La crise de la COVID-19 a mis en exergue la vulnérabilité des États-Nations et l’interdépendance qui frappe de plein fouet une économie mondialisée. Face à cette nouvelle donne mondiale, il faut que nous soyons capables de réagir vite. De nous adapter vite. De créer les organes et outils dont nous aurons besoins pour conforter notre développement.
La Martinique est donc placée devant un choix déterminant pour son devenir. A l’heure des bilans de fin de première mandature, on constate que, globalement, les politiques publiques mises en œuvre à la CTM demeurent satisfaisantes. Malgré les difficultés budgétaires de début de mandature, la gouvernance en place a tenu ses engagements vis-à-vis de la population. Après avoir assaini la situation financière de la Collectivité et restauré la confiance des banques et des investisseurs, elle a su redonner l’espoir et a ouvert le champ de tous les possibles.
Nonobstant les incertitudes liées à la pandémie de COVID-19, la Martinique a démontré sa capacité de résilience et les indicateurs mis en lumière par les récentes notes de conjoncture de l’IEDOM et de l’INSEE (12 avril 2021) viennent témoigner de son aptitude à surmonter des crises multiformes et à rebondir.
Pour autant, ces bons résultats ne peuvent faire oublier l’ambiance délétère qui a régné au sein de l’Assemblée de Martinique, l’éclatement de la majorité mise en place par les électeurs et les risques réels d’une grave crise politique. Ceux qui en portent la responsabilité ayant été clairement identifiés, ils seront inévitablement confrontés au verdict des urnes. Mais, au-delà des hommes et des inévitables joutes politiciennes, on a pu observer que l’obsession du pouvoir a souvent occulté la différenciation entre l’outil institutionnel et l’usage qui en est fait. De toute évidence l’outil institutionnel mérite d’être réformé et ce, indépendamment de celui qui est aux commandes.
Dès lors, au-delà du bilan politique de cette mandature qui, in fine, sera validé ou pas par les électeurs, il convient de se pencher à la fois sur l’architecture de ce nouvel instrument institutionnel et sur une analyse d’impact pour mieux comprendre les raisons de ses dysfonctionnements. Née des Lois organique et ordinaire du 27 juillet 2011, la CTM a éprouvé des difficultés dans sa mise en œuvre qui, à l’instar de l’ex-Collectivité Territoriale de Corse, nécessitent une réforme et des ajustements juridiques.
C’est l’objet de la présente contribution qui met l’accent sur les indispensables ajustements budgétaires mais aussi sur la réforme du mode de scrutin, l’augmentation du nombre de Conseillers exécutifs (11) et territoriaux (63), la représentation de l’opposition, la démission des conseillers exécutifs issus de l’Assemblée et l’instauration d’une Conférence de Coordination des Collectivités Territoriales.
En France, une nouvelle étape de la décentralisation est actuellement en perspective à travers le projet de loi sur le droit à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration dont l’ambition est de renforcer la proximité et l’efficacité de l’action publique. Ce projet de « Loi 3D » (affublée d’un 4ème D = Décomplexification), en discussion au Parlement, vise à garantir le plein exercice des libertés locales. En matière de différenciation territoriale, les collectivités territoriales de l’Hexagone souhaitent permettre aux collectivités de déroger aux lois qui régissent l’exercice de leurs compétences, et à faciliter les expérimentations. Elles souhaitent également un renforcement du pouvoir réglementaire local pour aller plus loin dans l’exercice de leurs compétences, sociales pour les Départements, économiques et politiques de l’emploi pour les Régions.
Actuellement, les habilitations prévues aux 2e et 3e alinéas de l’article 73 de la Constitution, permettent déjà aux départements et régions d’Outre-Mer d’adapter ou de fixer eux-mêmes les lois et règlements applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi et du règlement. Néanmoins, à l’instar des autres Collectivités à statuts particuliers, nous devons suivre avec vigilance ce projet de loi du gouvernement visant à un approfondissement de la décentralisation.
Ces sujets brûlants d’actualité nous imposent également une très grande réactivité par rapport à notre singularité de Collectivité unique dotée d’une Assemblée unique instituée par la loi du 27 juillet 2011. Les imperfections de cette loi qui a porté sur les fonds baptismaux la Collectivité Territoriale de Martinique ont été très vite identifiées et c’est à l’usage, que l’on a pu prendre la pleine mesure des correctifs à apporter.
Après moult débats sur le sujet, il est peut-être temps de passer aux travaux pratiques et, par exemple, de justifier de son mandat de parlementaire (à condition d’être présent à l’Assemblée nationale !) ou de faire remonter des propositions concrètes au Premier Ministre. Les dispositions de l’article L.7252-1 du CGCT du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) le permettent. Visiblement, le rituel des lamentations en séance plénière n’a pas favorisé de telles initiatives !
Pour autant, cette Collectivité unique voulue par les élus et validée par le peuple est absolument nécessaire. Elle mérite cependant beaucoup d’ajustements notamment au niveau des moyens budgétaires qui demeurent essentiels pour l’exercice de ses missions. Paradoxalement, les questions de financement de la Collectivité sont abordées qu’à la marge des débats ou des suggestions. Or, dès sa mise en place, la Collectivité de Corse a bénéficié des dotations globales de fonctionnement des Régions et celles des Départements, de la dotation globale d’équipement, d’une dotation globale de décentralisation, des produits intérieurs sur les conventions d’assurance ainsi que du produit des amendes de police relatives à la circulation routière. Autant de recettes qui nécessitent des ajustements budgétaires aux mêmes taux en faveur de la CTM.
Trois autres niveaux méritent une attention toute particulière dans l’optique d’une réforme institutionnelle :
D’abord, sur le mode de scrutin qui ne favorise pas entièrement l’expression de la démocratie représentative. La prime de 11 sièges attribuée à la liste arrivée en tête lors du scrutin est excessive (prime de 9 sièges en Corse) et écarte une bonne partie des opinions qui se sont exprimées à travers des listes qui n’ont pas dépassé la barre des 5%. La conséquence directe est une concentration des pouvoirs aux mains de la majorité rendant peu audible l’expression des voix de l’opposition.
Ensuite, l’absence de Commission permanente et de représentant de l’opposition au sein d’un Conseil exécutif monocolore. La totalité des compétences dévolues jusqu’alors aux collectivités régionale et départementale se retrouve concentrée au sein d’un seul groupe politique. Ce conseil exécutif a toute latitude pour prendre des « arrêtés délibérés » - actes fondateurs de droit au même titre que les délibérations -, sans que les autres membres de la majorité et de l’opposition en soient informés.
Toutefois, au-delà des questions de gouvernance, le choix d’un Conseil exécutif collégial de 9 membres, sur le modèle de la Collectivité de Corse, constitue une avancée démocratique. L’expérience et l’abondance de compétences à exercer ont conduit les Corses à opter pour un Conseil exécutif de 11 membres au lieu de 9. A contrario du modèle d’un exécutif uninominal de l’ex-exécutif de la Région, avec la concentration de la totalité du pouvoir décisionnel pour l’exercice de la totalité des compétences, c’est de manière collégiale que les actes du Conseil exécutif sont pris.
De plus, à l’instar de la Corse, on pourrait y adjoindre une « Conférence de Coordination des Collectivités Territoriales » composée du Conseil exécutif, du Président de l’Assemblée, des présidents de trois Communautés d’agglomération et des 34 maires de Martinique et qui « se réunit pour débattre des questions d’intérêt commun et coordonner l’exercice des compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d’investissement » (Art. L.4421-3 du CGCT).
Enfin, la motion de défiance telle qu’elle est maintenue dans la loi du 27 juillet 2011 est à la fois une source d’insécurité juridique et d’instabilité politique.
Insécurité juridique car, reprenant les mêmes modalités que la loi du 13 mai 1991 portant statut de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), les membres du Conseil exécutif doivent préalablement démissionner de l’Assemblée de Martinique et ne peuvent plus y retourner. Ainsi, en cas de motion de défiance et de censure du Conseil exécutif, celui qui a conduit la liste aux élections, et qui, de par la loi est le président du Conseil exécutif (art. L.7224-2 du CGCT), peut se retrouver éjecté par une fraction de sa majorité en cas d’alliance avec l’opposition. Un pied-de-nez à la démocratie représentative et aux électeurs qui, majoritairement, ont délégué leur pouvoir à la tête de liste.
En Corse, aux termes des nouvelles dispositions de la loi NOTRe du 7 août 2015, articles 30 & suivants, il a été institué la « Collectivité de Corse » en lieu et place de la Collectivité territoriale de Corse (CTC) et des Départements de Haute Corse et de Corse du Sud. Compte tenu de cette création la loi NOTRe procède à la définition des règles de fonctionnement des institutions. C’est ainsi que, devant les risques réels d’instabilité juridique, le retour au sein de l’Assemblée de Corse des membres du Conseil exécutif en cas de démission collective ou de vote d’une motion de défiance a été acté. De même, le principe du droit d’option entre le mandat de Conseiller exécutif et celui de Conseiller à l’Assemblée de Corse dans un délai sept jours (au lieu d’un mois) a été retenu.
Dans le même temps, pour faire face à l’étendue du champ de ses missions, le Conseil exécutif passe de 9 à 11 membres et l’Assemblée de Corse de 51 à 63 membres. S’agissant du mandat de Président de l’exécutif, aux termes de l’article L.4422-4 du CGCT : « En cas de vacance du siège de président du conseil exécutif de Corse, pour quelque cause que ce soit, le président de l’Assemblée de Corse convoque sans délai l’Assemblée et il est procédé à l’élection d’un nouveau conseil exécutif ». Cette nouvelle disposition simplifie la procédure en cas de vote de défiance ayant entrainé le renversement du Conseil exécutif.
L’architecture de la Collectivité Territoriale de Martinique étant fortement inspirée par celle de l’ex-Collectivité Territoriale de Corse, il semble pertinent d’apporter des ajustements rapides aux dispositions juridiques qui demeurent sources d’instabilité politique. Dans le cas de la Corse le recours à une loi ordinaire montre bien qu’il n’est point besoin d’une loi constitutionnelle.
Pour autant, au-delà du dispositif institutionnel et de l’organisation administrative actuelle, le régime législatif de la Collectivité Territoriale de Martinique fait l’objet d’une réflexion commune avec les autres collectivités à statut spécifique.
C’est cette analyse que nous vous invitons à partager dans une prochaine contribution et ce, par anticipation à la révision constitutionnelle annoncée par le Président de la République.
*Louis Boutrin
Avocat - Docteur en Droit
Auteur du Livre « L’audace de Changer - Un new deal écologique pour la Martinique », Ed. Scitep – Fév 2021.