff (1977) et Kermarecc (1979) avaient déjà tiré la sonnette d’alarme à la même époque : « Ce travail montre qu’une pollution par les résidus d’insecticides organochlorés existe dans les sols des bananeraies, et dans le milieu aquatique avoisinant » (J. Snégaroff, 19 oct. 1977).
Sur ce point précis, on ne peut donc affirmer que la conscience environnementale était moindre car, tant en Martinique qu’en Guadeloupe, les associations écologiques avaient largement alerté l’opinion et les pouvoirs publics sur l’usage abusif du Chlordécone dans la culture de la banane.
2. Sur La reconnaissance de la Responsabilité de l’Etat dans ce scandale
Cette reconnaissance de la responsabilité de l’Etat est implicite : « L’Etat doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution » mais, elle n’est pas formelle.
Or, la reconnaissance de la responsabilité ouvre la voie aux réparations. Pas étonnant dès lors que le Président de la République soit nettement plus réservé à l’idée d’une réparation individuelle : « Je ne serais pas responsable à dire il y a une réparation individuelle pour tous ces cas, parce que ce n’est pas avéré ».
3. L’engagement du gouvernement en faveur d’une procédure d’ouverture du registre des maladies professionnelles.
C’est très certainement sur ce point que l’annonce du Morne Rouge mérite toute notre attention.
En effet, le Président MACRON déclare que : « La procédure d’ouverture du registre des maladies professionnelles sera engagée par le Gouvernement, dès le 2 octobre, pour le régime général des maladies professionnelles et le 9 octobre pour le régime agricole ».
C’est une avancée considérable sur la question de la reconnaissance de maladies professionnelles pour nos agriculteurs. Car, cette épineuse question est au centre d’une revendication récurrente auprès des Ministres de la Santé successifs et de l’ARS. Depuis 2007, nous réclamons en vain un recensement des ouvriers agricoles qui ont travaillé dans les bananeraies de 1972 à 2002 et un examen biologique visant à dépister ceux qui ont été contaminés par la molécule de Chlordécone. (Cf « Chronique d’un empoisonnement annoncé, le scandale du Chlordécone aux Antilles Françaises » – Louis BOUTRIN & Raphaël CONFIANT). On ne peut donc que se réjouir d’un tel dénouement de cette question essentielle qui nécessite néanmoins une vigilance quant à sa mise en œuvre.
4. Face à la difficulté d’établir des seuils pour les LMR Emmanuel MACRON propose qu’on aille vers le Zéro Chlordécone
« (…) Je souhaite que, collectivement, nous inscrivions nos efforts pour aller vers le « Zero Chlordécone » dans l’alimentation » avant de préciser une évidence que certains s’évertuent à nier : « C’est la seule chose qui a du sens ».
Et, pour justifier une telle position, le Président de la République dit une vérité qui devrait résonner dans les oreilles de Louis-Daniel BERTHOME : « (…) je ne sais pas vous dire en responsabilité si le seuil doit être de 25, de 30, de 40. Nous devons tendre vers le zéro. »
Au passage, le Président de la République a reconnu l’initiative du Parc Naturel de Martinique à travers le label « Zéro Chlordécone » en rappelant que « Nous devons tendre vers le zéro. C’est exactement ce que vous avez fait d’ailleurs ici en changeant vos structures ».
Mais, rien n’y fait ! Le Président de la Chambre d’Agriculture s’arcboute toujours sur ses « certitudes » en ressassant sur les médias que 99 % de l’alimentation respectent la législation. Tel un cache-sexe, il s’accroche aux LMR, des limites maxima de résidus pour un poison dont, au plus haut sommet de l’Etat, on prend bien soin de ne pas s’y référer. L’enjeu de santé publique ? « Ce n’est pas le sujet ! » a-t-il répondu de manière désinvolte au Morne Rouge. Wait and see !
Pour mémoire, la loi interdit toute trace de pesticides non autorisés dans les végétaux (Arrêté du 5 aôut 1992). Le Chlordécone a fait l’objet d’une interdiction depuis 1993. Comment peut-on dès lors déterminer une LMR pour un pesticide interdit et reconnu dangereux pour la santé humaine ?
5. Sur l’absence de lien de causalité entre le Chlordécone et le cancer de la prostate
C’est là notre principal point de divergence avec Emmanuel MACRON. Au Morne Rouge, il a affirmé que : « L’état des connaissances scientifiques, qui est aujourd’hui le nôtre, permet de constater la présence de chlordécone dans le corps humain. Mais il ne permet pas de certifier que cette présence a un effet sur la santé humaine ».
Certes, au regard des connaissances scientifiques actuelles, le lien de causalité direct entre le Chlordécone et le cancer de la prostate n’a pas encore été établi de manière formelle. Et, c’est toute la difficulté des avocats dans la plainte actuellement en instruction. La loi pénale étant d’interprétation stricte, il convient de démontrer un lien de causalité certain entre chlordécone et le préjudice. Car, en droit, il ne suffit pas de démontrer une faute pour obtenir réparation, encore faut-il démontrer un préjudice, mais surtout un lien de causalité certain entre la faute et le préjudice subi. D’expérience, l’absence de preuve du lieu de causalité certain a longtemps été un obstacle majeur au succès des actions indemnitaires menées par les victimes contre les responsables de scandales sanitaires.
Pour autant, le président de la République ne peut nier la présence de Chlordécone dans le sang de 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens et affirmer qu’elle est sans effet sur leur santé.
En effet, depuis 1979, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a classé le Chlordécone comme étant un cancérogène probable. Le Centre international de recherche contre le cancer classe le Chlordécone dans la catégorie 2B, comme étant cancérigène probable.
Quant au Professeur MULTIGNIER, en conclusion d’un article publié dans la revue américaine « Journal of clinical oncology » intitulé « Chlordecone Exposure and Risk of Prostate Cancer », il affirme que « nos résultats suggèrent qu’il existe une relation de cause à effet entre l’exposition à la Chlordécone et le risque de cancer de la prostate ».
De même, de par ses caractéristiques hormonales bien définies, le Chlordécone est considéré comme un redoutable perturbateur endocrinien et reconnu comme tel par l’OMS dès 2012. Neurotoxique, reprotoxique, il a une action néfaste sur la fertilité humaine et est à l’origine de nombreuses malformations congénitales.
En conclusion, le mérite d’Emmanuel MACRON c’est d’avoir enfin pris à bras le corps ce dossier du Chlordécone et reconnu ce scandale environnemental sans précédent aux Antilles françaises. Balloté durant plus d’une décennie par deux présidents de la République, plusieurs ministres et Premiers Ministres, on ne peut qu’apprécier cette reconnaissance au plus haut niveau de l’Etat.
A charge pour nous d’arrêter les postures médiatiques pour unir nos efforts et prendre le locataire de l’Elysée au mot.
Notre demande en faveur d’un fond d’indemnisation pour les marins-pêcheurs et les aquaculteurs mérite que l’on fasse front commun face à l’Etat. Il convient d’accompagner la mutation des pratiques de pêche pour sortir de cette logique de non-assistance à profession en danger.
En clair, les Martiniquais qui ont payé un lourd tribut à cet empoisonnement massif attendent de nous des réponses concrètes.
Louis BOUTRIN
Conseiller exécutif CTM
Président du Parc Naturel de Martinique